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Profil

  • Laurent T. MONTET
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane
Docteur en droit privé.
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane Docteur en droit privé.

Thèse : "Le dualisme des ordres juridictionnels"

Thèse soutenue le 27 novembre 2014 en salle du conseil  de la faculté de droit de l'Université de Toulon

Composition du jury:

Le président

Yves STRICKLER (Professeur d'université à Nice),

Les rapporteurs: 

Mme Dominique D'Ambra (Professeur d'université à Strasbourg) et M. Frédéric Rouvière (Professeur d'université à Aix-en-Provence),

Membre du jury:

Mme Maryse Baudrez (Professeur d'université à Toulon),

Directrice de thèse :

Mme Mélina Douchy (Professeur d 'Université à Toulon).

laurent.montet@yahoo.fr


21 juin 2023 3 21 /06 /juin /2023 21:42

Par deux résolutions n°A/RES/64/292 et n°A/64/L.63/Rev.1*, en date du 26 juillet 2010 et du 3 août 2010, l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) pose le constat de l’importance de l’existence d’un accès équitable à l’eau potable et à l’assainissement dans la mesure où cet impératif est « partie intégrante de la réalisation de tous les droits de l’homme ». À ce titre, l’AGNU reconnait que « le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme […] ». Ainsi, à cette occasion, l’AGNU rappelle « […] qu’il incombe aux États de promouvoir et de protéger tous les droits de l’homme, qui sont universels, indivisibles, interdépendants et intimement liés et doivent être traités globalement, de manière juste et équitable, sur un pied d’égalité et avec la même priorité […] ».

Cette posture n’est pas une surprise car de nombreuses résolutions avaient précédées, et donc préparées, une telle annonce. En effet, déjà par une résolution n°55/196 (20 décembre 2000) puis une résolution n°58/217 (23 décembre 2003), ensuite une autre n°59/228 (22 décembre 2004) … diverses problématiques en lien directe ou non avec l’eau étaient abordées. En outre, plusieurs textes internationaux (Convention de 1979 contre toutes discriminations à l’égard des femmes ; Convention de 1989 sur les droits de l’enfant ; Convention de 1992 sur la protection des cours d’eau…).

 

L’eau est un élément essentiel à la vie. Pour ne pas être nuisible à la santé de l’être humain, il faut que l’eau soit rendue potable. Ainsi, malgré le fait, pour l’heure, de n’avoir jamais été posé de manière explicite, l’existence d’un droit à l’eau et à l’assainissement, est bel et bien présent en droit français tant dans via la législation en vigueur que par l’interprétation qui en est faite par le juge constitutionnel.

 

Dès lors, est-il pertinent de proposer une Loi constitutionnelle visant à inscrire que « Le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit humain, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits humains. » ?

 

  1. L’aqua-sensibilité de la législation française

 

Bien qu’elle ne prescrive pas un « […] droit à l’eau potable et à l’assainissement […] » de manière aussi exclamative que la résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) ; la question de « l’eau » est bien présente dans la législation française. À ce titre, notre législation est bien « aqua-sensible » notamment depuis la loi n°92-3 du 3 janvier 1992 sur l'eau (insérée au Code de l’environnement aux articles L210-1 à L218-86), suivie par la loi n°2014-58 du 27 janvier 2014 dite « loi MAPTAM » qui pose un bloc communal de compétence exclusive et obligatoire relative à la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations (GEMAPI ; posée au Code de l’environnement aux articles L211-1 à L211-14), consolidée par l’ordonnance n°2022-1611 du 22 décembre 2022 relative à l'accès et à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (insérée au Code de la santé publique aux articles L231-1.A à L1321-10).

 

Quoiqu’en disent [[selon eux : « Le droit à l’eau et à l’assainissement absent de la législation française »]] les députés auteurs (Gabriel AMARD, Chantal JOURDAN, Mansour KAMARDINE, Marcellin NADEAU, Hubert OTT, Marie POCHON, Olivier SERVA, Anne-Cécile VIOLLAND) de la proposition de Loi constitutionnelle relative à la « reconnaissant le droit à l’eau et à l’assainissement comme un droit humain fondamental en vertu de la résolution 64/292 adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 28 juillet 2010 », dans l’exposé des motifs de ladite proposition ; un droit à l’eau potable et à l’assainissement est bien posé en droit interne français, l’article L210-1 du Code de l’environnement ainsi que les articles L1321-1.A et L1321-1.B du Code de la santé publique en sont les fiers étendards.

 

L’article L210-1 du Code de l’environnement prescrit que : « L'eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général.

Dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l'usage de l'eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous.

Les coûts liés à l'utilisation de l'eau, y compris les coûts pour l'environnement et les ressources elles-mêmes, sont supportés par les utilisateurs en tenant compte des conséquences sociales, environnementales et économiques ainsi que des conditions géographiques et climatiques. »

 

L’alinéa 1er de l’article précité pose une règle qui somme comme un principe fondamental qui doit être appréhendé en préliminaire indispensable à quelque existence d’un droit à l’eau et à l’assainissement dans la mesure où l’impératif premier est bel et bien la préservation et le développement des ressources en eau utilisable en cohérence avec l’écosystème dont l’être humain dépend. Pas d’eau, pas de droit à l’eau et à l’assainissement, autrement-dit, en l’absence d’eau utilisable en cohérence avec l’écosystème, il n’y a pas de droit à l’eau viable. L’une des principales problématiques de l’eau c’est quelle se fait de plus en plus rare et la population humaine mondiale ne décroît pas. En France, au 1er avril 2023, « 75% des niveaux des nappes restent sous les normales mensuelles (58% en mars 2022) avec de nombreux secteurs affichant des niveaux bas à très bas. » (Source : https://www.brgm.fr/fr).

À ce titre, une telle formulation mériterait d’être promue au sein de la charte de l’environnement après l’article 1er (« […] Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé […] ») dans la mesure où l’esprit de l’alinéa 1er de l’article L210-1 du Code de l’environnement colle parfaitement avec le ton de ladite charte. Il en est de même pour l’alinéa 2 qui confirme la cohérence mise en relief précédemment, c’est-à-dire « Pas d’eau, pas de droit à l’eau et à l’assainissement ». En effet, l’alinéa 1er pose l’impératif de la protection, de la mise en valeur et du développement de la ressource en eau ; alors que l’alinéa 2ème met en relief le droit pour toute personne physique d’avoir accès à l’eau potable (« l'usage de l'eau appartient à tous et chaque personne physique ») et à l’assainissement (« pour son alimentation et son hygiène ») quel que soit ces moyens de subsistance (« a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous »). Dès lors, l’eau potable et l’assainissement doit nécessairement faire partie des éléments qui caractérisent la décence d’un logement mais doit, du coup, être accessible aux personnes qui pour quelques raisons ne bénéficiant pas d’un logement décent doivent en tout état de cause avoir accès à l’eau et à l’assainissement. En pratique, ce dernier point est loin d’être effectif sur tout le territoire français de manière homogène et continue. Consacré, en droit interne, cette prérogative (art. L210-1 du Code de l’environnement) en droit constitutionnel n’est pas une promotion dont l’impact juridique est anodin pour les autorités qui doivent en garantir l’effectivité.

 

L’aqua-sensibilité de la législation française approfondie ses assises lorsque sont croisées les dispositions de l’article L210-1 du Code de l’environnement avec les articles L1321-1.A et L1321-1.B du Code de la santé publique.

 

L’article L1321-1.A du Code de la santé publique prescrit que : « Toute personne bénéficie d'un accès au moins quotidien à son domicile, dans son lieu de vie ou, à défaut, à proximité de ces derniers, à une quantité d'eau destinée à la consommation humaine suffisante pour répondre à ses besoins en boisson, en préparation et cuisson des aliments, en hygiène corporelle, en hygiène générale ainsi que pour assurer la propreté de son domicile ou de son lieu de vie. »

 

Les autorités compétentes en la matière doivent quotidiennement l’accès à l’eau potable à toute personne à son domicile (résidence principale ou secondaire) où à proximité de son lieu de vie (lieu de squat, bidonville…). Une eau mise en accessibilité tant pour la consommation (pour être bue ou bien pour servir à la préparation d’aliments) que pour l’hygiène (personnel ou du domicile/lieu de vie). Cette « dette d’eau et d’assainissement » pèse sur les communes ou leurs établissements publics de coopération (art. L1321-1.B alinéa 1er du Code de la santé publique [Csp] : « Les communes ou leurs établissements publics de coopération, en tenant compte des particularités de la situation locale, prennent les mesures nécessaires pour améliorer ou préserver l'accès de toute personne à l'eau destinée à la consommation humaine. »). Ces derniers doivent adapter les solutions d’accessibilité à la réalité sociale locale ainsi qu’a l’état des réseaux de distribution qui doivent toujours permettre de garantir l’accès à tous (art. L1321-1.B al. 2 du Csp : « Ces mesures permettent de garantir l'accès de chacun à l'eau destinée à la consommation humaine, même en cas d'absence de raccordement au réseau public de distribution d'eau destinée à la consommation humaine, y compris des personnes en situation de vulnérabilité liée à des facteurs sociaux, économiques ou environnementaux. »), c’est-à-dire sans discriminations liées notamment à l’état de vulnérabilité sociale ou économique. Dès lors, pourrait être opposé aux autorités compétentes une entrave au droit à l’accès à l’eau dès lors qu’elles ne prennent pas les mesures nécessaires pour en améliorer ou en préserver l’accès. Ce qui implique une vigilance accrue notamment en matière de permis de construire sur les questions de raccordement mais également sur la stratégie de mise en place de point d’eau au profit d’habitats informels, illicites ou insalubres ou encore s’agissant des SDF.

 

En tout état de cause, force est de constater que notre législation, n’a pas à rougir de son droit positif en matière de droit à l’eau potable et à l’assainissement.

 

  1. L’aqua-sensibilité de la constitution

 

Si notre Législation pose, bel et bien, sans ambiguïté tant un impératif de préservation de l’eau (art. L210-1 al. 1 du Code de l’environnement) qu’un droit à l’eau et à l’assainissement (art. L210-1 al. 2 du Code de l’environnement, art. L1321-1.A et L1321-1.B du Code de la santé publique), au sien de notre Constitution (DDHC 1789, Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, Charte de l’environnement de 2004), il n’est pas aisé de faire se révéler une aqua-sensibilité. À l’instar de la question qui se posait quant à l’utilité de la constitutionalisation d’un droit à l’avortement (Laurent Thibault MONTET, « La constitutionnalisation du droit à l’interruption volontaire de grossesse. », Village de la justice), est-ce nécessaire de constitutionnaliser le droit à l’eau potable et à l’assainissement ?

 

De manière très large, la Constitution, via la charte de l’environnement, consacre tant une éco-responsabilité qu’une éco-sensibilité. À ce titre, il serait possible d’y extirper un droit à l’eau et à l’assainissement notamment par une lecture très extensible de l’article 1er de la charte de l’environnement (« Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. »). Ainsi, il pourrait être superflu d’ajouter un article dédier à la question du droit à l’eau potable et à l’assainissement. Cependant, si l’on se trouvait dans une hypothèse qui laisserait paraître qu’il y aurait une opportunité de poser la constitutionnalité d’un tel droit, il ne serait pas inopportun de la saisir.

 

Pour rappel, une proposition de loi constitutionnelle est le processus de modification de la constitution (art. 89 de la Constitution) qui est amorcé non par le gouvernement (sinon on parlerait de projet de loi constitutionnelle) mais par des parlementaires (soit députés soit sénateurs). Qu’il s’agisse d’un projet ou d’une proposition de révision, le texte doit être voté en termes identiques par les deux chambres (c’est-à-dire Sénat et Assemblée Nationale). Le texte devient définitif s’il est approuvé par référendum. S’agissant des projets de révision, ils peuvent éviter l’approbation référendaire si le Président de la République soumet le texte au congrès, c’est-à-dire Sénat et Assemblée Nationale réunis, qui doit l’adouber à la majorité des 3/5ème. Dans l’histoire de la Vème République, il y a eu au moins 150 dépôts de proposition de révision. Aucune n’a été adoptée.

 

Dès lors, même si elle se présente comme une transposition d’une résolution de l’Assemblée Générale des nations unies (AGNU), il est peu probable que cette proposition n’aboutisse à une révision effective.

 

En tout état de cause, si jamais la chance sourie à cette audace, il n’est pas dit que la formulation proposée (« Le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit humain, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits humains. ») soit opportune, bien qu’elle ne soit qu’une reprise (en quelque sorte) de la proposition de la résolution n) 64/292 (« le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’homme […] ».).

 

Correspondrait davantage au ton de la charte de l’environnement la plume des alinéas 1 et 2 de l’article L210-1 du Code de l’environnement : « L'eau fait partie du patrimoine commun de la nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général. Dans le cadre des lois et règlements ainsi que des droits antérieurement établis, l'usage de l'eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d'accéder à l'eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».

 

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