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  • Laurent T. MONTET
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane
Docteur en droit privé.
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane Docteur en droit privé.

Thèse : "Le dualisme des ordres juridictionnels"

Thèse soutenue le 27 novembre 2014 en salle du conseil  de la faculté de droit de l'Université de Toulon

Composition du jury:

Le président

Yves STRICKLER (Professeur d'université à Nice),

Les rapporteurs: 

Mme Dominique D'Ambra (Professeur d'université à Strasbourg) et M. Frédéric Rouvière (Professeur d'université à Aix-en-Provence),

Membre du jury:

Mme Maryse Baudrez (Professeur d'université à Toulon),

Directrice de thèse :

Mme Mélina Douchy (Professeur d 'Université à Toulon).

laurent.montet@yahoo.fr


28 janvier 2023 6 28 /01 /janvier /2023 15:10

L’ordre public économique est une notion juridique à géométrie variable que l’on peut définir comme l’ensemble des normes qui s’imposent à la volonté des parties afin de faire prévaloir des impératifs d’intérêt général ayant pour objectif « d’assurer le bon fonctionnement du Marché » (Cons. const., décision n°  2011-126 QPC du 13  mai 2011, Société Système U Centrale Nationale et autre : première fois évoquée par le Conseil Constit. ; Cons. const., décision n°  2012-280 QPC, 12  octobre 2012, Société Groupe Canal Plus et autre, cons. 11. ; Cons. const., décision n° 2013-3 LP du 1er octobre 2013, Loi du pays relative à la concurrence en Nouvelle- Calédonie, cons. 5. ; CE Ass., 21 décembre 2012, Sociétés Groupe Canal Plus et Vivendi Universal, n°353856, cons. 48 et 49, v. aussi. cons. 63. ; CE Ass., 23 décembre 2013, Société Métropole Télévision [M6], n° 363702, cons. 23. ; CE, 16 juillet 2014, Société Copagef, n° 375658, cons. 3.). Ce dernier, le Marché, est une réalité spatiotemporelle, c’est-à-dire délimitée tant géographiquement [soit localement, soit mondialement] que tributaire de l’écoulement du temps, lui-même déterminable géographiquement. Au sein de réalité interagissent producteurs, fournisseurs, distributeurs, industriels, opérateurs, financeurs (banques, établissement de crédits…), revendeurs, consommateurs (etc.) notamment en échangeant des biens (corporels ou incorporels), des valeurs ou des devises dans le cadre plus ou moins formalisé d’accords plus ou moins équilibrés posant les conditions de leurs interrelations.

Ainsi, au regard de ce qui précède, vous l’aurez compris, « assurer le bon fonctionnement du Marché » n’est pas une mince affaire. Par conséquent, afin de simplifier la compréhension de la notion « d’ordre public économique », il faut l’appréhender comme un principe général de Régulation des Libertés (notamment les libertés contractuelle et d’entreprendre) qui gouvernent les interrelations entre la pluralité d’acteurs aux intérêts et mobiles pas nécessairement convergeant. Dès lors, l’ordre public (en l’occurrence économique) se pose en-dehors de toute considération d’opportunité pour les destinataires. En effet, les normes qui intéressent la Police (dans le sens de régulation) de l’activité Economique et qui sont d’ordre public, doivent (normalement) impérativement être mise en œuvre de leur propre chef par les parties concernées. À défaut de cette prompte soumission, le cas échéant, lesdites normes d’ordres publics sont excipées par l’autorité de régulation compétente ou par le juge.

En tout état de cause, la charge de mise en place de dispositifs propres à « assurer le bon fonctionnement du Marché » pèse sur le Législateur qui, au moins, depuis 1950 travaille à réguler le « monde des affaires » notamment par la prohibition de certaines pratiques qualifiées de « restrictives de concurrence » et considérées comme « déloyales ». Pour s’atteler à cette tâche, le Législateur part du postulat que « l’interrelation entre la pluralité d’acteurs aux intérêts et mobiles pas nécessairement convergeant » est déséquilibrée. D’ailleurs, les propos de M. Pierre HERISON (Sénateur du 24 septembre 1995 au 30 septembre 2014), présentant un avis (n° 4 [2000-2001] ; 4 octobre 2000) au nom de la commission des affaires économiques, sur le projet de loi n° 321 (1999-2000) relatif aux nouvelles régulations économiques, cristallisent assez bien l’un des objets de la lutte contre les pratiques restrictives de concurrence notamment la situation de « déséquilibre » qui en est la cible : « La coopération commerciale désigne l’ensemble des services spécifiques, distincts des services liés à l’achat ou à la vente, fournis par les distributeurs à leurs fournisseurs, moyennant le versement d’une rémunération. […] Elle consiste à faire participer le fournisseur au financement de diverses opérations commerciales et, notamment, d’opérations publicitaires telles que la mise en avant de produits en tête de gondole, l’organisation d’animations en magasin, ou encore la promotion de produits dans des catalogues publicitaires. Cependant, se développe, depuis peu, une coopération commerciale dite "fictive", c’est-à-dire dépourvue de contrepartie réelle, le fournisseur se voyant alors contraint de verser des primes ou de consentir des ristournes sans obtenir en retour un avantage commercial particulier. C’est cette coopération commerciale et fictive qui est ici visée […] ». Ces propos, mettent en relief la nécessité de procéder à la vérification de l’existence d’une réciprocité consistant pour chaque partie à l’interrelation (c’est-à-dire dans le cadre de la négociation, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat) de recevoir de l’autre un avantage en contrepartie de celui qu’elle procure. C’est l’essence même du contrat à titre onéreux qui est la base des relations d’affaires, la substance même du Marché. Ainsi, dans la recherche de la dilution des coopérations commerciales dite fictive ou déséquilibrées, il est impératif pour le Législateur de poser un dispositif veillant à préserver, autant que faire se peut, le caractère commutatif de la relation d’affaire. Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas de prôner un quelconque égalitarisme dans les relations d’affaires mais de s’assurer que chaque partie « s’engage à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de celui qu’elle reçoit. » (art. 1108 al. 1 du Code civil). C’est à ce titre, que l’article L442-1 du Code de commerce travaille à « […] assurer le bon fonctionnement du Marché ». Petit bémol, se pose ainsi, concomitamment, la question du dosage de l’interventionnisme « Législativo-judiciaire » (excusez ce barbarisme) dans la jauge du caractère réellement commutatif de la « coopération commerciale ».

 

  1. La préservation du bon fonctionnement du marché par l’évaluation de la consistance de la contrepartie inhérente à la coopération d’affaires

 

Le Législateur (voire le gouvernement habilité pour le faire) a à plusieurs reprises (Ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence [voir notamment son titre IV « De la transparence et des pratiques restrictives »] ; Loi n° 96-588 du 1er juillet 1996 sur la loyauté et l’équilibre des relations commerciales ; Ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 relative à la partie législative du code de commerce ; Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques : recodification L442-6.I.2° vers L442-1.I.1° du code de commerce ; Loi n° 2005-882 du 2 août 2005 (Loi Dutreil) : a ajouté la globalisation artificielle du chiffre d’affaires et la demande d’alignement sur les conditions commerciales obtenues par d’autres clients ; Loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 (Loi Hamon) : a ajouté à ces exemples la pratique des demandes supplémentaires, en cours d’exécution du contrat, visant à maintenir ou accroître abusivement ses marges ou sa rentabilité ; Loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 [Loi Sapin 2] :  a étendu la liste des types de prestations susceptibles de donner lieu à des avantages injustifiés [promotion commerciale, services rendus par une centrale internationale regroupant des distributeurs] ; Ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées [loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018, dite « Egalim », a habilité le Gouvernement à prendre ladite ordonnance]) soit posé soit ajusté des dispositifs visant à lutter contre les pratiques restrictives, c’est-à-dire, l’obtention d’avantages sans contrepartie ou disproportionnés (art. L442-1.I.1° du Code de commerce), l’imposition d’un déséquilibre significatif dans les relations commerciales (art. L442-1.I.2° du Code de commerce), la rupture brutale de relations commerciales établies (art. L442-1.II du Code de commerce), la violation des obligations résultant du droit de l’Union européenne encadrant des activités d’intermédiation (art. L442-1.III du Code de commerce), la violation de certaines interdictions de revente hors réseau (art. L442-2 du Code de commerce) ou encore la fixation de prix abusivement bas pour les produits agricoles et les denrées alimentaires (art. L442-7 du Code de commerce). Ce travail de régulation impose de disqualifier tout accord ou recherche d’accord qui poserait ou viserait à poser une mécanique contractuelle qui diluerait le caractère réel de l’équivalence due par l’une des parties à l’autre.

 

En l’espèce, l’association ILEC (institut de liaisons des entreprises de consommation) astreint la société Amazon EU devant le juge de commerce afin que cette dernière société soit enjointe de cesser (art. L442-4 du Code de commerce) ses pratiques restrictives de concurrence prohibées par l’article L442-1.I.1° du Code de commerce. C’est à ce titre que le Conseil constitutionnel est saisi par la Cour de cassation (Cass. Chb. Com., 7 juillet 2022, pourvoi n°22-40.010) de la QPC (Question Prioritaire de Constitutionnalité) transmise par le jugement du Tribunal de commerce de Paris en date du 10 mai 2022. En effet, conformément à l’article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958, à l’occasion de l’instance en cours devant le Tribunal de commerce, la société Amazon UE excipe l’atteinte portée aux libertés contractuelle et d’entreprendre par les dispositions de l’article L442-1.I.1° du Code de commerce. Il est  plus particulièrement reproché au texte précité d’octroyer au juge un pouvoir de contrôle considérable sur les conditions économiques de toute relation commerciale au point ou ce dernier aurait reçu du Législateur un pouvoir de « contrôle généralisé de la lésion et de fixation judiciaire des prix »  (Cyril Grimaldi, « Vers un contrôle généralisé de la lésion en droit français ? », Recueil Dalloz, 2019, p. 388 ; Clémence Mouly-Guillemaud, « Déséquilibre significatif et rupture brutale : variations introduites par la refonte du Titre IV du Livre IV du Code de commerce », RLDC, n° 172, juillet 2019 ; Martine Behar-Touchais, « Les différentes pratiques restrictives de concurrence dans les ordonnances du 24 avril 2019 », La Semaine Juridique - Entreprise et affaires, n° 29, 18 juillet 2019. Voir également le commentaire de la décision n°2022-1011 QPC du 06/10/2022 accessible sur le site du Conseil constitutionnel) en violation de la liberté constitutionnelle pour chaque individu de négocier librement les termes de leurs futures relations d’affaires et limitant ainsi de manière consécutive et excessive la liberté d’entreprendre. En outre, il est également fait reproche aux dispositions de lutte contre les pratiques restrictives de concurrence de méconnaitre le principe de légalité des délits et des peines qui est tiré de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (DDHC). En l’espèce, la question prioritaire de constitutionnelle de  la société Amazon EU est formulée de la manière suivante : « Les dispositions de l'article L. 442-1, I, 1°, du code de commerce, prises dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 et maintenue inchangée par les lois n° 2020-1508 du 3 décembre 2020, n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 et n° 2021-1357 du 18 octobre 2021, méconnaissent-elles les droits et libertés garantis par la Constitution tels que la liberté d'entreprendre, la liberté contractuelle, le principe d'égalité devant la loi, la garantie des droits et le principe de légalité des peines ? ».

 

L’article L442-1.I.1° du Code de commerce pose (notamment) un mécanisme de responsabilité à l’encontre des acteurs principaux de la scène des affaires de production, de distribution ou de services, lorsque ceux-ci ont obtenu ou ont tenté d’obtenir de leurs cocontractants (ou futurs cocontractants) « un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ; ». Il faut noter que le champ d’action de ce dispositif est plus large que celui de son ancêtre l’article L442-6.I.2° du  Code de commerce en vigueur du 21 septembre 2000 au 16 mai 2001. En effet, les personnes (physiques ou morales) susceptibles d’être concernées par cet responsabilité ne se limitent plus aux producteurs, aux commerçants, aux industriels ou aux artisans. En outre, toute relation contractuelle (conclusion ; exécution) ou précontractuelle (négociations) est concernée et pas uniquement « les relations commerciales ».

Ainsi, comme amorcé précédemment, l’article L442-1.I.1° du Code de commerce, s’intéresse aux interrelations (relations réciproques existant entre acteurs économiques) à titre onéreux au sein desquelles la base est que chacune des parties s'engage à procurer à l'autre un avantage qui est regardé comme l'équivalent de celui qu'elle reçoit. Ainsi, il y a déséquilibre dans l’interrelation lorsque l’avantage reçu par l’une des parties n’est pas considéré comme équivalente (art. 1169 du Code civil ; Cass. com., 11 septembre 2012, Société Carrefour, n° 11-14.620) soit parce qu’elle n’existe pas (fictif ou illusoire) soit parce qu’elle est dérisoire au regard de la valeur estimée du bien ou du service commuté. Dans la mesure où le cœur du dispositif consiste à jauger la consistance de l’équivalence des contreparties, l’article L442-1.1° du Code précité, pose une justice commutative d’ailleurs fortement décriée par une partie de la doctrine (Cyril Grimaldi, « Vers un contrôle généralisé de la lésion en droit français ? », Recueil Dalloz, 2019, p. 388 ; Clémence Mouly-Guillemaud, « Déséquilibre significatif et rupture brutale : variations introduites par la refonte du Titre IV du Livre IV du Code de commerce », RLDC, n° 172, juillet 2019 ; Martine Behar-Touchais, « Les différentes pratiques restrictives de concurrence dans les ordonnances du 24 avril 2019 », La Semaine Juridique - Entreprise et affaires, n° 29, 18 juillet 2019.) dont la constitutionnalité est dénoncée via la QPC formulée par la société Amazon EU.

 

  1. La constitutionnalité de la justice commutative instaurée par l’article L442-1.I.1° du Code de commerce

 

La justice commutative est l’obligation pour les juges de jauger la consistance (c’est-à-dire, réelle, illusoire ou dérisoire) des contreparties que doivent se procurer réciproquement les parties dans une interrelation à titre onéreux. Compte tenu de l’objectif de préservation de l’ordre public économique et de s’assurer un équilibre des relations commerciales (Décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011, Société Système U Centrale Nationale et autre [Action du ministre contre des pratiques restrictives de concurrence], cons. 5 ; Décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012, Société Groupe Canal Plus et autre [Autorité de la concurrence : organisation et pouvoir de sanction], cons. 11 ; Décision n° 2021-965 QPC du 28 janvier 2022, Société Novaxia développement et autres [Sanction des entraves aux contrôles et enquêtes de l’Autorité des marchés financiers], paragr. 11.), le caractère commutatif du contrôle juridictionnel en la matière n’est pas inopportun. D’ailleurs, le juge constitutionnel a déjà eu à se prononcer sur la conformité constitutionnelle d’un tel contrôle des pratiques restrictives de concurrence notamment lors de QPC formulée à l’encontre de l’ancien article L442-6 du Code de commerce (Décision n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011 ; Décision n° 2018-749 QPC du 30 novembre 2018.), texte dont le champ d’action était plus restreint que le nouvel article L442-1 du même Code.

 

En tout état de cause, en l’espèce, il est demandé de contrôler la conformité de cette justice commutative au regard de la liberté contractuelle et de la liberté d’entreprendre. Pour rappel, les libertés précitées sont tirées de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation ; Décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2001.) : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. ». Il est important de mettre en relief que l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, prône une équivalence qui repose sur le fait que la liberté d’un individu est un « avantage » qui est regardé comme l’équivalent de celle due à autrui ; seule la Loi peut réguler cette liberté soit du fait d’exigences constitutionnelles ou encore parce que la régulation est justifiée par l’intérêt général sans pour autant pouvoir y porter une atteintes disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi (Décision n°2022-1011 QPC du 6 octobre 2022, cons.3). Ainsi, ni la liberté contractuelle ni la liberté d’entreprendre (aucune liberté d’ailleurs) ne doivent être appréhendées comme absolue. L’ordre public (en l’occurrence économique) est un régulateur ayant pour objectif de poser les bornes permettant à chaque individu de jouir de manière équivalente des libertés dont il dispose naturellement. Ainsi, en l’espèce, la question de fond est celle de savoir si le dispositif de responsabilité et de sanction posé par l’article L442-1.I.1° du Code de commerce est disproportionné au regard de l’objectif consistant à préserver l’ordre public économique des pratiques restrictives de concurrence et de s’assurer un équilibre des relations commerciales ?

 

Afin de répondre à cette question, le juge constitutionnel se livre à un contrôle commun (Décision n° 2017-649 QPC du 4 août 2017) du fait de la connexité entre les deux libertés. En effet, après avoir rappelé le caractère non absolu des libertés et la possibilité conditionnelle pour le Législateur d’apporter des limitations (Décision n°2022-1011 QPC du 6 octobre 2022, cons.3), le Conseil constitutionnel a mis en relief l’objectif d’intérêt général des dispositions de l’art. L442-1.I.1° du Code de commerce en soulignant le fait qu’elles visent à préserver l’ordre public économique en réprimant certaines pratiques restrictives de concurrence et visent également à assurer un équilibre dans les relations commerciales (Décision n°2022-1011 QPC du 6 octobre 2022, cons.5). En outre, l’obligation qui pèse sur le juge saisi consistant uniquement au constat de l’existence des pratiques prohibées, il n’est pas relevé d’atteinte disproportionnée compte tenu de l’objectif de préservation du bon fonctionnement du Marché.

 

La liberté contractuelle et la liberté d’entreprendre, en cohérence avec le texte d’où elles sont tirées (art. 4 DDHC), impliquent que chaque individu tant dans la relation contractuelle que dans la relation d’entreprenariat s’engage à procurer à l’autre un avantage qui est regardé comme l’équivalent de celui qu’il reçoit. C’est à ce titre que la lutte contre les pratiques consistant à poser des contreparties illusoires (fictives) ou dérisoires compte parmi les démarches nécessaires pour assurer à chaque individu la jouissance des mêmes droits, c’est-à-dire l’obtention de contreparties considérées comme équivalente. L’absence (illusoire ou dérisoire ; déséquilibre) d’équivalence est illicite (art. L442-1.I.1° du Code de commerce). Ainsi, les acteurs de la scène des affaires devront être davantage sensible à la mise en place de critères ou/et dispositifs contractuels propres à cristalliser l’existence d’avantage équivalent à celui qui est reçu. En effet, il s’agira notamment d’être vigilant sur la stipulation du caractère « manifestement disproportionné » d’avantages obtenus alors que la contrepartie n’est pas (au préalable) clairement définie ou est inexistante. L’avantage obtenu doit correspondre à un bien ou/et un service appréhendé comme équivalent par l’autre partie. Pour les contrats de gré à gré (les stipulations sont négociables entre les parties ; art. 1110 al. 1 du Code civil), la phase précontractuelle (négociation) est encore plus que jamais le moment d’ajustement de l’équivalence des contreparties et de cristallisation par des clauses de la jauge des équivalences. Pour les contrats d’adhésion (comporte un ensemble de clauses non négociables, déterminées à l'avance par l'une des parties ; art. 1110 al. 2 du Code civil), il faudra être vigilant sur les clauses génériques et les mécanismes de fixation de taux globaux in abstracto qui risque d’être source soit de disproportion manifeste soit poser un résultat dérisoire. En tout état de cause, lors de la conclusion du contrat, il est important de poser un mécanisme et/ou des critères de réajustement/évaluation « en cours d’exécution » de la consistance des équivalences. En claire, Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Les libertés contractuelle et d’entreprendre ne permettent pas de déroger aux règles qui intéressent l'ordre public économique (art. 1102 al.2 et 1104 du Code civil).

Publié sur village de la justice :  https://www.village-justice.com/articles/plateforme-libertes-contractuelles-entreprendre-avantage-sans-contrep artie,43958.html 

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28 janvier 2023 6 28 /01 /janvier /2023 15:07

Lors des débats au Sénat sur la loi organique relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, quatre sénateurs [[Mesdames Anne-Marie ESCOFFIER et Françoise LABORDE, messieurs Y. COLLIN et Jacques MÉZARD ; Voir p.8581 du JORF Sénat session ordinaire 2009-2010, compte-rendu intégral de la séance du 13 octobre 2009.]] avaient proposé un amendement n°1 (rectifié) afin que soit insérer après les mots « de ce qu’une disposition législative [[Voir article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958.]] », les mots « le cas échéant interprétée par la jurisprudence ». Par cette tentative d’enrichissement de la loi organique, les sénateurs auteurs de l’amendement avaient voulu soumettre la jurisprudence, c’est-à-dire l’interprétation faite de la loi par les juges, au contrôle de constitutionnalité. Cette proposition découlait d’une vérité juridique [[Hans KELSEN, « Théorie générale des normes » ; Traduit de l’allemand par Olivier BEAUD et Fabrice MALKANI ; Léviathan – PUF. Hans KELSEN, « Théorie générale du droit et de l’état » ; traduit par Béatrice LAROCHE et Valérie FAURE ; LGDJ/BRUYLANT – La pensée juridique. Han KELSEN, « Théorie pure du droit » ; traduit par Charles EISANMANN ; DALLOZ (1962).]] difficilement discutable et défendue de la manière suivante par l’un des auteurs de l’amende n°1 : « Une disposition législative peut ne pas être en soi inconstitutionnelle mais l'être devenue du fait de la jurisprudence des cours et des tribunaux. Aussi considérons-nous que doivent pouvoir être mises en cause devant le Conseil constitutionnel non seulement les dispositions législatives, mais aussi la jurisprudence à laquelle elles ont donné lieu [[Intervention de Monsieur le sénateur Jacques MÉZARD, telle que relatée à la page 8581 du JORF Sénat session ordinaire 2009-2010, compte-rendu intégral de la séance du 13 octobre 2009.]]. ».

Pourtant, il apparaît lors des « débats » que cette réalité tenant de la substance même de la normativité ait été perçue comme incongrue par la commission qui a eu à étudier l’amendement. En effet, le rapporteur de ladite commission s’exprime de la sorte : « Cet amendement nous a laissés quelque peu perplexes : une loi est constitutionnelle ou pas. Nous ne nous intéressons pas ici au contrôle de constitutionnalité de la jurisprudence, qui est indépendante du texte de la loi. À la limite, cette question pourrait être traitée au titre de ce que l'on appelle le « changement de circonstances ». En tout état de cause, la commission émet un avis défavorable [[Intervention de Monsieur le sénateur Hugues PORTELLI, rapporteur, telle que relatée à la page 8581 du JORF Sénat session ordinaire 2009-2010, compte-rendu intégral de la séance du 13 octobre 2009.]]. ». Ainsi, à la lecture des mots du rapporteur, il est possible de constater que l’appréhension de la mécanique normative par la commission est quelque peu parcellaire. En effet, la commission semble appréhender la constitutionnalité comme une sorte d’axiome dont le caractère évident tient en le fait qu’une « […] loi est constitutionnelle ou pas […] » omettant maladroitement que l’activité de contrôle de constitutionnalité est indissociable de la démarche interprétative. En tout état de cause, la pratique, par le Conseil Constitutionnel, de la technique de la réserve d’interprétation [[Décision n°59-2 DC du Conseil constitutionnel du 24 juin 1959 : « Sont déclarés conformes à la Constitution, sous réserve des observations qui suivent, les articles du règlement de l'Assemblée nationale ci-après mentionnés : Article 48-6 : Pour autant que ces dispositions ne prévoient un vote de l'Assemblée nationale que sur les propositions arrêtées par la Conférence des Présidents en complément des affaires inscrites par priorité à l'ordre du jour, sur décision gouvernementale, conformément aux dispositions de l'article 48 de la Constitution ». Voir également : Considérant n°31 de la décision n° 99-419 DC du Conseil constitutionnel en date du 9 novembre 1999 ; Considérants n°9, 12 à 16 de la décision n° 99-423 DC du Conseil constitutionnel en date du 13 janvier 2000 ; Considérant n°13 de la décision n°2000-436 DC du Conseil constitutionnel en date du 7 décembre 2000.]] est une indiscutable démonstration de l’existence d’une dichotomie législative matérialisée par le texte de la loi et l’effet utile de la norme. Par conséquent, la réserve d’interprétation pose une alternative au caractère binaire [[Thierry DI MANNO : « Par cette technique non prévue par les textes et purement prétorienne, le Conseil constitutionnel s’affranchit du carcan du schéma décisionnel binaire, pour agir directement sur la substance normative de la loi afin de la mettre en harmonie avec les exigences constitutionnelles ».]] du contrôle de constitutionnalité, c’est-à-dire que cette technique sort le contrôle du classique « […] loi est constitutionnelle ou pas […] ». Il y a une troisième voie car la réserve d’interprétation pose une conformité constitutionnelle conditionnelle.

 

L’interprétation d’une loi, c’est-à-dire la mise en œuvre de son effet utile, peut-être déviante et rendre la loi non conforme à la constitution dans son application concrète. C’est ce point de vue qui était plaidé par l’amendement n°1 [[Intervention de Monsieur le sénateur Jacques MÉZARD, telle que relatée à la page 8581 du JORF Sénat session ordinaire 2009-2010, compte-rendu intégral de la séance du 13 octobre 2009.]], mais ce dernier n’a pas reçu d’avis favorable. Cependant, en pratique, cette position, c’est-à-dire l’avis défavorable de la commission, n’a pas reçu d’effet utile par le juge constitutionnel, car ce dernier interprète [[Considérant n°2 de la décision n°2010-39 QPC du Conseil constitutionnel en date du 6 octobre 2010 : « […] que ces dispositions prévoient notamment que la disposition législative contestée doit être « applicable au litige ou à la procédure » ; qu'en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition ; […] ». Considérant n°4 de la décision n°2010-52 QPC du Conseil constitutionnel en date du 14 octobre 2010. Considérant n°4 de la décision n°2010-96 QPC du Conseil constitutionnel en date du 4 février 2011. Considérant n°9 de la décision n°2011-120 QPC du Conseil constitutionnel en date du 8 avril 2011. Considérant n°5 de la décision n°2010-127 QPC du Conseil constitutionnel en date du 6 mai 2011.]] l’article 23-1 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 comme lui octroyant la capacité de jauger la constitutionnalité de l’interprétation d’une loi. C’est à ce titre que reléguer la constitutionnalité de l’interprétation d’une loi par le juge ordinaire au rang de « changement de circonstance [[Intervention de Monsieur le sénateur Hugues PORTELLI, rapporteur, telle que relatée à la page 8581 du JORF Sénat session ordinaire 2009-2010, compte-rendu intégral de la séance du 13 octobre 2009.]] » confirme le fait que la commission dissocie la loi (le texte) de son effet utile (sa compréhension et sa mise en œuvre). En outre, cette conception de la notion de « changement de circonstance » n’est pas celle posée par le juge constitutionnel [[Considérant n°13 de la décision n° 2009-595 DC du Conseil constitutionnel en date du 3 décembre 2009 : « […] qu’en réservant le cas du « changement des circonstances », elle conduit à ce qu’une disposition législative déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel soit de nouveau soumise à son examen lorsqu’un tel réexamen est justifié par les changements intervenus, depuis la précédente décision, dans les normes de constitutionnalité applicables ou dans les circonstances, de droit ou de fait, qui affectent la portée de la disposition législative critiquée ; […].]] ».

 

D’un point de vue organisationnel, la QPC crée un lien processuel entre les Cours souveraines du dualisme des ordres juridictionnels (Cour de cassation et Conseil d’État) et le Conseil constitutionnel. Ainsi, la soumission au contrôle de constitutionnalité de l’interprétation donnée à une loi par lesdites Cours souveraines insert manifestement ces dernières dans une logique ordinale. En effet, l’interprétation de la loi est la charge principale du juge. Par conséquent, l’insertion dudit juge au sein d’un ordre juridictionnel a pour effet principal d’administrer l’effet utile de la loi. Ainsi, le juge attributaire du contrôle de l’interprétation de la loi réalisée par une autre juge ne peut qu’être considéré comme l’entité suprême de l’ordre qu’elle compose. Du coup, dans ce schéma, si une question prioritaire de constitutionnalité peut porter sur l’interprétation d’une disposition législative cela ne fait-il pas de facto du Conseil constitutionnel une Cour suprême des Cours « souveraines » du dualisme des ordres juridictionnels (Cour de cassation et Conseil d’État) ?

 

  1. La consécration prétorienne du contrôle de l’inconstitutionnalité de l’interprétation de la loi

 

La pesanteur de la question du contrôle de constitutionnalité de l’interprétation de la loi repose sur le fait que le produit de ce processus intellectuel [[Ou « processus intérieur » voir : Hans KELSEN, « Théorie générale des normes » ; Traduit de l’allemand par Olivier BEAUD et Fabrice MALKANI ; Léviathan – PUF. Hans KELSEN, « Théorie générale du droit et de l’état » ; traduit par Béatrice LAROCHE et Valérie FAURE ; LGDJ/BRUYLANT – La pensée juridique. Han KELSEN, « Théorie pure du droit » ; traduit par Charles EISANMANN ; DALLOZ (1962).]] porte l’effet utile de la loi et constitue la charge principale des autorités judiciaires. Dès lors, il n’est pas surprenant que les hautes Cours du dualisme des ordres juridictionnels aient manifesté un positionnement d’évitement de transmission de Questions Prioritaires de Constitutionnalité (QPC) relatives à la soumission de leurs jurisprudences au contrôle de constitutionnalité (A). Toutefois, si la fronde des juges supérieures du dualisme des ordres juridictionnels est compréhensible, la consécration de la faculté de contrôle constitutionnel de la jurisprudence assure la pleine effectivité de la QPC (B).

 

  1. Le mobile de la fronde des Cours souveraines du dualisme des ordres juridictionnels

 

L’interprétation est un outil indispensable à la révélation « d’un sens » du texte objet de l’analyse. Dès lors, le processus interprétatif et son résultat sont indispensables à la réalisation concrète du substrat normatif conçu par le Législateur. Cet outil de mise en application de la loi, permet la découverte ou la mise en accessibilité du contenu de cette dernière. Ainsi, au regard du principe de la séparation des pouvoirs constitutionnels, la jurisprudence se pose comme un outil fondamental à la pertinence de l’exécution par le juge de son office [[Voir notamment les articles 4 et 5 du Code civil. Voir également extrait du discours préliminaire du premier projet de Code civil présentée en l’an IX par PORTALIS, TRONCHET, BIGOT-PREAMENEU et MALEVILLE : « […] Il y a une science pour les législateurs, comme il y en a une pour les magistrats ; et l'une ne ressemble pas à l'autre. La science du législateur consiste à trouver dans chaque matière, les principes les plus favorables au bien commun : la science du magistrat est de mettre ces principes en action, de les ramifier, de les étendre, par une application sage et raisonnée, aux hypothèses privées ; d'étudier l'esprit de la loi quand la lettre tue, […] ».]]. Acte collaboratif [[Extrait du discours préliminaire du premier projet de Code civil présentée en l’an IX par PORTALIS, TRONCHET, BIGOT-PREAMENEU et MALEVILLE : […] Il faut que le législateur veille sur la jurisprudence ; il peut être éclairé par elle, et il peut, de son côté, la corriger ; mais il faut qu'il y en ait une. […] ». ]] [ou de synergie] au sein de la séparation des pouvoirs constitutionnels, la jurisprudence se révèle être l’indispensable garantie de la réalisation de l’effet utile du travail du Législateur. L’autorité de la loi et, par voie de conséquence, l’efficacité du travail du Législateur sont tributaires de l’organe détenteur du sens véritablement [[Extrait du discours préliminaire du premier projet de Code civil présentée en l’an IX par PORTALIS, TRONCHET, BIGOT-PREAMENEU et MALEVILLE : « […] la science du magistrat est de mettre ces principes en action, de les ramifier, de les étendre, par une application sage et raisonnée, aux hypothèses privées ; d'étudier l'esprit de la loi quand la lettre tue, […] ».]] donné à la norme. Cette charge fonctionnelle de base est celle du juge. Ce dernier doit dire le droit afin de trancher les litiges. Il doit transmuter le principe porté par la loi afin qu’il devienne une solution concrète pour terminer une situation contentieuse. Le processus interprétatif et son résultat sont le support substantiel de la souveraineté d’une instance juridictionnelle. Ainsi, est susceptible de diluer ou de supprimer la souveraineté d’un juge, tout mécanisme qui aurait pour effet de soumettre au moins le résultat du processus interprétatif de ce dernier à un contrôle. De ce point de vue, le recours extraordinaire, qu’est le pourvoi en cassation, est un mécanisme qui a pour effet de soumettre le résultat du processus interprétatif d’un juge à un contrôle. Ainsi, lorsque la décision juridictionnelle, rendue en dernier ressort, est susceptible de subir le contrôle d’un autre juge alors ce dernier détient une autorité décisionnelle et est le seul à véritablement organe titulaire d’une souveraineté juridictionnelle.

 

L’efficacité juridictionnelle et l’efficacité processuelle du pourvoi en cassation font de la Cour de cassation [[Article 605 du Code de procédure civile : « Le pourvoi en cassation n'est ouvert qu'à l'encontre de jugements rendus en dernier ressort. ».]] et du Conseil d’État [[Article L821-1 du Code de justice administratif : « Les arrêts rendus par les cours administratives d'appel et, de manière générale, toutes les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions administratives peuvent être déférés au Conseil d'État par la voie du recours en cassation. ».]], les seules Cours souveraines du dualisme des ordres juridictionnels. Cette stature pose les Cours souveraines du dualisme des ordres juridictionnels comme les principales garantes de la sauvegarde de l’intégrité [[Article 604 du Code de procédure civile : « Le pourvoi en cassation tend à faire censurer par la Cour de cassation la non-conformité du jugement qu'il attaque aux règles de droit. ». Article L121-1 du Code de justice administratif : « Le Conseil d'État est la juridiction administrative suprême. Il statue souverainement sur les recours en cassation dirigés contre les décisions rendues en dernier ressort par les diverses juridictions administratives ainsi que sur ceux dont il est saisi en qualité de juge de premier ressort ou de juge d'appel. ».]] de l’effet utile de la loi sur tout le territoire de la République française. Il est donc perceptible que la source du pouvoir, de l’autorité et de la souveraineté de la Cour de cassation ainsi que du Conseil d’État, relève de la paranormativité ou normativité dérivée attribuée au résultat de l’interprétation de la loi. À ce titre, il est compréhensible que la Cour de cassation ainsi que le Conseil d’État aient formé, durant un temps, une fronde [[Opposition de la Cour de cassation : Décision n°09-83.328, 09-82.582, 09-87.307 en date du 19 mai 2010 ; décision n°09-70.161 en date du 19 mai 2010 ; décision n°09-87.578 en date du 31 mai 2010 ; décision n°09-87.884 en date du 11 juin 2010 ; décision n°10.83.090 en date du 5 octobre 2010. Opposition du Conseil d’État : décision n°338638 en date du 18 juin 2010 ; décision n°334665 en date du 16 juillet 2010.]] face à l’ouverture de la procédure du contrôle de constitutionnalité à l’encontre de l’interprétation qui aurait été faite de la loi par lesdites juridictions souveraines. En effet, la soumission de l’interprétation de la loi au contrôle de constitutionnalité aura pour effet de soumettre le résultat du processus interprétatif des Cours souveraines du dualisme des ordres juridictionnels au contrôle d’un autre juge, le Conseil constitutionnel. Ce dernier détiendra une autorité décisionnelle et sera, par la voie préjudicielle, le seul véritable titulaire d’une souveraineté juridictionnelle. Toutefois, du fait du fonctionnement du mécanisme de la QPC, la consolidation de cet état est tributaire de l’effort collaboratif des Cours souveraines du dualisme des ordres juridictionnels. En effet, il se posait alors la question de l’impartialité du filtre de la Cour de cassation ainsi que du Conseil d’État vis-à-vis de la critique de la constitutionnalité de leurs jurisprudences par devant le juge constitutionnel.

 

Les articles 23-2 et 23-4 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, mais également l’article 23-6 [[Article 12 de la loi organique n° 2010-830 du 22 juillet 2010 relative à l'application de l'article 65 de la Constitution : « L'article 23-6 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel est abrogé. ». Voir également article 1er du décret n°2010-1216 du 15 octobre 2010 relatif à la procédure d’examen des questions prioritaires de constitutionnalité devant la Cour de cassation.]] du même texte, offraient l’opportunité à la Cour de cassation et au Conseil d’État de distraire les justiciables du recours QPC, lorsque ces derniers demandaient le contrôle de l’inconstitutionnalité d’une de leurs jurisprudences. Cette frustration juridictionnelle est, en elle-même, conforme à la perception qui dominait [[« […] Nous ne nous intéressons pas ici au contrôle de constitutionnalité de la jurisprudence, qui est indépendante du texte de la loi. […] : Intervention de Monsieur le sénateur Hugues PORTELLI, rapporteur, telle que relatée à la page 8581 du JORF Sénat session ordinaire 2009-2010, compte-rendu intégral de la séance du 13 octobre 2009.]] lors des travaux parlementaires, notamment au Sénat. En effet, le rapporteur, monsieur le sénateur Hugues PORTELLI, doutait du caractère sérieux de l’amendement proposé par mesdames Anne-Marie ESCOFFIER et Françoise LABORDE, messieurs Y. COLLIN et Jacques MÉZARD.

Ainsi, dans le dispositif de ses décisions [[Voir notamment décision n°09-83.328, de la Cour de cassation en date du 19 mai 2010 : « […] Et attendu qu'aux termes de l'article 61-1 de la Constitution, la question dont peut être saisi le Conseil constitutionnel est seulement celle qui invoque l'atteinte portée par une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que la question posée tend, en réalité, à contester non la constitutionnalité des dispositions qu'elle vise, mais l'interprétation qu'en a donnée la Cour de cassation au regard du caractère spécifique de la motivation des arrêts des cours d'assises statuant sur l'action publique ; que, comme telle, elle ne satisfait pas aux exigences du texte précité ; […] ».]] , afin d’exclure la possibilité de la soumission d’une jurisprudence à une QPC, la Cour de cassation excipe que l’article 61-1 de la Constitution prescrit que les questions dont peut être saisi le Conseil constitutionnel sont uniquement celles qui invoquent une atteinte portée par une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit.

 

  1. Le caractère non sérieux du refus de transmission de la QPC portant sur l’interprétation de la loi

 

La transmission d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) au Conseil constitutionnel par la Cour de cassation et le Conseil d’État est soumise à la réalisation de trois conditions. À titre préliminaire, la norme querellée doit être le support substantiel du litige. Ensuite, sauf changement de circonstance, ladite norme ne doit pas avoir déjà subi un contrôle du juge constitutionnel. Enfin, la question de constitutionnalité posée doit être nouvelle ou doit présenter un caractère sérieux. Il faut souligner que la structure méthodologique du filtre de la QPC est d’une limpidité cartésienne. La cascade logique posée par les trois niveaux de validation (ou d’invalidation) de la transmission de la question prioritaire plaide, a priori, pour une franche transparence.

 

Le premier niveau de révélation de la transmissibilité de la question prioritaire est assimilable au premier degré de pertinence d’une question. Autrement dit, la question est-elle hors sujet ? De facto et de jure elle est manifestement hors sujet si l’interrogation porte sur une disposition non applicable au litige ou qui n’est pas le fondement juridique substantiel de la demande introductive ou reconventionnelle. Une question affectée d’un tel vice est indiscutablement dilatoire. Par conséquent, elle est non pertinente au regard de l’objectif d’apurement du litige.

 

Le deuxième niveau de révélation de la transmissibilité de la QPC relève de la sempiternelle règle du non bis in idem. Autrement dit, la question est exempte de pertinence si la lecture de la jurisprudence du juge constitutionnel y apporte déjà une solution. L’effet utile de la QPC ne consiste pas, dans un contexte identique (c’est-à-dire pas de changement de circonstance), à dire ce qui a déjà été dit lors de l’analyse d’un même texte ni à contredire ce qui a déjà été dit. En tout état de cause, les deux premiers niveaux posent l’ossature et prescrivent les critères de détermination de la pertinence de la question. De ce fait, le justiciable semble devoir profiter d’une certaine prévisibilité quant à l’aboutissement de sa demande en QPC. En effet, les deux premières conditions devraient permettre aux plaideurs de s’octroyer, autant que possible, une chance de voir aboutir leurs demandes en QPC tant il est perceptible que le troisième niveau de révélation de la transmissibilité semble tomber dans la redondance.

 

Il est entendu que l’article 23-4 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 offre alternativement deux hypothèses. Ces dernières sont subséquentes à l’un ou à l’autre des deux premiers niveaux de pertinence. Par conséquent, lorsqu’une question n’a pas déjà été posée a posteriori  ou a priori sur la conformité d’une loi à la Constitution dans les motifs et dispositifs d’une décision du Conseil constitutionnel,  ladite question devrait, en toute logique, être appréhendée comme nouvelle. Si bien que même ayant déjà subi un contrôle de constitutionnalité, la question reste nouvelle lorsque la disposition législative querellée est confrontée pour la première fois [[Considérant n°21 de la décision n°2009-595 DC, du Conseil constitutionnel en date du 3 décembre 2009 : « […] Considérant, en premier lieu, que la dernière phrase du premier alinéa de l'article 23-4 et la dernière phrase du troisième alinéa de l'article 23-5 prévoient que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité si " la question est nouvelle " ; que le législateur organique a entendu, par l'ajout de ce critère, imposer que le Conseil constitutionnel soit saisi de l'interprétation de toute disposition constitutionnelle dont il n'a pas encore eu l'occasion de faire application ; que, dans les autres cas, il a entendu permettre au Conseil d'État et à la Cour de cassation d'apprécier l'intérêt de saisir le Conseil constitutionnel en fonction de ce critère alternatif ; que, dès lors, une question prioritaire de constitutionnalité ne peut être nouvelle au sens de ces dispositions au seul motif que la disposition législative contestée n'a pas déjà été examinée par le Conseil constitutionnel ; que cette disposition n'est pas contraire à la Constitution ; […] ».]] à l’effet utile d’une disposition constitutionnelle non invoquée dans les motifs et dispositifs d’une décision antérieure du Conseil constitutionnel sur le même texte législatif. C’est dans ce sens que la décision n°2009-595 DC du Conseil constitutionnel appréhende le caractère nouveau de la QPC. Au-delà du préliminaire qui tient au fait que la question n’est pas hors sujet et bien que cette dernière ne soit pas nouvelle au sens de la décision n°2009-595 DC car la disposition législative aurait déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, si un changement de circonstance est caractérisé, à défaut de nouveauté, la question acquiert un caractère sérieux du fait de son contexte.

L’équation qui doit permettre de décider de la transmission de la QPC au juge constitutionnel ne manque donc pas de lisibilité. De ce point de vue, il est appréhendable une certaine mécanique garantissant la prévisibilité de l’issue de la demande en QPC. Cependant, un bémol doit être relevé. La prévisibilité de la transmissibilité de la QPC est tributaire de la marge d’appréciation que s’octroient la Cour de cassation et le Conseil d’État dans la mise en œuvre de la portée effective du filtre notamment lors de l’analyse du caractère sérieux de la QPC. Via cette locution élastique, les Cours souveraines du dualisme des ordres juridictionnels donnent notamment au troisième niveau de filtre un effet utile qui a vocation à ne pas contrarier leurs aspirations ou, au moins, qui doit conserver leurs autorités sur l’interprétation de la loi. Il ne faut pas oublier que jusqu’à l’institution de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), les Cours souveraines du dualisme des ordres juridictionnels constituaient l’autorité ultime de l’effectivité du légalisme.

Dès lors, il y a comme un effet de « contre-feu », lorsque par leur interprétation de l’article 23-4 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958, les Cours souveraines du dualisme des ordres juridictionnels spolient la QPC de sa finalité substantielle qui est la vérification, au regard de la Constitution, de la portée effective [[Article 61-1 de la Constitution : « […] il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, […] ».]] de la loi.

 

L’effet de « contre-feu » est le paradoxe matérialisé par le fait que l’interprétation, de l’article 61-1 de la Constitution et de l’article 23-4 de l’ordonnance de1958, qui était posée par la Cour de cassation et le Conseil d’État interdisait la transmissibilité d’une QPC dont l’objet portait sur la conformité constitutionnelle de l’interprétation d’une loi. C’est de cette réalité qu’il ressortait le caractère non sérieux du refus de transmission d’une QPC relative à l’interprétation d’une loi. Dans ses décisions [[Notamment : Décision n°09-83.328 en date du 19 mai 2010 ; décision n°09-87.578 en date du 31 mai 2010 ; décision n°09-87.884 en date du 11 juin 2010.]] de refus de la transmission, la Cour de cassation pose l’essentiel de son argumentaire [[Décision n°09-83.328, de la Cour de cassation en date du 19 mai 2010 : « […] Mais attendu que la question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle ; Et attendu qu'aux termes de l'article 61-1 de la Constitution, la question dont peut être saisi le Conseil constitutionnel est seulement celle qui invoque l'atteinte portée par une disposition législative aux droits et libertés que la Constitution garantit ; que la question posée tend, en réalité, à contester non la constitutionnalité des dispositions qu'elle vise, mais l'interprétation qu'en a donnée la Cour de cassation au regard du caractère spécifique de la motivation des arrêts des cours d'assises statuant sur l'action publique ; que, comme telle, elle ne satisfait pas aux exigences du texte précité ; […] ».]] sur le fait que, d’une part, la QPC ne porte pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le juge constitutionnel n’a pas eu l’occasion de faire application. D’autre part, il était excipé que la demande en QPC portant sur l’interprétation d’une loi ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 61-1 de la Constitution. Comparaison faite des deux moyens précédemment excipés afin de prononcer le non-lieu à transmission de la QPC. Le second moyen est le plus déviant au regard de la mission confiée aux Cours souveraines. L’article 61-1 de la Constitution prescrit le fait que « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation […] ». Sauf mauvaise foi ou partialité, il est manifeste que l’effet utile par le Constituant dans l’institution de la QPC vise à permettre aux justiciables de soumettre au contrôle du juge constitutionnel la mise en œuvre effective d’une loi. L’unique opportunité, dont dispose un texte législatif, pour porter atteinte aux droits et aux libertés que la Constitution garantit, réside dans les effets réellement produits par la mise en œuvre effective du substrat normatif contenu par la loi. Selon toute logique, ce n’est (presque) jamais la disposition législative qui de sa seule existence porte atteinte aux droits et aux libertés, mais l’usage qui en est fait et la compréhension qui en est posée. À ce titre, sur la base de la portée réelle de l’article 61-1 de la Constitution, n’est pas sérieux le refus de transmission d’une QPC portant sur l’interprétation de la loi. Il y avait là une dénaturation caractérisée de la finalité du texte précité.

 

  1. L’impact juridictionnel du contrôle de l’inconstitutionnalité de l’interprétation de la loi

 

Plusieurs décisions [[Décisions de la Cour de cassation : pourvoi n°10-10.385 en date du 8 juillet 2010 ; pourvoi n°11-40.017 en date du 30 juin 2011 ; pourvoi n°11-40.018 en date du 30 juin 2011. Décision du Conseil d’État : pourvoi n°322419 en date du 15 juillet 2010.]] de la Cour de cassation et du Conseil d’État matérialisent le changement de position de ces autorités sur la question de la transmission des QPC relatives à l’interprétation faite de la loi. Désormais [[Décisions de la Cour de cassation : pourvoi n°18-21.567 en date du 14 mars 2019.]] saisissable d’un tel contrôle, il est utile de jauger l’impact réel de ce renvoi préjudiciel relatif à la constitutionnalité de la portée effective de la loi.

 

  1. Le renvoi préjudiciel relatif à la constitutionnalité de la portée effective de la loi

 

Après avoir opposé un refus systématique de transmission de la Question Prioritaire de Constitutionnalité, la Cour de cassation a revue sa position et a ainsi permis au Conseil constitutionnel de consacrer une lecture de l’article 61-1 de la Constitution plus favorable à l’épanouissement de la QPC. Par les décisions n°2010-39 QPC (6 octobre 2010) et n°2010-52 QPC (14 octobre 2010) le juge constitutionnel affirme sans ambiguïté « […] qu'en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition […] ». Bien qu’attendue, cette solution du Conseil constitutionnel appel tout de même deux observations.

 

Dans un premier temps, il est souligné que seule une « interprétation jurisprudentielle constante » peut être l’objet d’une QPC. Dès lors, reste à savoir qu’elle est la fréquence nécessaire, ou encore qu’elle est l’intensité (type de juridiction et/ou de formation) exigible, afin qu’une solution posée à un litige par un juge puisse être qualifiée (au regard de la lecture consacrée de l’article 61-1 de la Constitution) d’interprétation jurisprudentielle constante. Les deux décisions du juge constitutionnel permettent d’affirmer que le caractère constant de l’interprétation jurisprudentielle n’est tributaire ni de l’ancienneté [[Considérant n°3 de la décision n°2010-96 QPC, du Conseil constitutionnel en date du 4 février 2011 : « […] Considérant qu'il ressort des arrêts de la Cour de cassation du 2 février 1965, confirmés depuis […] ».]] d’une position ni même de la nouveauté [[Considérant n°3 de la décision n°2010-39 QPC, du Conseil constitutionnel en date du 6 octobre 2010 : « […] Considérant que l'article 365 du code civil fixe les règles de dévolution de l'autorité parentale à l'égard d'un enfant mineur faisant l'objet d'une adoption simple ; que, depuis l'arrêt du 20 février 2007 susvisé, la Cour de cassation juge de manière constante que […] ».]] de celle-ci. Le caractère constant de l’interprétation jurisprudentielle doit être déduit principalement de la répétition d’une même solution sur une même question de droit sans anicroche matérialisée par un revirement ou par une opposition de vue entre deux juridictions de même niveau au sein du même ordre juridictionnel. Par définition, un revirement [[Dans une décision n° 32820/08, « Boumaraf contre France », de la CEDH en date du 30 août 2011, il est rappelé l’obligation de motiver les revirements de jurisprudence, et il est précisé les contours de la notion de jurisprudence « bien établie ».]] de jurisprudence met un terme au caractère constant d’une interprétation jurisprudentielle qui pouvait être considérée comme bien établie. De l’éclaircissement de ce qui doit être entendu lors de l’usage de la locution « interprétation jurisprudentielle constante » découle la nécessaire question de savoir de qu’elle niveau hiérarchique doit être émis l’interprétation constante afin qu’elle entre sous l’emprise de la QPC ?

 

Le juge constitutionnel répond à cette interrogation dans une décision n°2011-120 QPC, en date du 8 avril 2011. Dans le considérant n°9 de la décision n°2011-120 QPC, le Conseil constitutionnel souligne que l’interprétation jurisprudentielle constante qui peut faire l’objet d’une QPC est uniquement celle qui découle de la juridiction placée au sommet d’un ordre juridictionnel. Cette solution consolide indiscutablement les Cours souveraines du dualisme des ordres juridictionnels comme les gardiennes de la portée effective de la loi. Si la QPC permet de soumettre au juge constitutionnel le contrôle de la conformité à la Constitution de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, le contrôle de la légalité des solutions constantes des juges du fond est de la compétence exclusive de la Cour de cassation et du Conseil d’État pour les ordres juridictionnels qui sont sous leurs autorités respectives. Dans cette répartition des charges qui est posée via les décisions n°2010-39 QPC (6 octobre 2010) et n°2010-52 QPC (14 octobre 2010), une zone d’inefficacité de la QPC surgit. Cette dernière ressort du deuxième temps du dispositif de la jurisprudence posée par les décisions QPC citées ci-dessus.

 

Le juge constitutionnel précise bien que le justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative. Quid [[QPC et interprétation de la loi, nov. 2010, site du Conseil constitutionnel : http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/a-la-une/novembre-2010-qpc-et-interpretation-de-la-loi.50038.html . ]] des solutions jurisprudentielles prétoriennes constantes qui purgent les litiges lorsqu’il y a « […] insuffisance de la loi [[Article 4 du Code civil.]]  […] » ?

Par deux décisions [[Décision n°11-13.488 de la Cour de cassation en date du 27 septembre 2011 ; décision n°12-40.100 de la Cour de cassation en date du 27 février 2013.]], la Cour de cassation consolide son ralliement à la position du Conseil constitutionnel dans sa lecture de l’article 61-1 de la Constitution. La juridiction souveraine de l’ordre juridictionnel judiciaire se soumet au fait qu’il « […] a été décidé que tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, sous la réserve que cette jurisprudence ait été soumise à la Cour suprême compétente […] ». Cependant, la reprise de cette jurisprudence semble devoir servir de tremplin afin de donner une impulsion à un rebondissement d’un degré supérieur, car, dans le même temps, la Cour de cassation souligne que la lecture donnée de l’article 61-1 de la Constitution par le Conseil constitutionnel interdit que soit considérée comme recevable une QPC qui se « […] borne à contester une règle jurisprudentielle sans préciser le texte législatif dont la portée serait, en application de cette règle, de nature à porter atteinte […] » aux droits et libertés que la Constitution garantit.

À l’occasion de la décision n°11-13.488 et de la décision n°12-40.100, la Cour de cassation fait la découverte d’une opportunité que les jurisprudences prétoriennes, c’est-à-dire les solutions qui semblent n’avoir aucune attache législative franche, puisse échapper à l’emprise de la QPC. Toutefois, il faut mettre en relief le fait que cette opportunité est d’autant plus précaire qu’elle est tributaire de la maladresse (ou du manque d’inspiration) du plaideur dans la formulation [[Décision n°11-13.488 : « […] La règle jurisprudentielle suivant laquelle un tiers peut être tenu au titre de sa responsabilité d'indemniser une personne d'une sanction pécuniaire ayant la nature d'une peine est-elle contraire au principe constitutionnel de personnalité des peines résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait ? […] ». Décision n°12-40.100 : « […] la jurisprudence de la Cour de cassation édictée dans son arrêt du 23 novembre 2007 porte-t-elle atteinte aux droits et libertés garantis par les articles 37 et 39 de la Constitution de 1958 ainsi que l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ? […] ».]] de la QPC. La première décision de la Cour de cassation, c’est-à-dire celle issue du pourvoi n°11-13.488, a pour cause principale une action en responsabilité pour faute professionnelle d’un notaire. Ce dernier devait réaliser une déclaration fiscale pour un client. Une erreur d’expertise fait subir au client un redressement fiscal. Logiquement, la victime de l’erreur d’expertise sollicite et obtient la réparation du préjudice qu’elle a subi. La condamnation du professionnel défaillant au versement de dommages et intérêts à fins de réparation intégrale du préjudice subi par le client était d’un montant identique au quantum du redressement fiscal. Il s’agit là d’une simple application du régime juridique de la responsabilité civile contractuelle notamment prescrite par l’ancien article 1147 (nouvel article 1231-1) du Code civil. Par conséquent, la question aurait pu être formulée ainsi : « au regard de la portée effective attribuée à l’ancien article 1147 du Code civil par une interprétation constante de la Cour de cassation, consistant à faire qu’un tiers peut être tenu  au titre de sa responsabilité d'indemniser une personne d'une sanction pécuniaire ayant la nature d'une peine est-elle contraire au principe constitutionnel de personnalité des peines résultant des articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait ? » Cette question formulée de la sorte, il est fort probable que la sanction n’eut pas été l’irrecevabilité de la QPC, mais la transmission ne serait pas acquise pour autant dans la mesure où sur le fond la question n’est pas sérieuse, car il s’agit d’une « banale » question de faute professionnelle.

La seconde décision de la Cour de cassation, c’est-à-dire celle issue du pourvoi n°12-40.100, se soumet également à une analyse similaire à celle précédemment réalisée. Dans cette affaire, la disposition législative dont l’interprétation est mise en cause est l’ancien article 340 du Code civil (nouveaux articles 310-3 et 327 du Code civil).

En vérité, coups d’épée dans l’eau, la décision n°11-13.488 et la décision n°12-40.100, de la Cour de cassation ne mettent pas en péril la jurisprudence du juge constitutionnel selon laquelle : « […] tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère […] » à une disposition législative. Il s’agit davantage de décisions qui mettent en relief l’impérative nécessité pour les plaideurs de faire l’effort de procéder au rattachement (de la manière la moins artificielle possible) des jurisprudences à une disposition législative.

 

Désormais posée en situation d’efficacité réelle, la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC), notamment sous son aspect de renvoi préjudiciel relatif à la constitutionnalité de la portée effective de la loi, devrait permettre au Conseil constitutionnel de s’épanouir en tant que juge constitutionnel a posteriori. Ce mouvement qui a vocation à finaliser la compétence du Conseil constitutionnel détient-il la faculté de faire de cette juridiction la Cour suprême du système juridictionnel français ?

 

  1. La Cour suprême de l’ordre juridictionnel transversal et incident

 

La notion de « Cour suprême » est un terme générique habituellement utilisé afin de caractériser la juridiction qui, au sein d’un système juridictionnel, ne subit le contrôle d’aucune autre juridiction. Mais cela suffit-il réellement à obtenir une appréhension complète du concept de « Cour suprême » ?

 

Manifestement, cette définition liminaire et très utilisée de la locution « Cour suprême » permet de dire sans obligation de démonstration, qu’au sein du système juridictionnel français, les juges du fond, c’est-à-dire les juridictions de premier degré (Tribunal judiciaire, Tribunal de commerce, Conseil de Prud’hommes, Tribunal de police, Tribunal correctionnel… ; Tribunal Administratif…) et celles de second degré (Cour d’Appel [CA], Cour Administrative d’Appel [CAA]…) ne sont pas des Cours suprêmes. Pour cause, ces juridictions constituent la base de leurs ordres juridictionnels respectifs. Cependant, est-ce que cela permet d’en conclure que le fait pour une juridiction qu’elle ne puisse être caractérisée de « suprême », lui interdit toute souveraineté juridictionnelle. Il est admis dans la pratique de la justice administrative [[Article L321-1 Code de justice administrative : « Les cours administratives d'appel connaissent des jugements rendus en premier ressort par les tribunaux administratifs, sous réserve des compétences que l'intérêt d'une bonne administration de la justice conduit à attribuer au Conseil d'État et de celles définies aux articles L. 552-1 et L. 552-2. » ; Article L331-1 Code de justice administrative : « Le Conseil d'État est seul compétent pour statuer sur les recours en cassation dirigés contre les décisions rendues en dernier ressort par toutes les juridictions administratives. ».]] et notamment prescrit par le Code de l’organisation judiciaire [[Article L311-1 : « La cour d'appel connaît, sous réserve des compétences attribuées à d'autres juridictions, des décisions judiciaires, civiles et pénales, rendues en premier ressort. La cour d'appel statue souverainement sur le fond des affaires. » ; Article L411-2 : « La Cour de cassation statue sur les pourvois en cassation formés contre les arrêts et jugements rendus en dernier ressort par les juridictions de l'ordre judiciaire. La Cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires, sauf disposition législative contraire. » ; Article L411-3 : « La Cour de cassation peut […], en cassant sans renvoi, mettre fin au litige lorsque les faits, tels qu'ils ont été souverainement constatés et appréciés par les juges du fond, lui permettent d'appliquer la règle de droit appropriée. […] ».]]  (ainsi que le Code de procédure civile [[Article 604 du Code de procédure civile : « Le pourvoi en cassation tend à faire censurer par la Cour de cassation la non-conformité du jugement qu'il attaque aux règles de droit. ».]]) que la souveraineté d’une juridiction existe même en l’absence de caractère « suprême ». Les juridictions de second degré (CA et CAA) ainsi que celles du premier degré statuant en premier et dernier ressort, sont souveraines dans la qualification, la constatation et l’appréciation des faits. De jure, elles ont une autorité et une souveraineté indiscutable sur le fond de la cause. Cependant, la Cour de cassation et le Conseil d’État ont une autorité sur la portée effective du droit applicable et appliqué par les juges du fond. C’est ainsi que le pourvoi en cassation  [[Pour le Conseil d’État : Article L331-1 Code de justice administrative : « Le Conseil d'État est seul compétent pour statuer sur les recours en cassation dirigés contre les décisions rendues en dernier ressort par toutes les juridictions administratives. » ; Pour la Cour de cassation : Article 604 du Code de procédure civile : « Le pourvoi en cassation tend à faire censurer par la Cour de cassation la non-conformité du jugement qu'il attaque aux règles de droit. ».]], sans être un recours contre l’appréciation des faits, peut remettre en question la solution juridique posée par les juridictions du fond.

Le pourvoi en cassation permet à la Cour de cassation et au Conseil d’État d’annuler les décisions prises par les juridictions de second degré ainsi que celles du premier degré statuant en premier et dernier ressort. L’annulation de la décision juridictionnelle non conforme à la loi ou à la portée effective que lui en donne la Cour de cassation et le Conseil d’État, provoque généralement le renvoi [[Voir article L821-2 du Code de justice administrative (« S'il prononce l'annulation d'une décision d'une juridiction administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d'État peut soit renvoyer l'affaire devant la même juridiction statuant, sauf impossibilité tenant à la nature de la juridiction, dans une autre formation, soit renvoyer l'affaire devant une autre juridiction de même nature, soit régler l'affaire au fond si l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie. Lorsque l'affaire fait l'objet d'un second pourvoi en cassation, le Conseil d'État statue définitivement sur cette affaire. ») ; Article 638 du Code de procédure civile (« L'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation. ») et article L431-4 du Code de l’organisation judiciaire (« En cas de cassation, l'affaire est renvoyée, sous réserve des dispositions de l'article L. 411-3, devant une autre juridiction de même nature que celle dont émane l'arrêt ou le jugement cassé ou devant la même juridiction composée d'autres magistrats. Lorsque le renvoi est ordonné par l'assemblée plénière, la juridiction de renvoi doit se conformer à la décision de cette assemblée sur les points de droit jugés par celle-ci. »).]] de l’affaire afin qu’elle soit de nouveau jugée en droit et en fait. Malgré la possibilité d’une rébellion des juridictions du premier renvoi, le second renvoi impose la doctrine de la juridiction de cassation.

C’est cette réalité procédurale qui permet de qualifier, la Cour de cassation et le Conseil d’État, de Cours souveraines du dualisme des ordres juridictionnels. La lecture de la loi faite par les juridictions de cassation ne peut être contestée par les juges du fond sans risque de sanction. Cependant, si le pourvoi en cassation pose la souveraineté de la Cour de cassation et du Conseil d’État, il n’implique pas la suprématie desdites juridictions de cassation. La suprématie de la Cour de cassation et du Conseil d’État au sein de leurs ordres juridictionnels respectifs, est tributaire de l’existence ou de l’inexistence d’un recours contre les décisions de ces juridictions de cassation.

 

En tout état de cause, l’institution de la Question Prioritaire de Constitutionnalité peut-elle être appréhendée comme un recours contre les décisions des juridictions de cassation ?

 

S’il est fait une lecture simple et exégétique de l’article 61-1 de la Constitution, il doit être donné une réponse négative à la question qui précède. De prime abord, la Question Prioritaire de Constitutionnalité détient la modeste charge de ne s’intéresser « qu’aux dispositions législatives » qui portent atteinte aux droits et aux libertés que la Constitution garantit. Conformément à l’article 62 al.2 [[« […] Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. […] ».]] de la Constitution, le recours QPC prononce une sanction contre une disposition inconstitutionnelle et non contre une décision d’une juridiction de cassation (Cour de cassation ou Conseil d’État). Par conséquent, la Cour de cassation et le Conseil d’État sont des Cour suprêmes, car leurs décisions ne sont susceptibles d’aucun recours. En revanche, lorsque l’article 61-1 de la Constitution est également lu sous la perspective des décisions n°2010-39 QPC (6 octobre 2010) et n°2010-52 QPC (14 octobre 2010), il est possible de discuter tant de la suprématie que de la souveraineté de la Cour de cassation et du Conseil d’État. Lorsqu’il est octroyé à tout justiciable le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative, n’est-il pas mis sous l’emprise d’une autre juridiction, le contrôle du travail juridictionnel des juges de cassation (Cour de cassation ou Conseil d’État) ?

 

Nonobstant l’absence de recours direct à l’encontre d’un acte juridictionnel d’une juridiction, la remise en question de la jurisprudence constante de ladite juridiction n’est-elle pas un recours juridictionnel plus grave ?

 

Les juridictions de cassation sont des juges du droit. Cela signifie qu’elles sont garantes de la réalisation de la portée effective de la loi. L’efficacité substantielle des juridictions du droit est l’unification et la consécration de la portée effective de la loi. Lorsque cette efficacité fondamentale est mise en péril par les décisions des juges du fond, alors ces derniers subissent la sanction du juge de cassation. C’est à ce titre que le pourvoi en cassation est l’outil procédural qui garantit l’autorité juridictionnelle des juges de cassation sur l’interprétation de la loi. La Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) a le même effet.

Le Conseil constitutionnel est le juge qui garantit la portée effective des droits et des libertés que le bloc de constitutionnalité garantit. Lorsque ces derniers sont affectés par la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante des juges de cassation confère à la loi applicable, alors la jurisprudence constante non conforme provoque l’abrogation de la disposition législative à laquelle elle est attachée. Ainsi, s’il est vrai que la QPC ne sanctionne pas par l’annulation un acte juridictionnel, mais postule l’abrogation d’une disposition législative, c’est-à-dire un acte législatif, il faut impérativement garder à l’esprit que ce recours préjudiciel sanctionne la normativité effective de la disposition législative qui découle de la répétition d’une solution juridique par l’organe juridictionnel qui fait autorité [[Considérant n°9 de la décision n°2011-120 QPC, Conseil constitutionnel en date du 8 avril 2011 : « Considérant, en dernier lieu, que, si, en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition, la jurisprudence dégagée par la Cour nationale du droit d'asile n'a pas été soumise au Conseil d'État ; qu'il appartient à ce dernier, placé au sommet de l'ordre juridictionnel administratif, de s'assurer que cette jurisprudence garantit le droit au recours rappelé au considérant 87 de la décision du Conseil constitutionnel du 13 août 1993 ; que, dans ces conditions, cette jurisprudence ne peut être regardée comme un changement de circonstances de nature à remettre en cause la constitutionnalité des dispositions contestées ; ».]] au sein de son ordre juridictionnel.

Dans cette configuration, la sanction de la non-conformité présente une gravité certaine, car, d’une part, elle renvoie le Législateur à une meilleure rédaction ou confection du texte litigieux. D’autre part, une telle sanction renvoie les juges de cassation (la Cour de cassation et le Conseil d’État) à une meilleure lecture de la loi. De ce point de vue, ce ne sont pas la Cour de cassation et le Conseil d’État qui doivent être appréhendés comme des Cours suprêmes, mais le Conseil constitutionnel, car il ne subit aucun contrôle de sa politique jurisprudentielle. A minima, l’État français se trouve virtuellement susceptible de repenser l’organisation et/ou le fonctionnement de la juridiction constitutionnelle, si jamais la Cour européenne de sauvegarde des droits de l’Homme y trouve un manquement aux standards du « procès équitable », du « recours effectif » et du « bref délai ». Cela étant, l’élément le plus qualifiant de l’état de Cour suprême (ou au moins de contrôleur de politique jurisprudentielle) est matérialisé par la pratique de réserve d’interprétation dans le cadre d’une QPC portant sur l’interprétation de la loi. Via le recours QPC, le Conseil constitutionnel peut réajuster l’interprétation faite par la Cour de cassation (ou le Conseil d’État) d’une disposition législative afin de rendre la portée effective de ladite loi respectueuse de l’intégrité des droits et des libertés que la Constitution garantit. La décision n°2011-127 QPC, en date du 6 mai 2011, illustre cette réalité, lorsque par une réserve d’interprétation, le juge constitutionnel réajuste une jurisprudence constante de la Cour de cassation sur la question de la faute inexcusable de l’employeur en matière de régime spécial des accidents du travail des marins. Il ressortait de cette jurisprudence [[Décision n° 02-14.142 de la Cour de cassation en date du 23 mars 2004.]] de la Cour de cassation qui posait la portée effective de l'article 20 al. 1 du décret-loi du 17 juin 1938 « relatif à la réorganisation et à l'unification du régime d'assurance des marins », que les marins sont sous l’emprise d’un régime social spécial qui ne prévoit aucun recours contre l'armateur en raison de sa faute inexcusable. Par une telle jurisprudence, le juge de cassation privait une catégorie de victimes d’un recours en responsabilité à l’encontre de l’auteur exclusif de leurs préjudices. Le Conseil constitutionnel consolide la spécialité du régime de prestation social des gens de mer. Cependant, il soumet au respect d’une réserve d’interprétation la validité constitutionnelle de la portée effective que le juge de cassation donne à la disposition litigieuse. En l’espèce, la suprématie du juge constitutionnel se matérialise par l’autorité de ses réserves [[Considérant n°9 de la décision n°2011-127 QPC, du Conseil constitutionnel en date du 6 mai 2011 : «  […] que ces dispositions ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au droit des victimes d'actes fautifs, être interprétées comme faisant, par elles−mêmes, obstacle à ce qu'un marin victime, au cours de l'exécution de son contrat d'engagement maritime, d'un accident du travail imputable à une faute inexcusable de son employeur puisse demander, devant les juridictions de la sécurité sociale, une indemnisation complémentaire dans les conditions prévues par le chapitre 2 du titre V du livre IV du code de la sécurité sociale ; que, sous cette réserve, ces dispositions ne méconnaissent pas le principe de responsabilité […] ». Voir également au sujet de l’article L112-2 du code de la voirie routière : Décision n°2011-201 QPC, du Conseil constitutionnel en date du 2 décembre 2011.]] d’interprétation sur la conformité constitutionnelle de la jurisprudence constante de la juridiction de cassation. Qu’elle s’exprime via les réserves d’interprétations ou par le prononcé de la non-conformité, il faut souligner que les décisions QPC portant sur l’interprétation de la loi aboutissent tant à la sanction de l’inconstitutionnalité de la jurisprudence constante (c’est-à-dire à l’essence même de l’acte juridictionnel), qu’à l’abrogation ou à la non-abrogation d’une disposition législative. Dans cette configuration, la Question Prioritaire de Constitutionnalité à une action double. Bien que la QPC n’ait pas vocation à être un recours en annulation ou en réformation d’un acte juridictionnel, car son objet est le contrôle de constitutionnalité a posteriori de la loi telle qu’elle est effectivement mise en pratique, ce dispositif agit en profondeur. Il a un impact redoutable sur l’effet substantiel de l’acte juridictionnel, c’est-à-dire sur la charge de dire le droit en conformité avec la norme suprême.  Dans cette optique, outre le fait d’être un dispositif de finalisation de l’effectivité de la Constitution, la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) est également un corollaire du principe de séparation des autorités judiciaires et de séparation des compétences. À ce titre, l’ordre juridictionnel transversal et incident institué par la QPC postule la pérennisation du dualisme des ordres juridictionnels et confirme la marche du conseil constitutionnel comme Cour suprême d’un ordre juridictionnel constitutionnel chapeautant les ordres juridictionnels administratif et judiciaire, « ponctuellement », c’est-à-dire à l’occasion de la mise en œuvre de la QPC  a fortiori lorsqu’elle concerne le contrôle de la constitutionnalité de l’interprétation de la Loi tant pas la Cour de cassation que par le Conseil d’État.

Publié sur village de la justice :  https://www.village-justice.com/articles/controle-constitutionnalite-interpretation-loi,43826.html

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28 janvier 2023 6 28 /01 /janvier /2023 14:10

Du point de vue de l’organisation de l’autorité juridictionnelle, la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) est une innovation majeure. En effet, ce dispositif constitue un correctif de l’absence de justiciabilité a posteriori de la loi et il force l’achèvement de la juridictionnalisation du Conseil constitutionnel. Dans le travail visant le respect de l’objectif constitutionnel[i] de bonne administration de la justice l’existence d’une justiciabilité de la loi est une donnée fondamentale. Cependant, l’objectif de bonne satisfaction des réclamations des justiciables peut être véritablement atteint uniquement par l’institution d’un dispositif de contrôle a posteriori.

 

[i] Décision n°2006-545 DC du Conseil constitutionnel en date du 28 décembre 2006, considérant n°24.

 

  1.  La justiciabilité de la loi élément de complétude de l’autorité juridictionnelle

 

D’un point de vue constitutionaliste, la justiciabilité de la loi est un mécanisme consubstantiel au caractère démocratique d’un système (A). Alors que cette consubstantialité n’est pas névralgique au sein d’un système légaliste (B).

 

  1. La dilution du légicentrisme

 

Il est utile de rappeler, que le légicentrisme était le principal obstacle à l’installation d’un dispositif susceptible de remettre en question la conformité de la loi. Cette idéologie postulait une sorte d’intouchabilité juridictionnelle de la loi qui selon les époques pouvait être remise en cause uniquement via l’organe législatif (référé législatif) ou par des mécanismes, plus ou moins diffus, initiés notamment par la réprobation populaire. Par conséquent, bien que le légicentrisme postule une immunité juridictionnelle de la loi, il ne sous-entendait pas, en théorie, l’incontestabilité de cette dernière.

 

L’institutionnalisation de la justiciabilité de la loi a donc nécessité un cheminement long[1] qui est entamé dès les débats[2] relatifs à la constitution de la Ière République. Il est possible d’admettre que le premier pas vers une justiciabilité efficace de la loi est matérialisé par la décision n°71-44 DC du Conseil constitutionnel en date du 16 juillet 1971 et la création du Conseil constitutionnel par la Constitution de 1958. L’institution d’une réelle justiciabilité a priori rend envisageable[3] et acceptable un mécanisme de justiciabilité a posteriori. La décision du Conseil constitutionnel en date du 16 juillet 1971 entame la première phase de la fragilisation du légicentrisme. Ainsi, ce phénomène est confirmé par la validation[4] du contrôle de conventionalité[5] de la loi par le Conseil constitutionnel.

Ces mouvements tant institutionnels que jurisprudentiels provoquent la dilution du légicentrisme au profit d’un épanouissement du constitutionnalisme. Cette maturation[6] du constitutionnalisme était la condicio sine qua non à l’acceptabilité de la justiciabilité a posteriori.

 

  1. L’acceptabilité de la justiciabilité a posteriori de la loi

 

Le dispositif de l’article 61 de la Constitution qui prescrit le contrôle de constitutionnalité a priori a contribué à rendre acceptable[7] l’institution d’un contrôle de constitutionnalité a posteriori. La justiciabilité a priori de la loi donne une primauté aux organes politiques (président de la République, Premier ministre, Présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale ou soixante députés ou encore soixante sénateurs) quant à la validité de la loi avant promulgation. Il s’agit d’un filtre préalable qui, s’il est passé avec succès, interdit[8] (sauf changement de circonstances[9]) que la loi promulguée (donc déclarée constitutionnelle) puisse subir un contrôle constitutionnel a posteriori.

 

Dès lors, l’un des éléments qui participent du caractère acceptable de la justiciabilité a posteriori de la loi, c’est qu’il ne s’agit pas d’un désaveu du contrôle a priori mais bien d’un parachèvement de la justiciabilité de la loi. Les contrôles a priori et a posteriori servent le même dessein l’effectivité de la norme constitutionnelle par la justiciabilité de la loi.

 

  1. L’institution d’un dispositif a posteriori de justiciabilité de la loi

 

L’institution d’un dispositif a posteriori de justiciabilité de la loi peut être mise en œuvre de deux manières. La première peut consister en l’organisation d’une saisine directe (A). La seconde peut consister en l’organisation d’une saisine préjudicielle (B).

 

  1. La saisine directe du juge constitutionnel

 

Il subsiste deux types de saisine directe du juge constitutionnel. L’une se matérialise par une saisine a priori alors que l’autre consiste en une saisine a posteriori. Le recours direct a priori peut se réaliser avant que la loi n’ait été promulguée ou avant qu’elle ait été votée. En tout état de cause, dans l’une ou l’autre hypothèse, la saisine directe a priori intéresse généralement le corps législatif ou les organes politiques constitutionnels tel que l’exécutif étatique ou gouvernemental. La saisine directe a priori a le mérite de prescrire un contrôle concentré (une seule juridiction compétente) et postule un contentieux abstrait dans la mesure où le contrôle ne se réalise pas à l’occasion d’un litige mais à l’occasion de la conception d’un dispositif juridique. Ainsi, la saisine directe a priori est une sorte de juridictionnalisation ou objectivation du débat parlementaire. Dans sa rédaction et dans sa mise en œuvre, le contenu de l’article 61 de la Constitution postule[10] indiscutablement l’effectivité de la hiérarchie des normes en posant la loi comme un acte subséquent à la Constitution.

 

La saisine directe[11] du juge constitutionnel peut également être a posteriori. Il est possible d’envisager deux types de dispositif. La saisine directe a posteriori peut être sèche, c’est-à-dire sans filtre. Cependant, il est également possible de concevoir un recours direct a posteriori aménagé, c’est-à-dire avec filtre.

La saisine directe « a posteriori sèche » est une option qui peut comporter quelques inconvénients tant elle laisse la Constitution face à deux risques non négligeables. Le premier postule un comportement activiste des requérants qui par ambition de subversion politique utiliseraient un tel outil afin de contrarier le bon fonctionnement des institutions par la voie juridictionnelle. Le second écueil de l’action directe sans filtre repose sur le risque d’engorgement de la juridiction constitutionnelle. Il est donc perceptible que l’absence de filtre pose un tel dispositif dans une zone d’inefficacité. C’est la raison pour laquelle l’affectation d’un filtre à un dispositif d’accès au contrôle a posteriori n’est pas un accessoire mais bien une condition préalable. Toutefois, le recours direct « a posteriori aménagé » n’est pas exempt de vices rédhibitoires. L’organisation du tri des recours peut, selon la sévérité de ses critères, être un organe asphyxiant le contrôle de constitutionnalité a posteriori.

En tout état de cause, par l’article 61-1 de la Constitution, il est fait le choix d’un contrôle a posteriori soutenu par un système de filtre par les deux autres juridictions juridictionnelles suprêmes que sont la Cours de cassation et le Conseil d’État.

 

  1. La saisine préjudicielle du juge constitutionnel

 

La saisine préjudicielle semble ne devoir être qu’un recours a posteriori. Un tel dispositif peut être appréhendé comme étant incongru, voire irréaliste, dans une perspective a priori, car cela impliquerait que dans le processus législatif serait institué une chronologie processuelle supposant qu’une première juridiction saisie sur le principal de la validité de la loi soit dans l’obligation de surseoir à statuer au profit d’une seconde qui examinerait le renvoi préjudiciel sur des questions hors du champ de compétence de la première juridiction. Ce schéma travestit le processus législatif pour l’insérer dans une configuration caractérisée par une prépondérance de l’instant juridictionnel. Le débat juridictionnel sur la question de la validité de la loi (l’appréciation du partage des domaines respectifs de la loi et du règlement) au principal, puis « préjudiciellement » sur la question de la constitutionnalité de la loi (conformité de la loi aux principes constitutionnels), détournerait du débat parlementaire, traditionnellement politique.

 

Le Conseil constitutionnel moderne (postérieure à la jurisprudence « liberté d’association ») cumule la compétence sur l’appréciation du partage des domaines respectifs de la loi et du règlement, ainsi que celle qui est relative au contrôle de conformité de la loi aux principes constitutionnels. La saisine préjudicielle a priori du juge constitutionnel n’existe pas, sauf à supposer l’hypothèse selon laquelle le Conseil constitutionnel solliciterait par voie préjudicielle l’avis de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE). Nonobstant le fait que les textes dont cette juridiction assure l’effectivité sont constitutifs de l’Union Européenne, il faut noter que le renvoi préjudiciel auprès de la Cour de Justice de l’Union Européenne n’est pas une saisine d’un juge constitutionnel. Si une telle hypothèse n’est pas valide au sein du système français, dans d’autres types d’organisations juridictionnelles, le renvoi préjudiciel[12] par le juge constitutionnel est accepté. La Cour d’arbitrage en Belgique et la Cour constitutionnelle au Portugal pratiquent la question préjudicielle auprès de la CJUE.

En France, la prise en compte de la question du renvoi préjudiciel a eu une incidence non négligeable[13] sur l’aménagement[14] du dispositif inséré par la loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008. Le mécanisme juridictionnel qui assure l’effet utile du droit européen (question préjudicielle), conformément à la logique postulée par le principe de la hiérarchie des normes, ne pouvait être posé en égalité chronologique avec le dispositif de saisine préjudicielle de contrôle a posteriori de constitutionnalité.

En tout état de cause, la méthodologie des juges pour résoudre un litige impose un traitement chronologique des questions inhérentes à la découverte de la solution du litige. Les principes généraux de la procédure posent la chronologie[15] suivante : question préalable, question principale en sursis en cas de question préjudicielle de droit interne (compétence d’un autre ordre juridictionnel) ou de droit de l’union européenne. Pour ce qui est de la question préjudicielle de droit de l’union européenne, l’article 267 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) propose deux types de renvoi préjudiciel, l’un facultatif[16] (Art. 267 al.2 TFUE) et l’autre obligatoire[17] (Art. 267 al.3 TFUE).

 

Cela étant dit, le caractère prioritaire[18] de la question a posteriori de constitutionnalité est donc en lien avec la subsistance de plusieurs niveaux de questionnement dans la méthodologie qui doit mener à la découverte de la solution du litige. La question préalable constitue le point juridique que le juge doit analyser afin de vérifier si les conditions requises pour l’existence de la question principale sont recouvertes. À ce niveau de la recherche d’une solution au litige, le juge peut déceler des éléments qui imposent la compétence d’un autre ordre juridictionnel. Une fois la question préalable satisfaite, le juge s’intéresse au fond (question principale). C’est à cette occasion que peut survenir la nécessité d’une question préjudicielle soit auprès d’une juridiction d’un autre ordre juridictionnel lorsque l’élément déterminant une partie de la solution est de sa compétence exclusive, soit auprès de la CJUE. Ce dialogue institué, doit permettre au juge du principal, après sursis à statuer, de reprendre la main sur le litige et d’en donner une sanction.

C’est en cohérence avec cette configuration que doit être prioritaire, en toute logique, la saisine préjudicielle a posteriori du juge constitutionnel. Le renvoi préjudiciel a posteriori et prioritaire intervient chronologiquement après la question préalable qui étudie la recevabilité de la demande et la compétence du juge saisi. Dans la mesure où, il ne serait pas pertinent qu’elle intervienne après les questions préjudicielles tenant tant du principe de répartition des compétences juridictionnelles inter-ordre que de l’objectif d’effet utile du droit de l’union européenne, la question a posteriori de constitutionnalité doit être prioritaire sur les autres saisines préjudicielles. Ce caractère prioritaire découle de la logique portée par le principe de hiérarchie des normes ainsi que d’une logique processuelle. Il y aurait une cacophonie par défaut de méthodologie et donc mauvaise administration de la justice, si après s’est prononcé sur la recevabilité de la demande puis sur le fond de celle-ci, le juge se prononçait sur l’inconstitutionnalité de la loi sur laquelle il a fondé sa décision. Il y aurait risque de dédit.

 

Le caractère prioritaire de la question de constitutionnalité post-promulgation est une efficacité processuelle. S’il n’y a pas de fondement juridique à la demande du justiciable, il n’y a pas d’intérêt juridique légitime, pas de procès, pas de question principale donc pas de question préjudicielle. L’analyse de la constitutionnalité de la loi doit être prioritaire car elle peut aboutir à l’abrogation de cette dernière. Ce qui postule la disparition de la question principale. Il est perceptible l’objectif d’effectivité de l’effet cascade. Concrètement, le Conseil constitutionnel par une décision n°2010-605 DC en date du 12 mai 2010, confortée[19] par la Cour de Justice de l’Union Européenne[20] en date du 22 juin 2010, présente les modalités de mise en œuvre de la priorité de la question de constitutionnalité en concours[21] avec une question de conventionalité de la loi. Le conseil s’exprime en ces termes : « Considérant, en premier lieu, que l'autorité qui s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel en vertu de l'article 62 de la Constitution ne limite pas la compétence des juridictions administratives et judiciaires pour faire prévaloir ces engagements sur une disposition législative incompatible avec eux, même lorsque cette dernière a été déclarée conforme à la Constitution ; Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des termes mêmes de l'article 23-3 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée que le juge qui transmet une question prioritaire de constitutionnalité, dont la durée d'examen est strictement encadrée, peut, d'une part, statuer sans attendre la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité si la loi ou le règlement prévoit qu'il statue dans un délai déterminé ou en urgence et, d'autre part, prendre toutes les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires ; qu'il peut ainsi suspendre immédiatement tout éventuel effet de la loi incompatible avec le droit de l'Union, assurer la préservation des droits que les justiciables tiennent des engagements internationaux et européens de la France et garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir ; que l'article 61-1 de la Constitution pas plus que les articles 23-1 et suivants de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée ne font obstacle à ce que le juge saisi d'un litige dans lequel est invoquée l'incompatibilité d'une loi avec le droit de l'Union européenne fasse, à tout moment, ce qui est nécessaire pour empêcher que des dispositions législatives qui feraient obstacle à la pleine efficacité des normes de l'Union soient appliquées dans ce litige ; ». Autrement dit, le caractère prioritaire de la question a posteriori de constitutionnalité n’est pas en contrariété avec le dispositif institué par l’article 267 TFUE. La priorité de la question de constitutionnalité interdit en aucune façon l’efficacité[22] du droit de l’union européenne.

 

L’institution d’un dispositif de saisine préjudicielle a posteriori du juge constitutionnel est un schéma qui introduit le Conseil constitutionnel dans une aire post-moderne (ou de maturité) car elle finalise l’effectivité de la hiérarchie des normes en achevant[23] la construction de l’autorité juridictionnelle au niveau de sa compétence pour statuer sur les réclamations contre la loi sans perturber les mécanismes de contrôle de conventionalité réalisés via le renvoi préjudiciel.

 

  1. L’achèvement de la judiciarisation du Conseil constitutionnel

 

À l’instar de la décision n°71-44 DC en date du 16 juillet 1971, « liberté d’association », la loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008 crée un nouvel élan au sein du Conseil constitutionnel. Ce renouveau est à l’origine de la création d’un règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité. Il semble qu’il puisse provoquer une mutation plus profonde telle la création d’un « Code de justice constitutionnelle.

Par une décision[24] en date du 4 février 2010, le Conseil constitutionnel adopte une décision portant « règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ». Cette dernière doit être assimilée à un « Code de justice constitutionnel ». La conception de ce règlement intérieur, parce qu’il prescrit les modalités d’accès au procès QPC n’échappe pas à l’influence de l’article 6§1 de la Convention Européenne des Libertés Fondamentales et des Droits de l’Homme.

 

  1. L’influence de l’article 6§1 de la Convention EDH

 

L’institution, par la loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008, de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) est véritablement l’amorce d’une nouvelle[25] étape pour le Conseil constitutionnel, car ce dispositif l’extirpe du positionnement de juridiction en aparté. Comme juridiction du contentieux normatif objectif[26] mais également comme juridiction du contentieux électoral[27], le Conseil constitutionnel n’entrait pas directement[28] dans le champ d’application du droit européen, notamment l’article 6§1 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CESDHLF).

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a une analyse claire sur ce point, qu’elle a exprimé par une décision en date du 21 octobre 1997 (n°24194/94), « Jean-Pierre PIERRE-BLOCH contre France » et confirmée par des décisions subséquentes concordantes[29]. Dès lors, il est entendu que le fait qu’une instance se soit déroulée devant une juridiction constitutionnelle ne suffit pas à lui seul que ce type de procès puisse être soustrait aux exigences de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde EDHLF. La catégorie de la juridiction importe peu, car l’élément déterminant de l’applicabilité de l’article 6§1 de ladite convention repose sur le fait que le procès est relatif à une contestation sur des droits et obligations de caractère civil[30], ou encore, attrait à une accusation en matière pénale[31].

 

C’est ainsi qu’il résulte de l’analyse des juges[32] que le contentieux électoral et le contentieux normatif a priori « à la française[33] » ne doivent pas être perçus comme des instances qui apurent des contestations sur des droits et obligations de caractère civil, ou encore, qui apurent une accusation en matière pénale. Bien que la distinction entre matière politique et matière civile peut paraître critiquable[34], parce que perceptible comme étant artificielle, c’est cette différenciation qui fonde l’inapplicabilité de l’article 6§1 de la CESDHLF. Toutefois, si l’inapplicabilité de l’article 6§1 au contentieux électoral est pour l’heure une constante, pour ce qui est du contentieux normatif (saisine directe[35] par des citoyens et saisine préjudicielle[36]) la position du juge européen est différente et laisse anticiper ce qui pourrait advenir d’un « procès QPC » non compatible. Le juge européen admet[37] l’applicabilité des exigences processuelles imposées par l’article 6§1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme aux instances relatives tant à l’inconstitutionnalité d’un texte législatif qu’à l’inconstitutionnalité d’une décision de justice.

Dès lors, l’insertion par la voie préjudicielle d’un contrôle a posteriori de constitutionnalité soumet[38] le Conseil constitutionnel au respect des principes protégés par l’article 6§1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme car le dispositif QPC est incident[39] à une instance principale et doit comme elle respecter les impératifs processuels fondamentaux. C’est donc pour pallier[40] ce risque qu’en date du 4 février 2010, le Conseil constitutionnel adopte une décision portant « règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité » afin que le « procès QPC » soit compatible aux standards européens, c’est-à-dire le délai raisonnable, le contradictoire, l’égalité des armes et l’impartialité.

 

  1. Le procès QPC

 

Le processus qui conduit à l’apurement d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité est balisé par trois principaux textes. Le premier est l’article 61-1 de la Constitution, puis l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 (articles 23-1 à 23-12) et en troisième place il y a le règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les Questions Prioritaires de Constitutionnalité. C’est ce dernier texte qui renseigne davantage sur le déroulement du procès[41] QPC. Il est composé de quatorze articles qui insèrent indiscutablement le Conseil constitutionnel dans un processus de judiciarisation. L’évolution n’est pas uniquement textuelle, car elle a également imposé la réalisation de travaux[42] d’aménagement d’une salle d’audience ainsi que d’une salle des avocats.

 

En tant qu’autorité judictionnelle, à l’instar de la Cour de cassation et du Conseil d’État, le Conseil constitutionnel s’astreint au principe du contradictoire (articles 1er, 3, 6, 7 et 10 du règlement intérieur), de la bonne administration du procès (articles 2, 5 et 13 du règlement intérieur), de la publicité (articles 8, 9 et 12 du règlement intérieur) et de l’impartialité (article 4 et 11 du règlement intérieur). La procédure de saisine est prescrite par les articles 23-1 à 23-12 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958. Par conséquent, c’est dans ce texte qu’il est prescrit un délai de trois mois pour statuer sur la QPC (délai raisonnable, contradictoire et audience publique : article 23-10 de l’ordonnance n°58-1067).

 

Il est manifeste que c’est dans ces quelques lignes (l’ordonnance n°58-1067 et le règlement intérieur) qu’est contenu le commencement du parachèvement de la judiciarisation[43] du Conseil constitutionnel car le contrôle a posteriori de constitutionnalité pose indiscutablement le Conseil constitutionnel dans un rôle de juge constitutionnel. Cependant, il s’agit d’un « commencement du parachèvement de la judiciarisation du Conseil constitutionnel » car la finalisation de cette transformation doit être ponctuée, notamment, par la refonte de la composition du Conseil constitutionnel.

 

 

 

  1. La mutation du Conseil constitutionnel

 

Dans une approche un peu plus spéculative, il est possible d’anticiper les effets probables de l’introduction de la QPC tant sur la composition du Conseil constitutionnel que sur le repositionnement de ce dernier.

 

  1. La composition du conseil constitutionnel et le renforcement juridictionnel de l’institution

 

La question de la composition du Conseil constitutionnel n’est pas nouvelle. L’insertion de la Question Prioritaire de Constitutionnalité aggrave la pertinence de l’interrogation portée sur la désignation des membres du Conseil. Le Comité « de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République » s’exprime en ces termes : « Il n’est pas apparu au Comité que ce renforcement du caractère juridictionnel de la mission assignée au Conseil constitutionnel devait rester sans effet sur la composition de cette institution[44] […] ». L’anticipation du Comité dit « Balladur[45] » inspire deux propositions l’une sera consolidée alors que l’autre ne le sera pas.

 

Le Comité « de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République » proposera[46] la modification de l’article 56 de la Constitution. Dans un premier temps, il est suggéré la mise en place d’un dispositif d’encadrement des nominations[47]. Le dispositif consiste à soumettre la nomination des trois membres du Conseil constitutionnel à l’avis public préalable de la commission permanente de chaque assemblée. L’addition des votes négatifs (trois cinquièmes des suffrages exprimés) au sein de chaque commission permanente constitue un blocage[48]. Le dispositif d’encadrement des nominations est applicable également aux nominations faites par le président du Sénat et celui de l’Assemblée nationale. En revanche, pour ces nominations, les désignations « sont soumises au seul avis de la commission permanente compétente de l’assemblée concernée[49] ». Il est possible de supposer qu’il subsiste également un blocage des trois cinquièmes. Ce volet de la proposition n°74 a été consolidé par la loi constitutionnelle n°2008-724 en date du 23 juillet 2008.

 

Dans un second temps, il est suggéré l’abrogation de l’alinéa qui institue de droit et à vie les anciens Présidents de la République comme membre du Conseil constitutionnel. Cette proposition n’a pas été consolidée sous la présidence de monsieur Nicolas SARKOZY[50]. Cependant, à l’occasion des vœux du président de la République au Conseil Constitutionnel, le président en fonction depuis la mi-mai 2012, monsieur François HOLLANDE[51], dans un discours[52] en date du 7 janvier 2013, émet l’intention de mettre un terme à la désignation à vie en tant que membre du Conseil constitutionnel des anciens présidents de la République. Pour l’heure, ce statut reste inchangé.

 

En tout état de cause, la soumission du Conseil constitutionnel aux exigences processuelles fondamentales, notamment telles qu’interprétées par la Cour Européenne des Droits de l’Homme (Cour EDH) donne une ampleur juridictionnelle, et non plus principalement doctrinale, à la question de la composition du Conseil constitutionnel. L’encadrement des nominations peut être perçu comme une initiative susceptible de réduire les doutes quant à l’apparente[53] partialité des membres. L’intervention des commissions permanentes[54] semble devoir octroyer des garanties suffisantes afin d’exclure tout doute légitime. L’article 57 de la Constitution (relatif aux incompatibilités[55]) et le décret n°59-1292 du 13 novembre 1959 sur « les obligations des membres du Conseil constitutionnel », sont des textes qui prescrivent des dispositifs susceptibles de proscrire l’impartialité subjective[56] des membres de la juridiction constitutionnelle. À défaut d’abstention[57], les membres du Conseil constitutionnel peuvent être récusés. À ce niveau, dans son article 4 al.4[58], le règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les QPC s’inspire fortement de la jurisprudence[59] de la Cour EDH. Il est constant que le fait qu’un juge ait déjà eu à connaître d’une affaire à l’occasion d’autres fonctions ou d’un litige antérieur ne suffit pas à induire sa partialité. Ce qui importe ce sont les mesures prises par le juge avant le procès. Cette circonstance renforce la nécessité, au moins, de purger le Conseil de ses membres de droit.

 

  1. Le repositionnement du Conseil constitutionnel

 

L’article 61-1 de la Constitution, l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 (articles 23-1 à 23-12) et le règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les Questions Prioritaires de Constitutionnalité, introduisent le Conseil constitutionnel dans une phase de renforcement[60] juridictionnel.

 

Le Conseil n’est plus uniquement une instance a priori dont la saisine est réservée exclusivement à des organes[61] politiques constitutionnels. La loi constitutionnelle n°2008-724 en date du 23 juillet 2008, l’inscrit dans une collaboration organique avec la Cour de cassation et le Conseil d’État. Le repositionnement du Conseil constitutionnel découle principalement du fait qu’il est introduit organiquement au sein du dualisme des ordres juridictionnels par la voie préjudicielle alors qu’il y était de manière informelle via le mécanisme de dialogue des juges caractérisée par la persuasion des jurisprudences. C’est ainsi que l’institution de la QPC a pour effet non seulement de créer un lien entre des juridictions souveraines, mais participe à la réalisation de l’objectif de bonne administration de la justice notamment en permettant aux justiciables d’avoir « la faculté de faire valoir la plénitude de leurs droits[62] ».

 

En tout état de cause, la QPC donne un « la » à la marche du conseil constitutionnel vers son renforcement en tant que juge constitutionnel. En effet, dans la mesure où l’article 23-2.2° de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, pose un lien entre le contrôle a posteriori et le contrôle a priori, il est à peine surprenant que par une décision n°2022-152[63], en date du 11 mars 2022, le Conseil constitutionnel crée un « règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution » entré en vigueur le 1er juillet 2022. L’article 23-2 précité, prescrit les 3 conditions qui doivent être remplies afin que la QPC soit transmise par la juridiction saisie. Parmi ces conditions, le point 2° souligne un défaut de transmissibilité de la QPC si la loi visée n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel (sauf changement des circonstances).  C’est à ce titre, compte tenu de la manifeste et indiscutable judiciarisation du contrôle a posteriori de constitutionnalité, que le contrôle a priori de constitutionnalité doit formaliser (à droit constant[64]) un Code [règlement intérieur] de procédure [Saisine, instruction, jugement] suivie devant le Conseil constitutionnel pour les déclarations de conformité à la Constitution. En effet, la décision qui découle d’un contrôle a priori doit, d’une certaine façon, montrer le caractère d’un « procès » équitable (art. 4 à 13 dudit règlement intérieur) dans la mesure où l’existence d’une telle décision (sauf changement des circonstances) interdit la transmissibilité de la QPC. Les conditions de saisine du juge du contrôle a posteriori de constitutionnalité impose une sorte de judiciarisation (par le biais de règle de procédure et d’instance) du contrôle a priori de constitutionnalité : « Petit à petit l’oiseau fait son nid ».

 

 

[65]

 

 


[1] Au moins deux siècles.

[2] SIEYÈS : « Une constitution est un corps de lois obligatoires, ou ce n’est rien ; si c’est un corps de lois on se demande où sera le gardien, où sera la magistrature de ce code. Il faut pouvoir répondre. Un oubli de ce genre serait inconcevable autant que ridicule dans l’ordre civil ; pourquoi le souffriez-vous dans l’ordre politique ? Des lois, quelles qu’elles soient, supposent la possibilité de leur infraction, avec un besoin réel de les faire observer. Il m’est donc permis de le demander : qui avez-vous nommé pour recevoir la plainte contre les infractions à la Constitution ? ».

[3] Bruno GENEVOIS, « Le contrôle de constitutionnalité au service du contrôle a posteriori », RFDA 2010, p.1. Séverine BRONDEL, « Trois réserves d’interprétation pour la question prioritaire de constitutionnalité », AJDA 2009, p.2318.

[4] Décision n°74-54 DC du 15 janvier 1975 et décision n°2004-496 DC du 10 juin 2004 (Dalloz 2004 ; p.1739).

[5] Denys SIMON, « Conventionalité et constitutionnalité », Pouvoirs, 2011/2 n°137, p19-31.

[6] Guillaume TUSSEAU, « La fin d’une exception française ? », Pouvoirs, 2011/2 n°137, p5-17. Jean-Claude GROSHENS, « L’exception d’inconstitutionnalité : un chantier difficile », Revue de droit public et de la science politique en France et à l’étranger (septembre n°3), p.588. Pascal JAN, « La question prioritaire de constitutionnalité », Petites affiches (18 décembre 2009) n°252, p.6.

[7] Décision n°2009-595 DC du Conseil constitutionnel en date du 3 décembre 2009. Bruno GENEVOIS, « Le contrôle de constitutionnalité au service du contrôle a posteriori », RFDA 2010, p.1. Séverine BRONDEL, « Trois réserves d’interprétation pour la question prioritaire de constitutionnalité », AJDA 2009, p.2318.

[8] Article 23-2.2° de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel (modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution) : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : […] 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; […] »

[9] Décision n°2009-595 DC du Conseil constitutionnel en date du 3 décembre 2009, considérant n°13 : « conduit à ce qu’une disposition législative déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel soit de nouveau soumise à son examen lorsqu’un tel réexamen est justifié par les changements intervenus, depuis la précédente décision, dans les normes de constitutionnalité applicables ou dans les circonstances, de droit ou de fait, qui affectent la portée de la disposition législative critiquée». Également, décisions n°2010-14 et n°2010-22 QPC du Conseil constitutionnel en date du 30 juillet 2010.

[10] Par exemple : décision n°71-44 DC du Conseil constitutionnel en date du 16 juillet 1971 ; décision n°75-54 DC du Conseil constitutionnel en date du 15 janvier 1975.

[11] Ce type de saisine existe en Allemagne, en Espagne, en Andorre, Croatie, Slovénie ou République tchèque.

[12] Cahiers du Conseil constitutionnel n° 4 (Dossier : Droit communautaire - droit constitutionnel) - Avril 1998.

[13] Anne LEVADE, « Perspectives : confrontation entre contrôle de conventionalité et contrôle de constitutionnalité », AJDA 2011, p.1257. Denys SIMON, « Conventionalité et constitutionnalité », Pouvoirs, 2011/2 n°137, p19-31. Jacqueline DUTHEIL de la ROCHÈRE, « La question prioritaire de constitutionnalité et le droit européen : la porte étroite », Revue trimestrielle de droit européen 2010, p.577. Bernadette AUBERT, « L’affaire Melki et Abdeli », Revue de science criminelle 2011, p.466.

[14] Bruno GENEVOIS, « Le contrôle de constitutionnalité au service du contrôle a posteriori », RFDA 2010, p.1. Henri LABAYLE, « Question prioritaire de constitutionnalité et question préjudicielle : ordonner le dialogue des juges ? », RFDA 2010, p.659. Marie GAUTIER, « La question de constitutionnalité peut-elle rester prioritaire ? », RFDA 2010, p.449. Patrick GAÏA, « La Cour de cassation résiste… mal », RFDA 2010, p.458.

[15] Article 49 du Code de procédure civile (voire décisions : Cass. Soc. Du 16 novembre 1961 [Dalloz 1962, 161], Assemblée plénière du 6 juillet 2001 [Bull. civ. 2001 n°9], Cass. 1ère civ. du 19 juin 1985 [Dalloz 1985, 426]), article 384 du Code de procédure pénale et articles R312-3 et R312-4 du Code de justice administrative (voire décisions : Conseil d’État du 27 juillet 1979 [Recueil CE, p.189], Conseil d’État du 22 décembre 1978 [Recueil CE, p.525]). Article 267 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) relatif à la procédure de renvoi préjudiciel.

[16] Conformément à l'article 267, alinéa 2 TFUE, le juge interne (ou national) peut poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne si il estime que la saisine préjudicielle est « nécessaire » à la résolution du litige. Cependant, la CJUE considère que lorsqu'une juridiction nationale estime qu'un acte de l'Union Européenne n'est pas valide, elle est obligée de poser une question préjudicielle.

[17] Conformément à l'article 267, alinéa 3 TFUE, le renvoi préjudiciel est obligatoire lorsqu’une affaire est devant une juridiction nationale (Cour de cassation et Conseil d’État) dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne et que la saisine préjudicielle est « nécessaire » à la résolution du litige.

[18] Articles 23-2 al.2 et 23-5 al.2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée par les lois organiques n°2008-695 du 15 juillet 2008, n°2009-1523 du 10 décembre 2009 et n°2010-830 du 22 juillet 2010.

[19] Une décision du Conseil d’État en date du 14 mai 2010 (n°312305) adopte la même interprétation des articles 23-2 al.2 et 23-5 al.2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée.

[20] Affaire n°C-188/10, « Aziz MELKI » ; et affaire n°C-189/10, « Sélim ABDELI ».

[21] Par une décision en date du 16 avril 2010, la chambre criminelle de la Cour de cassation sollicite l’avis de la CJUE sur le dispositif, nouvellement institué, de la QPC (n°10-40.001).

[22] Sandrine WATTHÉE, « La règle de priorité face à la jurisprudence européenne : les situations belge et française », Jurisdoctoria n°6 (2011).

[23] Marc GUILLAUME, « La question prioritaire de constitutionnalité », Justice et cassation 2010.

[24] Marc GUILLAUME, « Le règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité», « Les petites affiches » n°38 mais également « la gazette du palais » n°54 du 23 février 2010.

[25] Paul TAVERNIER, « Le conseil constitutionnel français et la convention européenne des droits de l’Homme », Droits fondamentaux n°7 (Janvier 2008- décembre 2009). Jean-Louis PEZANT, « Cours suprêmes et convention européenne des droits de l’Homme », Le 13 février 2009, visite du Président et d’une délégation de la Cour européenne des droits de l’homme au Conseil constitutionnel. Guillaume LAZZARIN, « La soumission du Conseil constitutionnel au respect des principes du procès équitable », 8ème congrès français de droit constitutionnel (2011).

[26] Stéphanie DE LA ROSA, « L’article 6§1 de la Convention européenne, le Conseil constitutionnel et la question préjudicielle de constitutionnalité », Revue française de droit constitutionnel 2009/4 – n°80, p. 817 à 836.

[27] Laurence BURGORGUE-LARSEN, « Exclusion du contentieux électoral du champ d’application de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme », AJDA 1998, p.65.

[28] Décision de la Cour EDH en date du 28 octobre 1999, « Zielinski et Pradal et Gonzalez et autres contre France ».

[29] Décision de la Cour EDH en date du 14 septembre 1999, « Masson contre France » ; décision de la Cour EDH en date du 26 janvier 1999, « Cheminade contre France ».

[30] Décision de la Cour EDH en date du 23 juin 1981, « Le Compte, Van Leuven et De Meyere ».

[31] Décision de la Cour EDH en date du 8 juin 1976, « Engel contre Pays-Bas » ; décision de la Cour EDH en date du 28 juin 1978, « König contre RFA ».

[32] Sept juges contre deux pour ce qui est de la position prise lors de la décision n°24194/94 en date du 21 octobre 1997, « Jean-Pierre PIERRE-BLOCH contre France ».

[33] Il faut remarquer que de nombreuses décision de la Cour EDH contribue à mettre à mal le mythe de l’exception française souvent excipé par le gouvernement astreint par devant la juridiction européenne : par exemple la décision n°24194/94 en date du 21 octobre 1997, « Jean-Pierre PIERRE-BLOCH contre France » ou encore la décision de la Cour EDH en date du 14 septembre 1999, « Masson contre France » ; ainsi que la décision de la Cour EDH en date du 26 janvier 1999, « Cheminade contre France ».

[34] Paul TAVERNIER, « Le conseil constitutionnel français et la convention européenne des droits de l’Homme », Droits fondamentaux n°7 (Janvier 2008- décembre 2009).

[35] Décision de la Cour EDH en date du 16 septembre 1996, « Süssmann contre Allemagne ».

[36] Décision de la Cour EDH en date du 1er juillet 1997, « Pammel et Probstmeier contre Allemagne ». Décision de la Cour EDH en date du 3 mars 2000, « KRC mar contre République tchèque ».

[37] Décision de la Cour EDH en date du 16 novembre 2004, « Moreno Gomez contre Espagne » ; décision de la Cour EDH en date du 13 juillet 2000, « Elsholz contre Allemagne » ; décision de la Cour EDH en date du 12 octobre 2000, « Jankovic contre Croatie » ; décision de la Cour EDH en date du 12 juin 2001, « Tricˇkovic´ contre Slovénie » ; décision de la Cour EDH en date du 6 juillet 1999, « Millan i Tornes contre Andorre » ; décision de la Cour EDH en date du 26 juin 1993, « Ruiz-Mateos contre Espagne » ; décision de la Cour EDH en date du 19 septembre 2008, « Korbely contre Hongrie ».

[38] Guillaume LAZZARIN, « La soumission du Conseil constitutionnel au respect des principes du procès équitable », 8ème congrès français de droit constitutionnel (2011).

[39] Article 61-1 de la Constitution de 1958 : « […] à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction […] ».

[40] Marc GUILLAUME, « Le règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité», « Les petites affiches » n°38 mais également « la gazette du palais » n°54 du 23 février 2010.

[41] Dominique ROUSSEAU, « Le procès constitutionnel », Pouvoirs 2011/2 n°137, p.47-55.

[42] Régis FRAISSE, « La procédure en matière de QPC devant le Conseil constitutionnel, considérations pratiques », AJDA 2011, p.1246. Fanny JACQUELOT, « La procédure de la question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel », AJDA 2010, p.950. Marc GUILLAUME, « Le règlement intérieur sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité», « Les petites affiches » n°38 mais également « la gazette du palais » n°54 du 23 février 2010.

[43] Jean-Claude COLLIARD, « Un nouveau Conseil constitutionnel ? », Pouvoirs 2011/2 n°137, p.155-167.

[44] Comité « de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République », « Une Vème République plus démocratique », p.90.

[45] L’article 2 du décret n°2007-1108 du 18 juillet 2007 « portant sur la création d’un comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République », désigne M. Édouard BALLADUR président du Comité.

[46] Proposition n°75, du rapport du Comité, « Une Vème République plus démocratique », p.90 et 125.

[47] Proposition n°8, du rapport du Comité, « Une Vème République plus démocratique », p.111 : il s’agit de l’introduction d’une procédure de contrôle parlementaire sur certaines nominations qui relèvent du Président de la République.

[48] Article 13 (modifié) de la Constitution de 1958.

[49] Article 56 (modifié) de la Constitution de 1958.

[50] Le Président Nicolas Sarkozy, à partir 2012 ont fait le choix de ne plus siéger respectivement en mars 2011 et janvier 2013.

[51] Le Président François Hollande a fait le choix de ne pas siéger au Conseil constitutionnel en qualité de membre de droit.

[52] Extrait du discours de Monsieur François HOLLANDE, président de la République, au Conseil Constitutionnel à l’occasion des vœux pour l’année 2013 : « […] J'entends aussi mettre fin au statut de membre de droit du Conseil Constitutionnel des anciens présidents de la République. Je proposerai donc d'y mettre un terme mais uniquement pour l'avenir. […] » (http://www.elysee.fr/declarations/article/v-ux-du-president-de-la-republique-au-conseil-constitutionnel/).

[53] Décision de la Cour EDH en date du 27 août 2002, « Didier contre France ».

[54] Articles 13 (modifié) et 56 (modifié) de la Constitution de 1958.

[55] Incompatibilité avec tout mandat électoral et Incompatibilité professionnelles identiques à celles qui s’appliquent aux membres du Parlement : Décision n°94-354 DC du Conseil constitutionnel en date du 11 janvier 1995.

[56] Décision de la Cour EDH en date du 23 avril 1996, « Remli contre France ».

[57] Article 1er du décret n°59-1292 du 13 novembre 1959 sur « les obligations des membres du Conseil constitutionnel ». Article 4 al.1 du règlement intérieur sur la procédure QPC. Décision n°98-399 DC du Conseil constitutionnel en date du 5 mai 1998. Pierre BON, « Récuser un membre du Conseil constitutionnel », Recueil DALLOZ 2010, p.2007.

[58] « Le seul fait qu'un membre du Conseil constitutionnel a participé à l'élaboration de la disposition législative

faisant l'objet de la question de constitutionnalité ne constitue pas en lui−même une cause de récusation. »

[59] Décision de la Cour EDH en date du 6 juin 2000, « Morel contre France ».

[60] Jean-Claude COLLIARD, « Un nouveau Conseil constitutionnel ? », Pouvoirs 2011/2 n°137, p.155-167.

[61] Article 61 de la Constitution de 1958.

[62] Comité « de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions de la Vème République », « Une Vème République plus démocratique », p.87.

[64] Mathilde HEITZMANN-PATIN, « le règlement intérieur de la procédure de contrôle a priori devant le conseil constitutionnel : avancées, lacunes ou incertitudes ? » ; https://blog.juspoliticum.com/2022/03/31/le-reglement-interieur-de-la-procedure-de-controle-a-priori-devant-le-conseil-constitutionnel-avancees-lacunes-ou-incertitudes-par-mathilde-heitzmann-patin/ .

Publié sur village de la justice : https://www.village-justice.com/articles/rubrique-droit-constitutionnel-sujet,42102.html

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28 janvier 2023 6 28 /01 /janvier /2023 14:08

L’article 317 du code pénal de 1810 prescrivait que « Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, violences, ou par tout autre moyen, aura procuré l'avortement d'une femme enceinte, soit qu'elle y ait consenti ou non, sera puni de la réclusion. La même peine sera prononcée contre la femme qui se sera procuré l'avortement à elle-même, ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet, si l'avortement s'en est ensuivi. Les médecins, chirurgiens et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens qui auront indiqué ou administré ces moyens, seront condamnés à la peine des travaux forcés à temps, dans le cas où l'avortement aurait eu lieu. ». À ce titre, depuis 1810 (voire au moins depuis l’édit d’Henri II de 1556 ; Kintz Jean-Pierre, « Avortement et justice ». In : Annales de démographie historique, 1973. Enfant et Sociétés. pp. 401-404) l’interruption volontaire est considérée comme un crime opposable tant à la femme enceinte qu’aux personnes qui l’auraient assisté et/ou conseillé et/ou auraient procédé à l’intervention abortive.

Ainsi, dans une perspective historique, la dépénalisation de l’avortement survenue en 1975, par la loi n°75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse, est relativement récente (c’est-à-dire 47 ans en 2022) par rapport au temps d’existence de la pénalisation au titre de l’article 317 du code pénal de 1810, c’est-à-dire 165 ans (voire 419 ans au titre de l’édit d’Henri II de 1556). En outre, à se concentrer sur la pénalisation de l’interruption volontaire de la grossesse, il pourrait être omis que l’encouragement ou/et la facilitation de l’usage de moyens de contraception avait été considérée comme un crime aussi grave que la provocation à l’avortement à en lire la loi du 1er août 1920 (JORF n°0208 du 1er août 1920, p. 10934.) réprimant la provocation à l’avortement et à la propagande anticonceptionnelle. En effet, dans la continuité du dispositif d’interdiction de l’article 317 du code pénal de 1810, l’article 1er de la loi de 1920 s’exprimait en ces termes : « Sera puni d’un emprisonnement de six à trois ans et d’une amende de cent francs à trois mille francs quiconque : soit par des discours proférés dans des lieux ou réunions publics ; soit, par la vente, la mise en vente ou l’offre, même non publique, ou par l’exposition, l’affichage ou la distribution sur la voie publique ou dans les lieux publics, ou par la distribution à domicile, la remise sous bande ou sous enveloppe fermée ou non fermée, à la poste, ou à tout agent de distribution ou de transport, de livres, d’écrits, d’imprimés, d’annonces, d’affiches, dessins, images et emblèmes ; soit par la publicité de cabinets médicaux ou soi-disant médicaux ; aura provoqué au crime d’avortement alors même que cette provocation n’aura pas été suivie d’effet. ». C’est ainsi, que le Législateur de l’époque prescrivait le cadre visant à circonscrire la diffusion, par quelque moyen que ce soit, de l’idée et des « méthodes » relatives à l’avortement. Paradoxalement à la volonté sans ambiguïté de proscrire tous moyens de diffusion et de réalisation de l’avortement, le Législateur faisait également grief tant à la diffusion de l’idée et aux moyens de contraception. En effet, il y a lieu de mettre en relief ce paradoxe qui consistait à interdire l’avortement mais également le moyen qui pourrait permettre que ne survienne pas la situation (c’est-à-dire la grossesse) que l’avortement vise à interrompre volontairement : la contraception.

 

  Par son article 3, la loi du 1er août 1920, interdisait et punissait la propagande au profit de la contraception (« propagande anticonceptionnelle ») par une peine d’amende plus onéreuse que celle sanctionnant la « provocation à l’avortement » : « Sera puni d’un mois à six mois de prison et d’une amende de cent francs à cinq mille francs, quiconque, dans un but de propagande anticonceptionnelle, aura, par l’un des moyens spécifiés aux articles 1er et 2, décrit ou divulgué, ou offert de révéler des procédés propres à prévenir la grossesse, ou encore faciliter l’usage de ces procédés. Les mêmes peines seront applicables à quiconque, par l’un des moyens énoncés à l’article 23 de la loi du 29 juillet 1881, se sera livré à une propagande anticonceptionnelle ou contre la natalité. ». C’est par la loi n°67-1176 du 28 décembre 1967 relative à la régulation des naissances et abrogeant les articles L648 et L649 du code de la santé publique, dite « Loi Neuwirth », que la pilule est légalisée et la contraception autorisée. Cependant, par l’art. 3 de la loi n°67-1176, subsistait l’interdiction de l’avortement : « La vente des produits, médicaments et objets contraceptifs est subordonnée à une autorisation de mise sur le marché, délivrée par le ministre des affaires sociales. Elle est exclusivement effectuée en pharmacie. Les contraceptifs inscrits sur tableau spécial, par décision du ministre des Affaires sociales, ne sont délivrés que sur ordonnance médicale ou certificat médical de non-contre-indication. Aucun produit, aucun médicament abortif ne pourra être inscrit sur ce tableau spécial. Cette ordonnance ou ce certificat de non-contre-indication sera nominatif, limité quantitativement et dans le temps, et remis, accompagné d’un bon tiré d’un carnet à souches, par le médecin au consultant lui-même. […] ». En tout état de cause, il s’agissait tout de même un pas réalisé vers l’accessibilité de la contraception. Ce dernier étant suivi d’un autre pas avec la loi n°74-1026 du 4 décembre 1974, portant diverses dispositions relatives à la régulation de naissances. En effet, elle procède un toilettage de la « Loi Neuwirth » notamment en permettant aux « centres de planification ou d’éducation familiale agréés » de délivrer gratuitement des médicaments, produits ou objets contraceptifs (sur prescription médicale) aux mineurs. La contraception est remboursée par la sécurité sociale. La contraception étant légalisée et rendu plus accessible, il était ainsi posé, d’une certaine manière, la fin du paradoxe interdiction d’avortement/ interdiction contraception. En effet, cette « dualité » instaurait une mécanique législative qui insérait la femme (mariée ou non) active sexuellement dans un hiatus aboutissant à sa criminalisation au point où la femme fertile était légalement dépossédée de l’aspiration de détenir et de mettre en œuvre légalement tout moyen de contrôle de sa fertilité. Dans la perspective relative à la prohibition de l’anti-natalité, ce hiatus « interdiction d’avortement/ interdiction contraception », pose même, pour certain, le corps de la femme comme faisant l’objet d’une « nationalisation » (L. MARGUET, « Les lois sur l’avortement [1975-2013] : une autonomie procréative en trompe l’œil », La revue des droits de l’homme, 2014, n° 5, en ligne sur http://revdh.revues.org/731).    C’est dans ce contexte qu’est promulgué la loi n°75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse, dite « Loi VEIL ».

 

  1. La légalisation de l’interruption volontaire de grossesse

 

La loi n°75-17 du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse, dite « Loi VEIL » pose dès son Titre Ier son statut d’éclaireur. En effet, au regard du contexte juridique, politique et social de l’époque évoqué par Mme VEIL dans son discours du 26 novembre 1974 (accessible sur le site de l’assemblée nationale à la rubrique « Grands discours parlementaires »), le texte pose explicitement un système dérogatoire et expérimental qui suspend pendant 5 ans la législation répressive prescrite par l’article 317 du code pénal de 1810 (art. 2, loi n°75-17 : « Est suspendue pendant une période de cinq ans à compter de la promulgation de la présente loi, l’application des dispositions des quatre premiers alinéas de l’article 317 du code pénal lorsque l’interruption volontaire de la grossesse est pratiquée avant la fin de la dixième semaine par un médecin dans un établissement d’hospitalisation public ou un établissement d’hospitalisation privé satisfaisant aux dispositions de l’article L176 du code de la santé publique. »). À ce titre, la « Loi VEIL » n’institue pas encore un droit à l’avortement mais cherche à « mettre fin à une situation de désordre et d'injustice et d'apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus difficiles […] ». Pour autant, cela n’a pas empêché le texte d’être soumis au juge constitutionnel à la suite de la saisine de ce dernier par 60 députés. En tout état de cause, cette saisine, a été la première occasion (mais pas la dernière) pour une « loi IVG » d’être soumis à l’examen de conformité constitutionnel. Outre le fait de confirmer le caractère dérogatoire des dispositions de la loi n°75-17, le conseil constitutionnel, par sa décision n°74-54 DC du 15 janvier 1975 (Considérants n°9 et 10 de ladite décision), ne considère pas que ladite loi est contraire à l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ni ne méconnait les principes énoncés dans le Préambule de la Constitution de 1946. Ainsi, adoubé par le juge constitutionnel et résistant à la pratique, le texte dérogatoire et expérimental visant à « mettre fin à une situation de désordre et d'injustice […] » qu’était la « Loi VEIL » est pérennisé par la loi n° 79-1204 du 31 décembre 1979 relative à l'interruption volontaire de la grossesse. Puis vient la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001 relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception (supprime l’autorisation parentale pour l’accès des mineures à la contraception, allonge du délai légal de recours à l’IVG, en aménageant de l’autorisation parentale pour les mineures demandant une IVG, et étend le champ du délit d’entrave.), ensuite la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes (supprime la notion "d’état de détresse", qui avait une appréhension très subjective, au profit de la locution « qui ne veut pas poursuivre une grossesse ».), et, enfin loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 relative à la modernisation de notre système de santé (supprime le délai de réflexion obligatoire de 7 jours).

 

Chacune de ces trois dernières lois a subi avec succès le contrôle de constitutionnalité (Décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001 ; Décision n° 2014-700 DC du 31 juillet 2014 ; Décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016) réalisé à la suite de la saisine du conseil constitutionnel soit par au moins 60 députés et/ou 60 sénateurs. Bien que le conseil constitutionnel n’en ait pas pour autant révélé à cet occasion un nouveau principe fondamental reconnus par les lois de la République, il n’en reste pas moins que cette stabilité dans l’appréhension des « Lois IVG » par le juge constitutionnel français n’est pas comparable au contexte de la question de l’avortement aux USA avant et, bien entendu, après la décision « Dobbs v. Jackson » du 24 juin 2022 (Rapport n° 42 (2022-2023) de Mme Agnès CANAYER, fait au nom de la commission des lois, déposé le 12 octobre 2022 : https://www.senat.fr/rap/l22-042/l22-0422.html).

 

Pour autant, cela signifie-t-il que les 47 années d’ancienneté du droit de l’avortement en France qui institue un droit à l’avortement au profit des femmes est intouchable ?  

 

  1. La fragilité du droit-créance de l’avortement

 

« Selon G. Burdeau, le droit-créance se présente comme « la prétention légitime à obtenir [de la collectivité] les interventions requises pour que soit possible l'exercice de la liberté »(1). Pour R. Pelloux, il confère « à l'individu le droit d'exiger certaines prestations de la part de la société ou de l'État : par exemple droit au travail, droit à l'instruction, droit à l'assistance »(2). Il ressort de ces définitions la prégnance de l'idée d'une dette positive. Le droit-créance est un pouvoir d'exiger, implique une intervention positive, une prestation positive... Alors que les libertés sont « opposables à l'État », les créances sont « exigibles de lui »(3). Ces dernières doivent être mises en oeuvre. J. Rivero soulignait qu'en l'absence de cette concrétisation, le droit « demeure virtuel »(4). » (Laurence GAY ; La notion de « droits-créances » à l'épreuve du contrôle de constitutionnalité ; CAHIERS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL N° 16 (PRIX DE THÈSE 2002) - JUIN 2004).

 

Récemment renforcée par la loi n°2022-295 du 2 mars 2022, le droit de l’avortement posé par les articles L2211-1 à L2223-2 et R2212-1 à R2222-3 du code de la santé publique, octroie à la femme enceinte, avant la fin de la quatorzième semaine de grossesse, qui ne souhaite pas poursuivre une grossesse, la faculté de demander à un médecin ou à une sage-femme d’interrompre sa grossesse. Cependant (L2212-8 du Code de la santé publique), dans la mesure où aucun médecin ou sage-femme n’est tenu de pratiquer une IVG, il pèse sur le professionnel qui refus de pratiquer une telle intervention, l’obligation « sans délai » de communiquer le nom de professionnels susceptibles de réaliser l’IVG. En outre, un établissement de santé privé peut refuser que des IVG soient pratiqués dans ses locaux sauf s’il est habilité à assurer un service public hospitalier et qu’il n’existe pas d’autres établissements de ce type dans le département ? dans la région ?

 

En tout état de cause, étant inscrite au titre du droit de la santé publique, le droit à l’accès à l’avortement et à la contraception est fortement tributaire des disparités d’offres de santé qui existe d’une région à une autre (Rapport sur la proposition de loi constitutionnelle de Mme Mathilde Panot et plusieurs de ses collègues visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception [293], n° 488 : https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/cion_lois/l16b0488_rapport-fond). L’existence de désert médicaux est l’une des premières zones à risque pour la garantie à toute personne d’avoir accès à une méthode d’IVG. Ces distorsions s’accentuent lorsque l’on y ajoute notamment les problématiques d’offre de transport…

 

L’accessibilité de l’avortement et de la contraception s’est construite dès 1975 comme un objectif que l’Etat s’imposait au regard, à l’époque, de la nécessité de « mettre fin à une situation de désordre et d'injustice […] ». Ainsi, débiteur d’ordre et de justice, l’Etat par l’institution pas à pas d’un droit de l’avortement a accentué son obligation d’assurer aux femmes enceintes une accessibilité aux différentes méthodes d’avortement ou de contraception. En outre, toujours dans l’objectif d’accessibilité, le Législateur, au fil du temps, a réajusté le délai d’ouverture de l’accès aux méthodes d’avortement (chirurgicales ou médicamenteuses) au profit des femmes enceintes, avant la dixième semaine, puis la douzième et enfin la quatorzième. De plus, il a également été reconfiguré la condition émotionnelle à l’accès à l’IVG en abandonnant le critère « d’état de détresse » (CE Ass. 31 oct. 1980, Lahache (concl. Genevois, D. 1981. 38) ; RDP 1981. 216, note J. ROBERT : l’appréciation de la « situation de détresse », est réservée à la femme enceinte ; Décision n°2014-700 DC, 31 juillet 2014) au profit d’un critère davantage potestatif tenant au fait que la femme enceinte « ne veut pas poursuivre une grossesse ». Par conséquent, il est patent, à la lecture de la succession de « Lois IVG » et des ajustements qu’elles ont chacune introduite, que l’Etat, par le biais tant du Législateur que par celui du pouvoir règlementaire s’est fixé un objectif à atteindre (Décision n°2001-446 DC, 27 juin 2001 : « Considérant qu'il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l'état des connaissances et des techniques, les dispositions ainsi prises par le législateur ; qu'il est à tout moment loisible à celui-ci, dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que l'exercice de ce pouvoir ne doit cependant pas aboutir à priver de garanties légales des exigences de valeur constitutionnelle ; »).  

 

Le droit-créance postule l’exigibilité d’une prestation à l’encontre de l’Etat. À ce titre, il doit faire en sorte que « Nul ne peut porter atteinte au droit à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception. », pas même lui et il doit faire en sorte que « La loi garantit à toute personne qui en fait la demande l’accès libre et effectif à ces droits. » (Texte de la commission des lois constitutionnelles, proposition de loi constitutionnelle visant à protéger et à garantir le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception). Quel meilleur moyen existe-t-il pour protéger un droit-créance d’une crise politique, économique ou religieuse que de le poser comme un objectif à valeur constitutionnelle. En effet, « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. » (§3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.). L’objectif d’accessibilité de l’avortement et de la contraception mis en œuvre par les « Lois IVG », contribue à garantir à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme.

 

« Les objectifs de valeur constitutionnelle ne sont pas des droits mais des buts assignés par la Constitution au législateur, qui constituent des conditions objectives d'effectivité des droits fondamentaux constitutionnels. Ils découlent des droits et libertés et servent à en déterminer la portée exacte. Ils servent moins à les limiter qu'à les protéger. La « clef d'interprétation » des objectifs réside ainsi dans l'effectivité des droits et libertés. » (Pierre de MONTALIVET, Les objectifs de valeur constitutionnelle, CAHIERS DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL N° 20 - JUIN 2006).

Publié sur village de la justice :   https://www.village-justice.com/articles/possible-constitutionnalisation-droit-ivg-droit-droit,43054.html

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8 septembre 2019 7 08 /09 /septembre /2019 16:05

La préservation de la personne physique contre l'altération de sa compréhension du sens et de la portée de l’engagement de caution envers un créancier professionnel est l'objectif substantiel  des formules consacrées par les articles L331-1 et L331-2 du Code de la Consommation.  C'est ce que nous révèle enfin la jurisprudence de la Cour de cassation après un long périple jurisprudentiel.

L’article L331-1 (ancien L341-2) du Code de la consommation pose une exigence ad validitatem (Cass. 1ère civ. En date du 25 juin 2009, pourvoi n°07-21.506 ; article L343-1 du Code de la Consommation : « Les formalités définies à l'article L. 331-1 sont prévues à peine de nullité. ») de l’apposition d’une mention manuscrite au sein du cautionnement simple formé par acte sous seing privé entre une personne physique qui se porte caution envers un créancier professionnel. Il en est de même pour le cautionnement solidaire (articles L331-2 [ancien L341-2] et L343-2 du Code de la consommation).

 

Dans le cadre de la mise en œuvre des exigences prescrites par les articles précités, il y a eu un long, et quelque peu tortueux, glissement jurisprudentiel quant au niveau de sévérité appliqué à la vérification de l’exact conformité de la mention manuscrite inscrite par la caution (simple ou solidaire) et celles imposées par la loi (c’est-à-dire :«En me portant caution de X...................., dans la limite de la somme de.................... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de...................., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X.................... n'y satisfait pas lui-même.» ; mais également : «En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec X je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement X.»). Notamment, par une décision en date du 16 mai 2012, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n°11-17.411) annulait le cautionnement dans lequel la mention manuscrite par la caution, personne physique, ne reprenait qu’approximativement la formule consacrée par l’article L331-1 du Code de la consommation. Alors que dans cette espèce, il n’était pas discuté le fait que la caution avait, par l’intermédiaire de la mention qu’elle avait manuscrite, une parfaite connaissance de l'étendue et de la durée de son engagement. En effet, la mention rédigée par la main de la caution avait la teneur suivante : « En me portant caution de Z… dans la limite des intérêts de retard et pour la durée de 108 mois et pour la somme de 74 400 € soixante-quatorze mille quatre cents euros. Couvrant le paiement Je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens. Si Z… n'y satisfait pas lui-même. En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2021 (nouv. Art. 2298, depuis ordonnance n°2006-346) du code civil et en m'obligeant solidairement avec Z…. Je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement ». Il est manifeste que la mention manuscrite par la caution, en tout cas au niveau de la reproduction de la formule de l’article L331-1 du code, n’était pas strictement identique ; de nombreuses libertés avaient été prises quant à l’agencement de certains termes, mais l’idée générale s’y retrouvait tout de même. En outre, des éléments avaient été ajoutés notamment afin de stipuler le caractère solidaire du cautionnement et de mettre en relief le niveau de gravité qu’implique la solidarité, c’est-à-dire la disparition du bénéfice de division et de discussion (art. L331-2 du Code de la consommation). Dès lors, bien que la mention inscrite par la caution ne fût pas un recopiage basique des formules consacrées, elle permettait de traduire l’ampleur de la gravité de la garantie souscrite en cristallisant la spécificité du cautionnement consenti par la personne physique au profit du créancier professionnel. Ainsi, plus qu’une transgression de la formule consacrée, l’adaptation qui en avait été faite constituait un enrichissement qui semblait être en cohérence avec la volonté du législateur de protéger la personne physique en lui imposant d’écrite de sa main une formule ayant pour finalité de la conscientiser. Un tel mixage par juxtaposition des deux formules, mais par un point-virgule, avaient été validée par la chambre commerciale de la Cour de cassation  en date du 5 avril 2011 (pourvoi n° 10-16.426 : « Attendu que pour déclarer nuls les actes de cautionnements souscrits par les consorts X..., l'arrêt constate qu'ils portent tous une mention manuscrite unique établie selon le modèle, suivie d'une signature, et retient que le fait de joindre les deux mentions manuscrites prévues par la loi aboutit à une phrase et qu'une telle juxtaposition des mentions prescrites par la loi, qui doivent être apposées successivement par la caution et non pas mélangées en une phrase incertaine lui rendant plus difficile de mesurer la portée de chacun de ses deux engagements, n'est pas conforme aux prescriptions d'ordre public des articles susvisés ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'apposition d'une virgule entre la formule caractérisant l'engagement de caution et celle relative à la solidarité n'affecte pas la portée des mentions manuscrites conformes aux dispositions légales, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; »). Le but des formules consacrées étant incontestablement de matérialiser la parfaite information dont avait pu bénéficier la caution quant à la nature et la portée de la garantie souscrite au profit d’un créancier professionnel (Cass. Com. 5 février 2013, pourvoi n° 12-11.720 : « Mais attendu que la violation du formalisme des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, qui a pour finalité la protection des intérêts de la caution, est sanctionnée par une nullité relative, à laquelle elle peut renoncer par une exécution volontaire de son engagement irrégulier, en connaissance du vice l'affectant ; qu'ayant constaté que l'engagement litigieux ne comportait pas les mentions légales prescrites, l'arrêt retient que la caution, après avoir souscrit un prêt à cette fin, a réglé les sommes dues, sans mise en demeure préalable et en dépit des conseils contraires de son avocat et de son comptable et, qu'ainsi conseillée, elle a agi en toute connaissance de cause ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que la caution avait entendu réparer le vice affectant son engagement , de sorte que cette confirmation au sens de l'article 1338 du code civil, l'empêchait d'en invoquer la nullité ; que le moyen n'est pas fondé ;»). La mention manuscrite qui avait été créée était le fruit d’une fusion-adjonction entre les exigences de l’article L331-1 (ancien art. L341-2) et celles de l’article L331-2 (ancien art. L341-3) du Code de la consommation.  Malheureusement, à l’époque, dans l’espèce traitée notamment par la 1ère chambre civile Cour de cassation (1ère civ. 16 mai 2012, pourvoi n°11-17.411). Elle appréhendait l’exigence de la mention manuscrite davantage comme un impératif ad validitatem protecteur de la stricte similitude des formules et non de l’efficacité du contenu de ces dernières qui s’intéresse à la vérification que celui qui se porte caution à bien conscience de ce que cela implique (Cass. Com. 5 février 2013 [pourvoi n° 12-11.720] ; mais également Cass. 1ère civ. 16 octobre 2013 [pourvoi n° 12-17858] : «Attendu que M. X... reproche à l'arrêt de dire que si la banque ne peut se prévaloir du caractère solidaire des cautionnements souscrits en raison de l'irrégularité affectant la mention manuscrite relative à la solidarité, ceux-ci demeurent toutefois valables comme cautionnements simples, alors, selon le moyen, que l'inobservation de la mention manuscrite relative à la solidarité est sanctionnée par la nullité du cautionnement, conformément aux dispositions de l'article L. 341-3 du code de la consommation dont la cour d'appel a ainsi violé les termes ; Mais attendu qu'après avoir constaté que l'engagement de caution avait été souscrit dans le respect des dispositions de l'article L. 341-2 du code de la consommation, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la sanction de l'inobservation de la mention manuscrite imposée par l'article L. 341-3 du même code ne pouvait conduire qu'à l'impossibilité pour la banque de se prévaloir de la solidarité, l'engagement souscrit par M. X... demeurant valable en tant que cautionnement simple ;»). En effet, sauf à faire la démonstration de l’existence d’une erreur matérielle, généralement, la Cour de cassation annulait la garantie dès lors que la formule manuscrite n’était pas strictement et exactement identique à celle consacrée (Cass. Com. 5 avril 2011, pourvoi n°09-14.358 : « Mais attendu que la nullité d'un engagement de caution souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel est encourue du seul fait que la mention manuscrite portée sur l'engagement de caution n'est pas identique aux mentions prescrites par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, à l'exception de l'hypothèse dans laquelle ce défaut d'identité résulterait d'erreur matérielle. »). Le défaut d’identité entre les formules consacrées par la loi (articles L331-1 [Caution simple] et L331-2 [caution solidaire] du Code de la consommation) n’entraine donc pas nécessairement l’annulation du cautionnement consenti par une personne physique au profit d’un créancier professionnel. L’erreur dite « matérielle » sauve l’opération de garantie. Par conséquent, il est nécessaire de cerner le contenu de cette notion « d’erreur matérielle » ; se poser la question de savoir ce qu’est exactement une erreur qui ne serait que matérielle et qui sauverait le cautionnement de la nullité ?

 

Indiscutablement, s’agissant d’une erreur, il faut admettre qu’il est donc identifié un événement qui est caractérisé par son inexactitude par rapport à une référence posée comme exacte, en l’occurrence les formules consacrées. A priori, elle ne relève pas d’un acte intentionnel ; sa cause est de l’ordre de l’inconscient, de la maladresse ou de la négligence. A fortiori, une erreur intentionnelle n’en est pas une. A minima, une telle « erreur » tient davantage du dol. Par conséquent, l’erreur matérielle doit nécessairement être non intentionnelle et portée sur le véhicule (la forme en quelque sorte) du message et non sur sa substance, c’est ce qu’implique l’adjectif « matérielle ». Ce terme renvoie à au moins deux types de dichotomies que l’on considère comme synonyme : matérielle/intellectuelle et instrumentum/negotium.  Dès lors, il est possible de dire qu’une erreur matérielle consiste en l’inexactitude qui affecte, par inadvertance, un écrit sans altérer sa signification (Cass. 1ère civ. 11 septembre 2013 ; pourvoi n° 12-19.094). L’erreur peut notamment se matérialiser par l’omission ou une substitution (Cass. 1ère civ. 11 septembre 2013 ; pourvoi n° 12-19.094 :  « Attendu que pour accueillir cette demande, l'arrêt retient, d'une part, que dans l'acte de cautionnement du 1er août 2006, le texte reproduisant la formule prévue à l'article L. 341-2 est séparé de celui reproduisant la formule prévue à l'article L. 341-3 par une virgule et non par un point, en sorte que le premier mot de l'expression « en renonçant au bénéfice de discussion » commence par une minuscule et non par une majuscule ainsi qu'il est expressément mentionné à l'article L. 341-3, d'autre part, que dans l'acte de cautionnement du 24 avril 2008, les formules des articles L. 341-2 et suivant ne sont séparées par aucun signe de ponctuation et qu'une telle anomalie ne saurait être tenue pour une erreur purement matérielle puisque le texte unique ainsi composé au mépris des dispositions précitées est incompréhensible et de nature à vicier le consentement de la caution ; Qu'en statuant ainsi, alors que ni l'omission d'un point ni la substitution d'une virgule à un point entre la formule caractérisant l'engagement de caution et celle relative à la solidarité, ni l'apposition d'une minuscule au lieu d'une majuscule au début de la seconde de ces formules, n'affectent la portée des mentions manuscrites conformes pour le surplus aux dispositions légales, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; »). Lorsque l’écrit manuscrit par la caution n’est manifestement pas identique aux formules consacrées notamment du fait d’omissions de ponctuations ou de substitutions de minuscules par des majuscules ; il ne met plus nécessairement en péril le negotium. Il est ainsi pris une autre posture (Cass. 1ère civ. 16 mai 2012 [pourvoi n°11-17.411] ; Cass. Com. 5 avril 2011 [pourvoi n°09-14.358]) que celle qui permettait à la caution, qui par maladresse ou par filouterie recopiait plus ou moins fidèlement les formules consacrées, de se libérer de son engagement vis-à-vis du créancier sans que soit analysée la question de savoir si cette dernière avait, malgré ses errements de plume (intentionnel ou non), tout de même saisie la portée et le sens de l’engagement de cautionnement.

Une telle sévérité affectait la fiabilité des cautionnements formés par acte sous seing privé entre une personne physique et un créancier professionnel. Elle permettait à la caution d'échapper à son engagement, du fait de ses propres errements dans le copiage de la formule consacrée et faisait peser, à juste titre d’ailleurs, sur le créancier une obligation d’information de résultat devant se matérialiser par la vérification de la stricte exactitude de la mention manuscrite par la caution. En effet, cette jurisprudence dénaturait le but visé par l’article L331-1 du Code de la consommation, mais également celui visé par l’article L331-2 du même Code. La position de sévérité quant à la stricte identité occultait le fait que le contenu des formules consacrées vise à mettre en relief le fait que celui qui souscrit à l’engagement de caution ait pris conscience de la gravité d’une telle opération (Cass. 1ère civ. 27 novembre 2013 ; pourvoi n° 12-21.393 : « Attendu que pour prononcer la nullité du cautionnement et ainsi débouter la banque de sa demande, l'arrêt retient que la mention manuscrite rédigée par Mme X... n'est pas conforme à celle prévue aux articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, en ce que l'ajout des adjectifs « personnelle et solidaire » est de nature à altérer la portée de l'engagement résultant du premier de ces textes, tandis que l'erreur de référence textuelle relevée dans la mention manuscrite du second d'entre eux a privé Mme X... de la possibilité de s'informer sur la portée de l'engagement solidaire comprenant la renonciation au bénéfice de discussion ; Qu'en statuant ainsi, alors que ni l'évocation du caractère « personnel et solidaire » du cautionnement dans la formule caractérisant l'engagement de caution, ni la substitution du numéro « 2021 » au numéro « 2298 » dans celle relative à la solidarité, n'affectent la portée des mentions manuscrites, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; »).  Il est indiscutable que les formules consacrées visent à matérialiser l’existence d’une adhésion réelle, sérieuse et pleinement consciente. Cet objectif est renforcé par l’exigence que la mention soit manuscrite et non simplement dactylographier puis soumise à la signature de la caution. Autrement-dit, il s’agit de figer par la mention manuscrite le fait que la caution personne physique ait consenti, en toute connaissance de cause (Cass. Com. 5 février 2013, pourvoi n° 12-11.720 [citée précédemment]), à l’opération sans être victime d’une erreur quant à la substance de l’engagement. C’est cette perception du contenu des articles L331-1 et L331-2 du Code précité qui entraine un changement de braquet de la jurisprudence. En effet, la Cour de cassation, notamment par une décision en date du 22 janvier 2014 (pourvoi n°12-29.177 : « Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer diverses sommes à la banque, alors, selon le moyen, que la nullité d'un engagement de caution souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel est encourue du seul fait que la mention manuscrite portée sur l'engagement de caution n'est pas identique aux mentions prescrites par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation ; qu'en estimant l'engagement de caution de M. X... valable, tout en relevant que la mention manuscrite de l'acte de caution n'était pas identique aux prescriptions des articles susvisés, la cour d'appel a violé les articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation ; Mais attendu qu'après avoir constaté que la mention manuscrite portée sur l'acte litigieux était ainsi rédigée : « je soussigné X... Saïd déclare accepter de me porter caution de Alris Interactive dans la limite de la somme de 120 000 (cent vingt mille euros) couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard, et pour la durée de 51 mois. Je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si Alris Interactive n'y satisfait pas lui-même. En renonçant au bénéfice de discussion défini par l'article 2021 du code civil et en m'obligeant solidairement avec Alris Interactive, je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement Alris Interactive », c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que si cette mention n'était pas identique aux prescriptions légales dans la mesure où M. X... avai déclaré accepter de se porter caution au lieu de reproduire la formule « en me portant caution » prévue par l'article L. 341-2 du code de la consommation, avait mis un point à la place d'une virgule après l'indication de la durée de son engagement et avait fait référence à l'ancien article 2021 du code civil, alors que cet article était devenu l'article 2298 à l'issue de la loi du 23 mars 2006, dont le contenu était le même que celui de l'article 2021, la nullité du cautionnement n'était pas encourue dès lors que les différences ainsi observées n'affectaient pas la portée des mentions manuscrites prescrites par la loi ; ») ne prononçait pas l’annulation du cautionnement malgré les différences (un point à la place d’une virgule) entre la mention manuscrite par la caution et celle consacrée dès lors que les modifications n’en affectaient pas le sens et la portée (Cass. Com. 27 janvier 2015, pourvoi n°13-24.778 : «Mais attendu qu'après avoir constaté qu'à la formule de l'article L. 341-2 du code de la consommation, la banque avait fait ajouter, après la mention « au prêteur », les mots suivants : « ou à toute personne qui lui sera substituée en cas de fusion, absorption, scission ou apports d'actifs », l'arrêt retient que cet ajout, portant exclusivement sur la personne du prêteur, ne dénature pas l'acte de caution et n'en rend pas plus difficile la compréhension ; qu'ayant ainsi fait ressortir que l'ajout n'avait pas altéré la compréhension par les cautions du sens et de la portée de leurs engagements, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ; ». Également la Cass. Com. 9 mai 2018, pourvoi n°16-26.926 : exemple d’une erreur matérielle par adjonction d’un mot superflu).

Ainsi, les modifications qui rendaient désordonnée et confuse la mention en imposant son interprétation permettaient au juge de prononcer la nullité du contrat du fait de l’altération de la compréhension du sens et de la portée des formules consacrées. Ce positionnement est consolidé par plusieurs décisions prononcées (Cass. Com. 7 février 2018 [pourvoi n°16-20.586], Cass. Com. 10 janvier 2018 [pourvoi n°15-26.324] ; a contrario : Cass. Com. 28 mars 2018 [pourvoi n°16-26.561] ; Cass. Com. 9 mai 2018 [pourvoi n°16-26.926]), notamment en 2018, par la Cour de cassation. La jurisprudence sanctionne par la nullité le cautionnement dont la mention manuscrite par la caution, personne physique, n’est pas identique à la formule consacrée mais uniquement si l’altération de la formule consacrée en affecte lourdement le sens et la portée. Dans l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 10 janvier 2018 (pourvoi n°15-26.324 : «Mais attendu, d'une part, qu'ayant retenu, par motifs propres, que l'indication du débiteur principal avait été omise dans la mention manuscrite, de même que les termes « dans la limite de », et relevé, par motifs adoptés, l'omission de plusieurs conjonctions de coordination articulant le texte et lui donnant sa signification, ce qui allait au-delà du simple oubli matériel, la cour d'appel en a exactement déduit que l'accumulation de ces irrégularités constituait une méconnaissance significative des obligations légales qui affectait le sens et la portée des mentions manuscrites, justifiant l'annulation de l'acte de cautionnement ; »), la mention manuscrite par la caution comportait de nombreuses omissions qui en altéraient le sens (Cass. Com. 7 février 2018 [pourvoi n°16-20.586] :« Qu’en statuant ainsi, alors que l'erreur relevée, en ce qu'elle rendait la mention manuscrite légale inintelligible, en affectait le sens et la portée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;») et laissaient appréhender ses irrégularités comme une grave altération du consentement de ladite caution. La formule légalement consacrée étant posée comme la matérialisation d’une adhésion réelle, sérieuse et pleinement consciente. L’altération (par l’omission de conjonctions de coordination ou de termes) du sens implique l’altération de l’intégrité du consentement justifiant ainsi l’annulation du contrat. Dès lors, malgré l’adoucissement de la sévérité appliquée à la vérification de la liberté prise dans le recopiage des formules consacrées par les articles L331-1 et L331-2 du Code de la consommation, il est indispensable que le créancier s’impose l’obligation (de résultat) de veiller que la substance du sens et de la portée de ladite formule ne soit pas altérée au risque pour lui de perdre la garantie adjointe au remboursement de sa créance en cas de défaillance du débiteur principal.

 

Du débat sur l’exactitude stricte des formules consacrées, l’on arrive enfin à l’essentiel, c’est-à-dire que ce qui est important ce n’est pas l’altération de l’instrumentum (les mots et les ponctuations des formules) mais le negotium (la substance de l’engagement). Les formules consacrées par les articles L331-1 et L331-2 du Code de la consommation, matérialisent le souci du Législateur de s’assurer que la personne physique, qui se porte caution (simple ou solidaire) envers un créancier professionnel, a bien saisi l’ampleur de la gravité de son engagement. Les formules cristallisent la compréhension de l’engagement de cautionnement, mais également ce qui est l’essentiel du contenu de l’engagement. C’est à ce titre que la Cour de cassation, en date du 14 mars 2018 (pourvoi n° 14-17.931), n’annule pas le cautionnement mais le limite aux accessoires de la dette car lors de l’apposition de la mention par la caution, cette dernière avait omis d’inscrire le mot « principal ». Les mentions consacrées par les articles précités sont incontestablement liées à l’obligation d’information de la caution par le créancier professionnel. Elles constituent la preuve de la compréhension de la substance du cautionnement au point ou si l’altération des mentions en impacte le sens alors la nullité encourue. Dès lors, le cœur du débat sur l’intégrité (et non l’exactitude, du coup) des formules consacrées est en fait porté par la question de savoir si le créancier professionnel a exécuté son obligation d’information de résultat quant à la vérification que la mention effectivement manuscrite, par la personne physique qui se porte caution, n’est pas affecté d’une ou plusieurs altérations nuisibles à son l’intelligibilité. La sanction du défaut d’exécution de cette obligation de correction de résultat sera la nullité dès lors que le juge constatera que les erreurs de plume ou les libertés de plume altèrent la compréhension par les cautions du sens et de la portée de leurs engagements.

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13 avril 2011 3 13 /04 /avril /2011 17:31

 

Au sein du mécanisme de responsabilité civile, il existe deux grandes catégories de régime juridique qui sont susceptibles de pourvoir à la réparation d’un préjudice subi par un individu. Il s’agit de la responsabilité civile contractuelle et de la responsabilité civile extracontractuelle. Ces mécanismes de responsabilité sont loin d’être distincts par complaisance dans la mesure où leurs faits générateurs posent des situations juridiques qui recouvrent des réalités foncièrement différentes. En effet, nonobstant le truisme qui affecte la mise en relief de la dualité de la responsabilité civile ; il faut comprendre que le dispositif de responsabilité contractuelle n’existe qu’en présence d’un contrat valable. Parallèlement, le dispositif de responsabilité extracontractuelle n’existe qu’en l’absence d’un contrat valable. Par conséquent, les faits qui autorisent la demande et l’obtention de l’indemnisation d’un préjudice né d’une faute contractuelle (inexécution, retard dans l’exécution ou mauvaise exécution d’une obligation contractuelle [art. 1147 du Code civil]) ne devraient pas permettre la demande et l’obtention d’une indemnité en réparation d’un préjudice né d’une faute extracontractuelle (transgression d’une règle de conduite imposée par la loi ou manquement a un devoir général de prudence et de diligence [art 4 DDHC]). Dans la même logique, les faits qui permettent l’action en justice et l’obtention d’une indemnité compensatoire afin de réparation d’un préjudice né hors rapports contractuels ne peuvent fonder une action en responsabilité contractuelle. Cette dualité est renforcée par l’existence d’un principe de non-cumul (le projet de réforme, CATALA, du droit des obligations propose la codification du principe à l’art. 1341 al.1 : « En cas d’inexécution d’une obligation contractuelle, ni le débiteur ni le créancier ne peuvent se soustraire à l’application des dispositions spécifiques à la responsabilité contractuelle pour opter en faveur de la responsabilité extracontractuelle »). Ce dernier a une double efficacité. D’une part, il interdit qu’une même personne puisse, pour les mêmes faits, obtenir des dommages et intérêts tant sur le fondement de la responsabilité contractuelle que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle. D’autre part, le dualisme de la responsabilité civile et le principe de non-cumul excluent la possibilité d’option de complaisance (Cass. 1ère civ du 7 mars 1989, « VALVERDE » [N° 87-11.493]), c'est-à-dire qu’il n’est pas possible pour un justiciable de choisir le régime de responsabilité qui lui semble le plus favorable (le projet de réforme, CATALA, du droit des obligations propose, à l’art. 1341 al.2, l’introduction de l’option pour les seuls préjudices corporels : « […] lorsque cette inexécution provoque un dommage corporel, le cocontractant peut, pour obtenir réparation de ce dommage, opter en faveur des règles qui lui sont plus favorables »). Ce sont ces données qui caractérisent l’autonomie des fautes contractuelle et extracontractuelle, et posent l’étanchéité entre les deux grandes catégories de responsabilité civile (de manière plus globale ces données mutatis mutandis renvoient à l’étanchéité entre les différents mécanismes de responsabilités juridiques qui existent en droit français : responsabilité pénale, responsabilité administrative, responsabilité civile). Dès lors, lorsqu’il n’y a pas de lien contractuel direct entre la victime et l’auteur du préjudice. Conformément à l’article 1165 du Code civil, la victime peut rechercher la responsabilité de l’auteur du dommage uniquement sur les fondements de la responsabilité extracontractuelle (Assemblée Plénière 12 juillet 1991, « Besse » [N°90-13602]). Fort de cela, survient la question de savoir quelle est la solution pour l’apurement de la situation au sein de laquelle le tiers au contrat subit un préjudice extracontractuel provoqué par une faute contractuelle ?

Conformément à l’autonomie des fautes et l’étanchéité des responsabilités, une faute contractuelle ne devrait pas permettre le fondement d’une responsabilité extracontractuelle. Ainsi, de ce point de vue, afin que la victime non contractante obtienne réparation nécessairement sur le fondement d’une responsabilité extracontractuelle (Assemblée Plénière 12 juillet 1991, « Besse » [N°90-13602]) ; elle devra démontrer l’existence d’une faute extracontractuelle détachable de l’inexécution contractuelle (Com. 17 juin 1997 [N°95-14.535] ; 1ère civ. 16 décembre 1997 [N°95-22.321], 1ère civ. 18 juillet 2000 [N°99-12.135] ; Com. 8 octobre 2002 [N°98-22.858] ; Com. 5 avril 2005 [N°03-19.370]). En effet, la Cour de cassation refusait d’octroyer des dommages et intérêts à un tiers victime d’une faute contractuelle si cette dernière était purement contractuelle, c'est-à-dire qu’elle ne constituait pas également un manquement (à l’égard de la victime non contractante) au devoir général de ne pas nuire à autrui (article 4 DDHC). Ce positionnement a sa logique, car bien que l’article 1165 pose le principe de l’effet relatif du contrat selon lequel les obligations contractuelles ne doivent ni nuire ni profiter aux tiers. Cela signifie que les tiers ne peuvent être ni créanciers ni débiteurs d’obligations contractuelles. Toutefois, la situation juridique créée par le contrat peut être opposable tant par les tiers qu’aux tiers. De ce point de vue, la situation juridique, créée par une relation contractuelle, qui est la source d’un préjudice, donne indiscutablement une possibilité d’obtenir réparation. Dans la mesure où le tiers est ni débiteur ni créancier des obligations contractuelles, il est logique qu’il ne puisse rien exciper de l’économie du contrat. Les prérogatives qu’il tire de la situation juridique qui lui est nuisible ne naissent pas d’un acte juridique, mais d’un fait juridique contraire à l’obligation générale de ne pas nuire à autrui. Ainsi, si le tiers victime désir obtenir réparation de son préjudice, il est logique qu’il prouve la transgression de la seule obligation qu’il a contre la partie d’un contrat dont il n’est pas membre, c'est-à-dire la violation à son égard du devoir général de ne pas nuire à autrui (Com. 17 juin 1997 [N°95-14.535] ; 1ère civ. 16 décembre 1997 [N°95-22.321], 1ère civ. 18 juillet 2000 [N°99-12.135] ; Com. 8 octobre 2002 [N°98-22.858] ; Com. 5 avril 2005 [N°03-19.370]). Dès lors, l’apurement de ce contentieux ne devrait pas être problématique dans la mesure où la Cour de cassation semblait y apporter une solution juridiquement plausible et acceptable. Mais c’était sans compter la schizophrénie dont peut faire preuve la Haute juridiction qui est quelquefois comme l’hydre de Lerme, c'est-à-dire qu’à l’instar de ce serpent monstrueux a sept têtes qui repoussaient (à raison de deux pour une) à mesure que l’on les tranchait. En effet, au gré de la formation des chambres principalement concernées (Chambres civiles 1ère, 2ème et chambre commerciale). La Cour de cassation tantôt refusait l’octroi d’indemnisation s’il n’était fait la preuve d’une faute détachable du contrat (Com. 17 juin 1997 [N°95-14.535] ; 1ère civ. 16 décembre 1997 [N°95-22.321], 1ère civ. 18 juillet 2000 [N°99-12.135] ; Com. 8 octobre 2002 [N°98-22.858] ; Com. 5 avril 2005 [N°03-19.370]), tantôt accordait l’indemnisation sans exiger la preuve d’une faute détachable (1ère civ. 13 février 2001 [N°99-13.589] ; Com. 5 mars 2002 [N°98-21.022] ; Com. 1er juillet 2003 [N°99-17.183] ; 2ème civ. 23 octobre 2003 [N°01-15.391] ; 1ère civ. 18 mai 2004 [N°01-13.944]). Ces divergences de décisions étaient fortement préjudiciables à l’égalité devant la loi (art. 1er al.1er et 6 de la DDHC) et à la sécurité juridique qui suppute la prévisibilité. Bien que fondamentalement, les deux doctrines de la Cour de cassation sur cette même question recherchent, toutes deux, la même efficacité, c'est-à-dire l’octroi de dommages et intérêts au tiers ayant subi un préjudice du fait d’une faute d’un contractant ; elles divergent sur le contenu de l’argumentaire des plaideurs. L’une exige la preuve d’une faute extracontractuelle autonome vis-à-vis du contrat et de son inexécution (Com. 5 avril 2005 [N°03-19.370]). L’autre n’exige pas la preuve de l’autonomie des fautes, au contraire, elle semble les percevoir comme interdépendante, voire unitaire (1ère civ. 18 mai 2004 [N°01-13.944]). Il était donc indispensable que l’assemblée plénière de la Cour de cassation se saisisse de la question (art. L431-6 Code de l’organisation judiciaire) afin d’imposer l’unicité de solution. C’est ainsi qu’en date du 6 octobre 2006, l’assemblée plénière de la Cour de cassation (arrêt « Consorts Loubeyre c/ Myr’HO » [N°05-13.255]) tranche entre les deux doctrines d’une même politique jurisprudentielle et énonce que « […] le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage […] ». Dès lors, la doctrine exigeant la preuve d’une faute détachable a été disqualifiée au profit d’une dilution de l’autonomie des fautes. Cette dernière autorise donc l’obtention d’une indemnité découlant de la responsabilité extracontractuelle, mais sur le fondement d’une faute contractuelle à condition qu’il existe un dommage extracontractuel. Ainsi, ce n’est pas la détachabilité de la faute qui est recherchée, mais celle du dommage. Malgré une dissidence accidentelle (3ème civ. 22 octobre 2008 [N°07-15.692]), il est possible de constater la constance de l’affirmation d’une dilution circonstancielle de l’autonomie des fautes (2ème civ. 10 mai 2007 [N°06-13.269] ; 1ère civ. 15 mai 2007 [N)05-16.926] ; 3ème civ. 4 juillet 2007 [N°06-15776] ; Com. 21 octobre 2008 [N°07-18.487] ; 3ème civ. 27 mars 2008 [N°07-10.473] ; 3ème civ. 13 juillet 2010 [N°09-67.516]). Ce positionnement achève la marche vers la dilution de l’autonomie des fautes qui avait été entamé de manière moins précaire au profit d’un contractant victime d’une inexécution contractuelle du fait d’un tiers. En effet, conformément à une jurisprudence constante de la Cour de cassation (Com. 19 octobre 1954 [Dalloz 1956, p.78] ; 1ère civ. 26 janvier 1999 [N°96-20.782] ; 1ère civ. 17 octobre 2000 [N°97-22.498] ; Ass. Plén. 9 mai 2008 [07-12.449]), Il est possible pour un contractant d’obtenir des dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle du fait d’une faute extracontractuelle qui provoque l’inexécution d’une obligation contractuelle. Ainsi, le principe d’opposabilité des situations juridiques participe pour beaucoup à une sorte d’unité circonstancielle des fautes contractuelle et extracontractuelle. Ce mouvement est salutaire, car il permet l’apurement d’un contentieux qui, s’il était fait application stricte de l’autonomie, laisserait beaucoup de victimes sans indemnité à défaut de caractérisation d’une détachabilité pas toujours évidente à démontrer tant les situations peuvent être interconnectées. En outre, il n’aurait pas été sain, dans le mouvement de dilution des autonomies, d’autoriser l’opposabilité des clauses contractuelles (telles clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité) au tiers victime comme s’il s’était substitué (subrogé) à un contractant. Le tiers victime agit directement pour son compte sur le fondement d’un mal qu’il subit personnellement. C’est ailleurs pour cela que le terme de « dilution des autonomies » est plus approprié que celui « d’assimilation des fautes ». il semble que le projet de réforme du droit des obligations (CATALA) propose une solution qui laisse au tiers victime une option entre le régime exclusivement contractuel ou le régime exclusivement extracontractuelle. Ce positionnement prône un renforcement de l’autonomie des fautes et va donc ressusciter la doctrine exigeant la détachabilité des fautes, mais aggravée par la possible opposabilité des clauses contractuelles (ce qui est différent de l’opposabilité de la situation juridique) au tiers comme s’il s’était substitué à un contractant (le projet de réforme, CATALA, du droit des obligations, art. 1342 : « Lorsque l'inexécution d'une obligation contractuelle est la cause directe d'un dommage subi par un tiers, celui-ci peut en demander réparation au débiteur sur le fondement des articles 1362 à 1366. Il est alors soumis à toutes les limites et conditions qui s'imposent au créancier pour obtenir réparation de son propre dommage. Il peut également obtenir réparation sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle, mais à charge pour lui de rapporter la preuve de l'un des faits générateurs visés aux articles 1352 à 1362 »). S’il y avait véritablement une réforme de ce volet du droit des obligations. Il s’agit d’espérer que le législateur ne valide pas cette proposition (article 1342 du projet de réforme du droit des obligations [C    ATALA]).

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12 avril 2011 2 12 /04 /avril /2011 17:25

La responsabilité civile est un mécanisme juridique de responsabilité qui a vocation à réparer via l’octroi de dommages et intérêts les préjudices par un individu que celui-ci soit dans une relation contractuelle ou non avec autrui. Pour réaliser ce mécanisme juridique de réparation, il est exigé (sauf configuration particulière au sein desquelles interviennent des présomptions) la démonstration de l’existence d’une faute en lien avec le préjudice réparable (direct, certain, personnel et légitime). Lorsque ces éléments constitutifs sont recouverts ou lorsque les présomptions sont invocables, celui qui est reconnu responsable devra indemniser la victime voire, le cas échéant, les victimes par ricochet. Cependant, il faut garder à l’esprit que les mécanismes de responsabilité civile ne sont pas irrésistibles, car celui dont la responsabilité est recherchée, peut se libérer de cette obligation à réparation s’il excipe des causes exonératoires. De là, il est perceptible que l’efficacité recherchée dans la notion de cause exonératoire repose sur l’institution d’une échappatoire à l’obligation à réparation. En effet, les événements susceptibles de produire un effet libératoire sont la force majeure, le cas fortuit, le fait d’un tiers ou le fait de la victime.

Cela dit en passant, il est possible d’ajouter l’acceptation des risques et le consentement de la victime (valide uniquement pour les dommages matériels). Ces événements, bien qu’ils ne soient pas des causes exonératoires au sens strict de la notion. Dans la mesure où, ils procèdent à une disqualification de l’acte dommageable, ce dernier ne doit plus être perçu comme une transgression à l’obligation de ne pas nuire à autrui ou comme une violation d’une obligation contractuelle. Ainsi, l’acceptation des risques et le consentement de la victime interdisent à cette dernière de solliciter la réalisation de l’obligation à réparation ; c’est ainsi qu’il y a, à l’instar des causes exonératoires « classiques », un effet libératoire.

L’excuse octroyée par les causes exonératoires « classiques » (force majeure, faite de la victime et fait d’un tiers), pour qu’elle soit admise par les juges, doit être caractérisée par trois éléments constitutifs, c’est-à-dire : l’irrésistibilité, l’imprévisibilité et l’extériorité. En principe, s’il manque l’un des trois éléments constitutifs précédemment énumérés, l’événement excipé pour libération ne peut pourvoir à cette efficacité. En effet, la force majeure, le fait d’un tiers ou de la victime s’ils sont prévisibles, évitables ou découlent de données inhérentes à la sphère d’activité du potentiel responsable ; ils ne peuvent rendre excusable la réalisation d’un dommage, car dans ces hypothèses, il y a la caractérisation de la défaillance litigieuse. Pour ce qui concerne le cas fortuit et en dehors du fait que l’extériorité n’est pas recherchée. L’absence d’imprévisibilité ou/et d’irrésistibilité interdit que le cas fortuit soit exonératoire. Toutefois, dans certaines circonstances, les juges ont admis (Cass. 1ère civ. 9 mars 1994, « Montagnani c/ soc. résidences des Lices » [n°91-17.459 ou 91-17.464] ; Cass. com. 1er octobre 1997, « société d'Aucy c/ société Szymanski » [N°95-12.435] ; Cass. 2ème civ. 13 juillet 2000, « Association arts spectacles » [98-21.530]) que la seule irrésistibilité de l’événement à l’origine du dommage est susceptible d’octroyer un effet libératoire. Cette configuration atypique de la force majeure (et potentiellement du fait du tiers ou de la victime) dispose exceptionnellement d’une force exonératoire lorsque, prévisible, le débiteur a mis en œuvre tous les moyens possibles (c’est-à-dire au moins ceux qui sont prescrits par loi voire également ceux que l’usage et le bon sens imposent) pour interdire la réalisation de l’événement dommageable. Malgré ses précautions, la prévoyance (prudence et diligence) ne fait pas échec à la survenance de l’événement dommageable prévisible. Ainsi, lorsque le comportement du débiteur a été en quelque sorte exemplaire, car il a eu une prudence et une diligence avérées, ou parce qu’il a vraiment mis tous les moyens en œuvre (obligation de moyens), ou encore parce qu’il a fait tous les actes qui garantissaient la réalisation de sa promesse (obligation de résultat) ; alors la fatalité qui caractérise l’événement dommageable doit, à elle seule, suffire à octroyer une force exonératoire à l’irrésistibilité. La bonne foi du contractant (article1134 alinéa3 du Code civil [obligation de coopération et de loyauté]) ou le comportement diligent et prudent d’un individu (art.4 de la DDHC) ayant été sans faille, il ne serait pas équitable de maintenir la responsabilité d’un justiciable du fait de l’inéluctabilité (appréciée au regard du comportement de l’intéressé face à la prévisibilité; voir l’article 1349 al.3 de l’avant projet de réforme du droit des obligations : « […] La force majeure consiste en un événement irrésistible que l’agent ne pouvait prévoir ou dont on ne pouvait éviter les effets par des mesures appropriées ») d’un événement dommageable. Cela étant, dans certaines situations (hypothèse du fait de la victime exclue), cet effet libératoire de la seule irrésistibilité prive d’une indemnité une victime qui risque de se trouver sans indemnisation voire qui risque de peser lourd sur les assureurs. De là, l’actuel mouvement de renforcement ou d’épanouissement du mécanisme de solidarité nationale dans les situations de « dommages sans responsable » peut être appréciable et doit être encouragé.

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24 février 2011 4 24 /02 /février /2011 00:21

La France est une République indivisible (art. 1er de la Constitution). Cela signifie que la diversité de son territoire et son organisation administrative doivent être perçues comme un ensemble unitaire. Ainsi, les mouvements de décentralisation et de déconcentration ont pour principal objectif non de diviser l’État français, mais d’établir des dispositifs susceptibles de prendre des décisions de proximités (art.72 al.2 de la Constitution). Les Collectivités territoriales (Communes, Départements, Régions, Collectivités à statut particulier et Collectivités régies par l’art. 74) sont des dispositifs de décentralisation dont l’autonomie financière (art. 72-2 de la Constitution) et l’autonomie de décision (art. 72 al.3 de la Constitution) sont constitutionnellement garantis.

Chaque Collectivité territoriale a sa sphère de compétence. Cela signifie que chacune des collectivités territoriales peut agir uniquement dans le domaine de compétence que la loi (Art. L.4221-1 (Région), L.3211-1 (Département) et L.2121-29 (Commune) du Code Général des Collectivités Territoriales) lui a attribué sans pouvoir empiéter sur le domaine de compétence d’une autre, sans pouvoir subordonner une autre Collectivité (art. 72 al.5 de la Constitution). De ces impératifs constitutionnels, il ressort que les Collectivités territoriales situées sur une même parcelle du territoire de la République sont obligées de coopérer si elles veulent administrer efficacement et dans le respect de la Constitution. Cette obligation de coopération est ce qu’il y a lieu de désigner par « gouvernance territoriale ».

 

Alors, vous me demanderez : « mais qu’est-ce que tout cela a avoir avec le renouvellement du conseil général ? quel rapport avec la future Collectivité de Guyane ? »

L’enjeu des derniers référendums sur l’évolution statutaire ou institutionnelle, l’enjeu de chaque élection locale qu’il s’agisse des municipales ou des régionales ou encore des cantonales est toujours le même : la gouvernance territoriale.

 

Pour les Collectivités territoriales métropolitaines l’évolution « institutionnelle » est posée par la loi n°2010-1563 en date du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales. Ce texte procède non à une substitution-fusion de collectivité ou d’assemblée telle que prescrite par l’article 73 dernier alinéa de la Constitution (collectivité unique ou assemblée unique), mais réalise une substitution-fusion d’élus (c'est-à-dire maintien de l’individualité des collectivités mais institution d’élus uniques), car les conseillers régionaux et les conseiller généraux des collectivités métropolitaines seront remplacés par les conseillers territoriaux qui siégeront à la fois au conseil régional et au conseil général. Vous comprenez que ces dispositifs de substitution-fusion en vocation à réduire les zones d’incertitude qui subsistent lorsque la gouvernance territoriale est synonyme de coopération entre élus de collectivités a compétences et à cultures de travail différentes sans option possible de subordination (interdiction de tutelle entre les Collectivités [art.72 al.5 de la Constitution]).

Pour la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe (cette dernière a été exemptée de consultation) aucun changement de configuration ne peut être prise de la seule initiative du gouvernement contrairement à la marge de manœuvre dont il dispose pour prendre l’initiative de l’évolution des Collectivités territoriales métropolitaines. En effet, la Constitution impose à l’exécutif national d’avoir, au préalable (art. 72-4 de la Constitution), le consentement des électeurs « d’outre-mer » afin de procéder à une l’évolution « statutaire » (modification du régime législatif ou/et des compétences) ou à une évolution « institutionnelle » (modification de l’organisation de la collectivité). L’évolution statutaire a été refusée (1er référendum). L’évolution institutionnelle a été acceptée (2nd référendum). La marche vers la Collectivité de Guyane est lancée, à compter de ce choix des électeurs inscrits sur les listes électorales de Guyane. Par conséquent, la fin de vie de la « région Guyane » et du « département Guyane » est entamée. Le Conseil général vie ses dernières heures. Cette ultime (quoique partielle) élection cantonale devra renouveler un conseil de vigilance, d’anticipation, de préparation et d’organisation de la fusion en marche.

 

La Collectivité de Guyane (art. 2 du projet de loi ; éventuel article L7111-1 du Code général des collectivités territoriales) est l’institution qui naîtra de la substitution-fusion décrite au dernier alinéa de l’article 73 de la Constitution. Conformément à la constitution, il s’agira uniquement de la fusion, au sein d’une unique Collectivité territoriale, des attributions qui étaient celles du département et celles de la région (art. 2 du projet de loi ; éventuels art. L7111-1 et L.7151-1 du Code général des collectivités territoriales). Cette configuration réduit l’effort de coopération car celui qui sera le président de cette Collectivité de Guyane aura entre ses mains une concentration de pouvoirs administratifs ( a priori compétences du président du conseil général et compétences du président de région [le projet de loi est obscure sur cette question]) sans contre-pouvoir politique institutionnel (le projet de loi n’envisage aucun contre pouvoir, ce qui est anti-démocratique mais pas nécessairement inconstitutionnel), sauf sollicitation du juge administratif (Code de justice administrative) et vigilance des juridictions financières (Code des juridiction financières) ou interventionnisme du préfet (art. 9 du projet de loi ; éventuel article L1451-1 du Code général des collectivités territoriales).

Aussi contestable que soit le dispositif envisageant l’intervention du préfet, il est sain, à défaut de dispositif démocratique instituant un véritable contre-pouvoir politique, qu’il subsiste au moins une autorité administrative susceptible de garantir la continuité de l’action territoriale en cas de dysfonctionnement ou de non-fonctionnement temporaire ou permanent de la future Collectivité de Guyane. Cependant, il eut été préférable (peut-être est-il encore temps ?) de privilégier un dispositif démocratique de type minorité de blocage ou minorité d’impulsion dont l’opposition (quelle quel soit) pourrait faire usage afin de prévenir tout dysfonctionnement ou tout non-fonctionnement. Bien entendu, un tel dispositif devrait être solidement cadré pour ne pas être la source ou pour ne pas contribuer au dysfonctionnement ou au non-fonctionnement de la Collectivité de Guyane.

 

En l’état du projet de loi, l’efficacité recherchée est d’ordre administratif. Il y a dissolution d’un échelon de gouvernance territoriale au profit d’une concentration de la prise de décisions locales. Il n’y a pas davantage d’autonomie (art.73 dernier alinéa), car il s’agit d’une fusion à droit constant. Le projet de loi en est la preuve. Malheureusement, cette évolution a droit constant peut être dommageable dans la mesure où les institutions envisagées pour « conduire » la Collectivité de Guyane n’instaurent pas de gouvernance (art. 2 du projet de loi ; éventuel art. L7121-1 du Code général des collectivités territoriales) mais une direction monocéphale qui aura entre les mains la gestion des affaires sociales, économiques, culturelles, environnementales, éducatives du Pays de Guyane (art. 2 du projet de loi ; éventuels art. L7111-1 et L.7151-1 du Code général des collectivités territoriales). Le projet est entre les mains du Parlement. La majorité parlementaire décidera du contenu final.

 

L’ultime renouvellement du conseil général (Décret n°2010-199 du 12 novembre 2010 « portant convocation des collèges électoraux pour procéder au renouvellement de la série sortante des conseillers généraux et pour pourvoir aux sièges vacants ») n’aura pas pour objet de désigner une partie de « l’équipe » qui conduira la Collectivité de Guyane, car les conseillers généraux comme les conseillers régionaux verront leur mandat expirer en mars 2014 (loi n°2010-145 du 16 février 2010 « organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux », consolidée par la décision n°2010-603 DC du Conseil constitutionnel en date du 11 février 2010), sauf confirmation législative de l'expiration des mandats au plus tard le 31 décembre 2012 (article 12 du projet de loi sur la collectivité unique). L’enjeu du dernier renouvellement du conseil général réside dans l’efficacité de l’ultime gouvernance territoriale entre le département et la région qui consistera en la réussite de la fusion et la préparation des premiers pas de la Collectivité de Guyane.

 

Il est donc important que le conseil général soit un contre-balancement du conseil régional afin qu’une réelle gouvernance soit l’accoucheuse d’un nouveau-né au destin très incertain.

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 23:53

 

Imposée par les principes fondamentaux1 qui régissent l’organisation territoriale indivisible et décentralisée de la République ; La gouvernance territoriale2 est cette synergie qui permet (autant que faire se peut) de poser et/ou de maintenir une cohérence des actions enchevêtrées des administrations décentralisées au sein de cette atypique indivisibilité territoriale. En effet, l’efficacité de cette notion fonctionnelle repose sur une réalisation de concert (et non en concours) de tâches d’intérêt commun. Cependant, il serait réducteur de percevoir la gouvernance territoriale uniquement comme un vecteur de bonne gestion des affaires locales internes et comme support de coopération entre les collectivités territoriales françaises ; car cette efficacité synergique semble avoir également une perspective transfrontalière.

 

La coopération transfrontalière, vecteur du réalisme géostratégique de la gouvernance territoriale

 

L’efficacité source de la coopération transfrontalière3 est bien retranscrite dans le fait que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon4 ». En effet, le souci de proximité de la prise de décision, exprimé dans ces dispositions constitutionnelles, exige tant une implication locale forte qu’une imprégnation de la décision par son environnement géostratégique direct ou indirect. La bonne gestion des affaires locales est avérée lorsque les initiatives sont en cohésion avec la réalité nationale, interrégionale et transfrontalière. Delà, la collectivité territoriale obligée à la coopération avec ses pairs (au moins ceux) situés sur la même parcelle de territoire républicain, se doit également de penser son action en fonction de son implantation géographique, car l’interaction qui subsiste toujours (pour le meilleur ou/et pour le pire) entre entités frontalières peut s’avérer être d’une certaine pesanteur économique, sociale ou culturelle. La coopération transfrontalière est une clairvoyance inhérente à l’efficacité et au rayonnement de l’administration décentralisée qui, par ailleurs, doit inévitablement se réaliser par la pratique d’une gouvernance territorialisée.

 

La coopération transfrontalière un mode d’expression de la gouvernance territoriale

 

Le corps de l’ordonnancement juridique de la coopération transfrontalière est posé notamment aux articles L.1115-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales. Ainsi, l’aptitude à collaborer avec des autorités locales étrangères doit être appréhendée comme une compétence de droit commun pour les Collectivités territoriales. D’ailleurs, les actions transfrontalières de ces dernières sont, comme tous leurs actes, soumises au contrôle de légalité5 (articles L.1115-1 al.1 et L1115-4 al.2 du CGCT).

 

La coopération transfrontalière est une émanation du construit de l’autonomie locale au sein de l’organisation indivisible et décentralisée du territoire de la République. Cette aptitude matérialise le niveau d’autonomie que les collectivités peuvent avoir dans l’expression de leur liberté d’administration et de décision de proximité, car leurs compétences transfrontalières sont similaires à leurs compétences locales (Articles L2121-29 [Commune], L.3211-1 [Département] et L.4221-1 [Région]) et les interdits sont également les mêmes. Ainsi, la coopération transfrontalière ne doit pas être l’occasion pour une Collectivité d’être sous la tutelle ou de mettre en tutelle une autre autorité locale (article L.1111-3 CGCT). En outre, elle ne peut davantage être l’opportunité d’un empiètement sur les pouvoirs régaliens6 de l’État, ni la chance d’une fédéralisation7 d’un territoire de la République.

 

C’est au regard de cet ordonnancement juridique qu’il est plausible de dire que les compétences transfrontalières des Collectivités territoriales nécessitent également la pratique d’une synergie qui permet de poser et/ou de maintenir une cohésion au sein d’une organisation territoriale indivisible et décentralisée. L’autonomie interne et externe des Collectivités territoriales semblent devoir s’épanouir via la pratique d’une gouvernance territoriale.

 

1. C’est-à-dire les principes : de libre administration (art. 72 al.3 et art. 72-2 al.1 de la Constitution), de subsidiarité (art. 72 al.2 de la Constitution), d’interdiction de la tutelle (art. 72 al.5 de la Constitution), d’existence de blocs de compétences (avec le paradoxe de la clause générale de compétence) soutenus par un pouvoir réglementaire local (art. 72 al.2 et 3 de la Constitution).

2. Article 10 al.1 de la Charte européenne de l’autonomie locale : « Les collectivités locales ont droit, dans l’exercice de leurs compétences, de coopérer et, dans le cadre de la loi, de s’associer avec d’autres collectivités locales pour la réalisation de tâches d’intérêt commun. »

3. Bloc de légalité de la coopération transfrontalière : loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République ; loi du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire ; Loi du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et de développement durable du territoire ; loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales ; loi du 2 février 2007 relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et de leurs groupements ; voir circulaire du 20 avril 2001 (NOR INT B 0100124C).

4.  Article 72 de la Constitution. Article 10 al. 2 et 3 de la Charte européenne de l’autonomie locale.

5.  Respect des engagements internationaux de la France.

6. Notamment les articles 5, 14, 20, 52 à 55 de la Constitution. Voir également les décisions du Conseil constitutionnel : n°96-373 DC, 9 avril 1996, Journal officiel du 13 avril 1996, p. 5724, cons. 11, 13 et 14, Rec. p. 43 ; n°94-358 DC, 26 janvier 1995, Journal officiel du 1er février 1995, p. 1706, cons. 52 et 53, Rec. p. 183.

7. Article 1er de la Constitution (indivisibilité de l’État). Voir également les décisions du Conseil constitutionnel : n°76-71 DC, 30 décembre 1976, Journal officiel du 31 décembre 1976, p. 7651, cons. 5, Rec. p. 15 ; n°84-177 DC, 30 août 1984, Journal officiel du 4 septembre 1984, p. 2803, cons. 7, Rec. p. 66 ; n°84-178 DC, 30 août 1984, Journal officiel du 4 septembre 1984, p. 2804, cons. 8, Rec. p. 69 ; n°2004-490 DC, 12 février 2004, Journal officiel du 2 mars 2004, p. 4220, cons. 27, Rec. p. 41.

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 23:46

 

La société est une réalité plurale, causale, transversale et hétérogène. Elle est appréhendée et même rendue justiciable par l’homo juridicus-politicus (l’État ou autres organes politiques de gouvernance) afin de fondre ce pluralisme au sein de l’unité du droit et de l’unicité de l’ordre juridique. Ces dernières données sont les efficacités recherchées au sein de l’organisation d’un système juridictionnel. Cet effort d’institutionnalisation repose sur la justiciabilité, cause et effet autant de l’efficacité que de l’effectivité du droit. La fonctionnalité cognitive de l’homo juridicus-politicus (l’État ou autres organes politiques de gouvernance), impose une perception dichotomique à ses desseins de domination, c'est-à-dire qu’il doit soumettre les autres (sujétion ordinaire) mais afin que sa domination soit acceptable, il doit également se poser des limites (sujétion réflexive). Toutefois, la crédibilité et l’acceptabilité de son autolimitation ou autorégulation sont tributaires de l’intervention d’un tiers réflexif : l’homo judicatus (l’homme ayant office de juge).

La rationalité de ce dernier est soumise à une vulgate1 irrésistible qui s’est métamorphosée au fil du temps. Alors l’homo judicatus doit voir « double ou triple » mais la réalité reste ce qu’elle est, c'est-à-dire plurale, causale, transversale et hétérogène. Par conséquent, de fait, la pluralité de juges qui suppute une fragmentation de la justiciabilité pose une fiction qui veut dénier ou feint de ne pas reconnaître l’irrésistible transversalité du « désordre naturel » gobé par l’ordre juridique pour la soumettre à une logique répartitrice qui dès lors peut paraître factice. Il y aura donc nécessairement conflit ou pire trouble fonctionnel lors de l’opération de distribution des situations justiciables.

 

La justiciabilité2 est une aptitude qui caractérise à la fois l’accessibilité et la soumission à l’institution juridictionnelle. Cette habilitation à agir (perspective active) ou à être attrait (perspective passive) devant un juge est un matériel indispensable à l’efficacité et à la crédibilité du système. Elle matérialise le caractère causatif du système juridictionnel. C’est ainsi que la justiciabilité des individus, des biens et des événements sont des données fondamentales car elles sont le produit mais également l’objet de l’ordre juridique. Elle est la cause du contrôle juridictionnel et ce sur quoi porte le travail du juge.

 

Le « principe de vision et de division3 » qui entame la fragmentation de la justiciabilité est posé dès 1641, c’est à cette époque que commence à se cristalliser le « schème classificatoire4 » notamment via un modèle despotique de division, c'est-à-dire la dualité justice retenue/justice déléguée. Le schème est consolidé en 1790 jusqu’en 1872 où il prend une autre configuration mais reste construit sur le même fondement : Un principe de séparation dominé par plusieurs interdits mais sans ligne précise et claire de démarcation. Cette incertitude est un élément de l’efficacité voulu pour le principe dès l’origine, c'est-à-dire ménager un arbitraire susceptible de permettre assez largement au roi d’évoquer auprès de lui de manière permanente les affaires qui l’intéressent. Il ne faut pas oublier que le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire de l’origine est conçu pour être une « machine de guerre » de l’absolutisme royal contre les parlements et leur activisme politico-judiciaire. La plasticité de la ligne de démarcation réalise donc l’aménagement d’une marge de manœuvre que ne permettrait pas une énumération exhaustive ; s’il en existait une elle n’avait qu’une valeur indicative5. Aussi, historiquement, le conflit d’attribution ou trouble fonctionnel est l’opportunité « d’évoquer » certaines affaires auprès de l’administrateur. Dès lors, la facticité gouvernant la logique répartitrice qui soumet la justiciabilité à une fragmentation constituait un moyen de distraction du justiciable de son juge naturel. Si l’administrateur est le « justiciable naturel » des réclamations relatives à la matière administrative cela ne fait pas pour autant de lui un juge légitime de cette question. Il n’est pas juge, il est une partie avec pouvoir d’administrer et de clore la contestation. Dans cette configuration, la fragmentation de la justiciabilité est un effet de la mise en œuvre de la sujétion réflexive d’attribution, c'est-à-dire la chance pour le destinateur-sujet de soumettre son action à une discipline établie par ses propres soins6 afin, éventuellement, de modérer ou d’exercer avec équité7 sa supériorité statutaire. La rationalisation8 du conflit d’attribution s’amorce avec l’ordonnance du 1er juin 1828. Elle est poursuivie avec l’ordonnance du 12 mars 1831. L’avancée est consolidée par la Constitution du 4 novembre 1848 (institue notamment le Tribunal des conflits) puis complétée avec le décret du 26 octobre 1849 et la loi du 4 février 1850. La consécration juridique définitive de la fragmentation de la justiciabilité est effectuée par loi du 24 mai 1872. L’arbitraire qui était inhérent à la question de l’attribution est dissous au sein d’un contentieux de l’attribution dévolue à une juridiction paritaire : le Tribunal des conflits. La fragmentation devient dès lors un élément objectif du principe de séparation des autorités judiciaires9. Cependant, certaines tares (anciennes efficacités despotiques) subsistent en la plasticité de la ligne de démarcation qui est susceptible de troubler l’intelligibilité et l’accessibilité du mécanisme d’apurement des incidents juridiques. Le risque de distraction subsiste notamment par la répugnance invincible que peut susciter cette fragmentation de la justiciabilité de masse.

 

L’autre tranche de justiciabilité fragmentée est celle du dernier né, le juge constitutionnel. L’attribution du contentieux normatif n’entre pas dans la logique de conflit car les deux autres juges ont toujours décliné leur compétence confinant cette réclamation en zone chronique de déni de justice. Mais, peut-il y avoir déni de justice sans qu’existe une justiciabilité ? Jusqu’à une certaine époque, la question de la conformité de la loi à la Constitution est déjudiciariseé.

 

Cela étant, lors de sa naissance, le Conseil constitutionnel peut être saisi unique par quatre autorités politiques : Le président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée Nationale et le président du Sénat. L’excessive restriction de la justiciabilité et la qualité de cette dernière ne laisse pas présager une grande activité du juge du contentieux normatif. D’ailleurs à l’origine, c'est-à-dire entre 1958 et 1971, il avait été conçu comme un arbitre ayant principalement pour fonction de contrôler le respect du domaine de la loi par le législateur. Cependant, par souci d’efficacité de l’institution, une loi organique n°74-904 du 29 octobre 1974 « portant révision de l'article 61 de la Constitution », organise l’extension du droit de saisine du Conseil constitutionnel à soixante députés ou sénateurs, c'est-à-dire une minorité d’opposition. Cette modification additionnée à l’apport juridique de l’arrêt « Liberté d’association » de 1971 contribue à la pérennisation de l’efficacité et l’effectivité du contrôle a priori de la constitutionnalité de la loi. Cette justiciabilité est une justiciabilité « émanation » car les autorités politiques qui peuvent saisir le juge sont ou directement ou indirectement une émanation du suffrage universel populaire. Compte tenu de l’objet du contrôle, cette configuration est acceptable car il serait surprenant que tous ceux qui participent à l’activité législative ne puissent pas être justiciables du juge du produit de cette activité. La justiciabilité directe du peuple élargirait d’autant le risque de subversion et corrélativement hypothéquerait la pertinence de la justiciabilité de la loi. Toutefois, la « justiciabilité-émanation » comporte une imperfection inhérente à sa nature. En effet, malheureusement en l’absence de tout lien psychique entre représenté et représentant, surtout (et plus sérieusement) en l’absence de mandat impératif, il subsiste une dysphonie entre le réalisme des représentés et celui des représentants. Cette dernière ne peut être corrigée par la fiction liée au mécanisme de représentation qui est lui-même limité par l’interdit constitutionnel posé par l’article 25 al.1er de la Constitution. Aussi, cette configuration prive les représentés d’un recours effectif contre la loi. Du coup, cette justiciabilité restait à parfaire10. C’est dorénavant chose faite avec la loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008 et la décision du Conseil constitutionnelle n°2009-595 en date du 3 décembre 2009 qui par ailleurs pose le caractère constitutionnel du dualisme des ordres juridictionnels11.

 

1.  Le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire.

2. Christian ATIAS, « Justiciabilité » p.798-801 ; Dictionnaire de la justice (Sous la direction de Loïc CADIET), PUF.

3. Marie-Laure MATHIEU-IZORCHE, « Le raisonnement juridique » p.23 ; PUF – Thémis (droit privé).

4. Marie-Laure MATHIEU-IZORCHE, « Le raisonnement juridique » p.23 ; PUF – Thémis (droit privé).

5. Bernard EVEN, « Des conseils de préfecture aux tribunaux administratif » p.475 ; RFDA 2004.

6. François BURDEAU, « Histoire du droit administratif » p.30 ; PUF – Thémis, droit public (1995). François BURDEAU, « Histoire de l’administration française du 18e au 20e siècle » p.42 ; Montchrestien (2ème édition).

7. François BURDEAU, « Histoire du droit administratif » p.31 ; PUF – Thémis, droit public (1995).

8. Code de justice administrative, « annexe 2 » p.725-747 ; Litec (2009).

9. Décision du Conseil constitutionnel en date du 23 janvier 1987 (n°86-224 DC).

10. La loi constitutionnelle no 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République a modifié de nombreux articles de la Constitution française et a notamment institué un la question prioritaire de constitutionnalité (art. 61-1 C) qui rend accessible le contentieux de la loi à une justiciabilité plus large.

11. Conseil constitutionnel décision n°2009-595 en date du 3 décembre 2009, considérant n°3 : « […] le constituant a ainsi reconnu à tout justiciable le droit de soutenir, à l'appui de sa demande, qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ; qu'il a confié au Conseil d'État et à la Cour de cassation, juridictions placées au sommet de chacun des deux ordres de juridiction reconnus par la Constitution, la compétence pour juger si le Conseil constitutionnel doit être saisi de cette question de constitutionnalité […] »

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