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Profil

  • Laurent T. MONTET
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane
Docteur en droit privé.
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane Docteur en droit privé.

Thèse : "Le dualisme des ordres juridictionnels"

Thèse soutenue le 27 novembre 2014 en salle du conseil  de la faculté de droit de l'Université de Toulon

Composition du jury:

Le président

Yves STRICKLER (Professeur d'université à Nice),

Les rapporteurs: 

Mme Dominique D'Ambra (Professeur d'université à Strasbourg) et M. Frédéric Rouvière (Professeur d'université à Aix-en-Provence),

Membre du jury:

Mme Maryse Baudrez (Professeur d'université à Toulon),

Directrice de thèse :

Mme Mélina Douchy (Professeur d 'Université à Toulon).

laurent.montet@yahoo.fr


8 septembre 2019 7 08 /09 /septembre /2019 16:05

La préservation de la personne physique contre l'altération de sa compréhension du sens et de la portée de l’engagement de caution envers un créancier professionnel est l'objectif substantiel  des formules consacrées par les articles L331-1 et L331-2 du Code de la Consommation.  C'est ce que nous révèle enfin la jurisprudence de la Cour de cassation après un long périple jurisprudentiel.

L’article L331-1 (ancien L341-2) du Code de la consommation pose une exigence ad validitatem (Cass. 1ère civ. En date du 25 juin 2009, pourvoi n°07-21.506 ; article L343-1 du Code de la Consommation : « Les formalités définies à l'article L. 331-1 sont prévues à peine de nullité. ») de l’apposition d’une mention manuscrite au sein du cautionnement simple formé par acte sous seing privé entre une personne physique qui se porte caution envers un créancier professionnel. Il en est de même pour le cautionnement solidaire (articles L331-2 [ancien L341-2] et L343-2 du Code de la consommation).

 

Dans le cadre de la mise en œuvre des exigences prescrites par les articles précités, il y a eu un long, et quelque peu tortueux, glissement jurisprudentiel quant au niveau de sévérité appliqué à la vérification de l’exact conformité de la mention manuscrite inscrite par la caution (simple ou solidaire) et celles imposées par la loi (c’est-à-dire :«En me portant caution de X...................., dans la limite de la somme de.................... couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de...................., je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X.................... n'y satisfait pas lui-même.» ; mais également : «En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2298 du code civil et en m'obligeant solidairement avec X je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement X.»). Notamment, par une décision en date du 16 mai 2012, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation (pourvoi n°11-17.411) annulait le cautionnement dans lequel la mention manuscrite par la caution, personne physique, ne reprenait qu’approximativement la formule consacrée par l’article L331-1 du Code de la consommation. Alors que dans cette espèce, il n’était pas discuté le fait que la caution avait, par l’intermédiaire de la mention qu’elle avait manuscrite, une parfaite connaissance de l'étendue et de la durée de son engagement. En effet, la mention rédigée par la main de la caution avait la teneur suivante : « En me portant caution de Z… dans la limite des intérêts de retard et pour la durée de 108 mois et pour la somme de 74 400 € soixante-quatorze mille quatre cents euros. Couvrant le paiement Je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens. Si Z… n'y satisfait pas lui-même. En renonçant au bénéfice de discussion défini à l'article 2021 (nouv. Art. 2298, depuis ordonnance n°2006-346) du code civil et en m'obligeant solidairement avec Z…. Je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement ». Il est manifeste que la mention manuscrite par la caution, en tout cas au niveau de la reproduction de la formule de l’article L331-1 du code, n’était pas strictement identique ; de nombreuses libertés avaient été prises quant à l’agencement de certains termes, mais l’idée générale s’y retrouvait tout de même. En outre, des éléments avaient été ajoutés notamment afin de stipuler le caractère solidaire du cautionnement et de mettre en relief le niveau de gravité qu’implique la solidarité, c’est-à-dire la disparition du bénéfice de division et de discussion (art. L331-2 du Code de la consommation). Dès lors, bien que la mention inscrite par la caution ne fût pas un recopiage basique des formules consacrées, elle permettait de traduire l’ampleur de la gravité de la garantie souscrite en cristallisant la spécificité du cautionnement consenti par la personne physique au profit du créancier professionnel. Ainsi, plus qu’une transgression de la formule consacrée, l’adaptation qui en avait été faite constituait un enrichissement qui semblait être en cohérence avec la volonté du législateur de protéger la personne physique en lui imposant d’écrite de sa main une formule ayant pour finalité de la conscientiser. Un tel mixage par juxtaposition des deux formules, mais par un point-virgule, avaient été validée par la chambre commerciale de la Cour de cassation  en date du 5 avril 2011 (pourvoi n° 10-16.426 : « Attendu que pour déclarer nuls les actes de cautionnements souscrits par les consorts X..., l'arrêt constate qu'ils portent tous une mention manuscrite unique établie selon le modèle, suivie d'une signature, et retient que le fait de joindre les deux mentions manuscrites prévues par la loi aboutit à une phrase et qu'une telle juxtaposition des mentions prescrites par la loi, qui doivent être apposées successivement par la caution et non pas mélangées en une phrase incertaine lui rendant plus difficile de mesurer la portée de chacun de ses deux engagements, n'est pas conforme aux prescriptions d'ordre public des articles susvisés ; Attendu qu'en statuant ainsi, alors que l'apposition d'une virgule entre la formule caractérisant l'engagement de caution et celle relative à la solidarité n'affecte pas la portée des mentions manuscrites conformes aux dispositions légales, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; »). Le but des formules consacrées étant incontestablement de matérialiser la parfaite information dont avait pu bénéficier la caution quant à la nature et la portée de la garantie souscrite au profit d’un créancier professionnel (Cass. Com. 5 février 2013, pourvoi n° 12-11.720 : « Mais attendu que la violation du formalisme des articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, qui a pour finalité la protection des intérêts de la caution, est sanctionnée par une nullité relative, à laquelle elle peut renoncer par une exécution volontaire de son engagement irrégulier, en connaissance du vice l'affectant ; qu'ayant constaté que l'engagement litigieux ne comportait pas les mentions légales prescrites, l'arrêt retient que la caution, après avoir souscrit un prêt à cette fin, a réglé les sommes dues, sans mise en demeure préalable et en dépit des conseils contraires de son avocat et de son comptable et, qu'ainsi conseillée, elle a agi en toute connaissance de cause ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que la caution avait entendu réparer le vice affectant son engagement , de sorte que cette confirmation au sens de l'article 1338 du code civil, l'empêchait d'en invoquer la nullité ; que le moyen n'est pas fondé ;»). La mention manuscrite qui avait été créée était le fruit d’une fusion-adjonction entre les exigences de l’article L331-1 (ancien art. L341-2) et celles de l’article L331-2 (ancien art. L341-3) du Code de la consommation.  Malheureusement, à l’époque, dans l’espèce traitée notamment par la 1ère chambre civile Cour de cassation (1ère civ. 16 mai 2012, pourvoi n°11-17.411). Elle appréhendait l’exigence de la mention manuscrite davantage comme un impératif ad validitatem protecteur de la stricte similitude des formules et non de l’efficacité du contenu de ces dernières qui s’intéresse à la vérification que celui qui se porte caution à bien conscience de ce que cela implique (Cass. Com. 5 février 2013 [pourvoi n° 12-11.720] ; mais également Cass. 1ère civ. 16 octobre 2013 [pourvoi n° 12-17858] : «Attendu que M. X... reproche à l'arrêt de dire que si la banque ne peut se prévaloir du caractère solidaire des cautionnements souscrits en raison de l'irrégularité affectant la mention manuscrite relative à la solidarité, ceux-ci demeurent toutefois valables comme cautionnements simples, alors, selon le moyen, que l'inobservation de la mention manuscrite relative à la solidarité est sanctionnée par la nullité du cautionnement, conformément aux dispositions de l'article L. 341-3 du code de la consommation dont la cour d'appel a ainsi violé les termes ; Mais attendu qu'après avoir constaté que l'engagement de caution avait été souscrit dans le respect des dispositions de l'article L. 341-2 du code de la consommation, c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la sanction de l'inobservation de la mention manuscrite imposée par l'article L. 341-3 du même code ne pouvait conduire qu'à l'impossibilité pour la banque de se prévaloir de la solidarité, l'engagement souscrit par M. X... demeurant valable en tant que cautionnement simple ;»). En effet, sauf à faire la démonstration de l’existence d’une erreur matérielle, généralement, la Cour de cassation annulait la garantie dès lors que la formule manuscrite n’était pas strictement et exactement identique à celle consacrée (Cass. Com. 5 avril 2011, pourvoi n°09-14.358 : « Mais attendu que la nullité d'un engagement de caution souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel est encourue du seul fait que la mention manuscrite portée sur l'engagement de caution n'est pas identique aux mentions prescrites par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, à l'exception de l'hypothèse dans laquelle ce défaut d'identité résulterait d'erreur matérielle. »). Le défaut d’identité entre les formules consacrées par la loi (articles L331-1 [Caution simple] et L331-2 [caution solidaire] du Code de la consommation) n’entraine donc pas nécessairement l’annulation du cautionnement consenti par une personne physique au profit d’un créancier professionnel. L’erreur dite « matérielle » sauve l’opération de garantie. Par conséquent, il est nécessaire de cerner le contenu de cette notion « d’erreur matérielle » ; se poser la question de savoir ce qu’est exactement une erreur qui ne serait que matérielle et qui sauverait le cautionnement de la nullité ?

 

Indiscutablement, s’agissant d’une erreur, il faut admettre qu’il est donc identifié un événement qui est caractérisé par son inexactitude par rapport à une référence posée comme exacte, en l’occurrence les formules consacrées. A priori, elle ne relève pas d’un acte intentionnel ; sa cause est de l’ordre de l’inconscient, de la maladresse ou de la négligence. A fortiori, une erreur intentionnelle n’en est pas une. A minima, une telle « erreur » tient davantage du dol. Par conséquent, l’erreur matérielle doit nécessairement être non intentionnelle et portée sur le véhicule (la forme en quelque sorte) du message et non sur sa substance, c’est ce qu’implique l’adjectif « matérielle ». Ce terme renvoie à au moins deux types de dichotomies que l’on considère comme synonyme : matérielle/intellectuelle et instrumentum/negotium.  Dès lors, il est possible de dire qu’une erreur matérielle consiste en l’inexactitude qui affecte, par inadvertance, un écrit sans altérer sa signification (Cass. 1ère civ. 11 septembre 2013 ; pourvoi n° 12-19.094). L’erreur peut notamment se matérialiser par l’omission ou une substitution (Cass. 1ère civ. 11 septembre 2013 ; pourvoi n° 12-19.094 :  « Attendu que pour accueillir cette demande, l'arrêt retient, d'une part, que dans l'acte de cautionnement du 1er août 2006, le texte reproduisant la formule prévue à l'article L. 341-2 est séparé de celui reproduisant la formule prévue à l'article L. 341-3 par une virgule et non par un point, en sorte que le premier mot de l'expression « en renonçant au bénéfice de discussion » commence par une minuscule et non par une majuscule ainsi qu'il est expressément mentionné à l'article L. 341-3, d'autre part, que dans l'acte de cautionnement du 24 avril 2008, les formules des articles L. 341-2 et suivant ne sont séparées par aucun signe de ponctuation et qu'une telle anomalie ne saurait être tenue pour une erreur purement matérielle puisque le texte unique ainsi composé au mépris des dispositions précitées est incompréhensible et de nature à vicier le consentement de la caution ; Qu'en statuant ainsi, alors que ni l'omission d'un point ni la substitution d'une virgule à un point entre la formule caractérisant l'engagement de caution et celle relative à la solidarité, ni l'apposition d'une minuscule au lieu d'une majuscule au début de la seconde de ces formules, n'affectent la portée des mentions manuscrites conformes pour le surplus aux dispositions légales, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; »). Lorsque l’écrit manuscrit par la caution n’est manifestement pas identique aux formules consacrées notamment du fait d’omissions de ponctuations ou de substitutions de minuscules par des majuscules ; il ne met plus nécessairement en péril le negotium. Il est ainsi pris une autre posture (Cass. 1ère civ. 16 mai 2012 [pourvoi n°11-17.411] ; Cass. Com. 5 avril 2011 [pourvoi n°09-14.358]) que celle qui permettait à la caution, qui par maladresse ou par filouterie recopiait plus ou moins fidèlement les formules consacrées, de se libérer de son engagement vis-à-vis du créancier sans que soit analysée la question de savoir si cette dernière avait, malgré ses errements de plume (intentionnel ou non), tout de même saisie la portée et le sens de l’engagement de cautionnement.

Une telle sévérité affectait la fiabilité des cautionnements formés par acte sous seing privé entre une personne physique et un créancier professionnel. Elle permettait à la caution d'échapper à son engagement, du fait de ses propres errements dans le copiage de la formule consacrée et faisait peser, à juste titre d’ailleurs, sur le créancier une obligation d’information de résultat devant se matérialiser par la vérification de la stricte exactitude de la mention manuscrite par la caution. En effet, cette jurisprudence dénaturait le but visé par l’article L331-1 du Code de la consommation, mais également celui visé par l’article L331-2 du même Code. La position de sévérité quant à la stricte identité occultait le fait que le contenu des formules consacrées vise à mettre en relief le fait que celui qui souscrit à l’engagement de caution ait pris conscience de la gravité d’une telle opération (Cass. 1ère civ. 27 novembre 2013 ; pourvoi n° 12-21.393 : « Attendu que pour prononcer la nullité du cautionnement et ainsi débouter la banque de sa demande, l'arrêt retient que la mention manuscrite rédigée par Mme X... n'est pas conforme à celle prévue aux articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation, en ce que l'ajout des adjectifs « personnelle et solidaire » est de nature à altérer la portée de l'engagement résultant du premier de ces textes, tandis que l'erreur de référence textuelle relevée dans la mention manuscrite du second d'entre eux a privé Mme X... de la possibilité de s'informer sur la portée de l'engagement solidaire comprenant la renonciation au bénéfice de discussion ; Qu'en statuant ainsi, alors que ni l'évocation du caractère « personnel et solidaire » du cautionnement dans la formule caractérisant l'engagement de caution, ni la substitution du numéro « 2021 » au numéro « 2298 » dans celle relative à la solidarité, n'affectent la portée des mentions manuscrites, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; »).  Il est indiscutable que les formules consacrées visent à matérialiser l’existence d’une adhésion réelle, sérieuse et pleinement consciente. Cet objectif est renforcé par l’exigence que la mention soit manuscrite et non simplement dactylographier puis soumise à la signature de la caution. Autrement-dit, il s’agit de figer par la mention manuscrite le fait que la caution personne physique ait consenti, en toute connaissance de cause (Cass. Com. 5 février 2013, pourvoi n° 12-11.720 [citée précédemment]), à l’opération sans être victime d’une erreur quant à la substance de l’engagement. C’est cette perception du contenu des articles L331-1 et L331-2 du Code précité qui entraine un changement de braquet de la jurisprudence. En effet, la Cour de cassation, notamment par une décision en date du 22 janvier 2014 (pourvoi n°12-29.177 : « Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt de le condamner à payer diverses sommes à la banque, alors, selon le moyen, que la nullité d'un engagement de caution souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel est encourue du seul fait que la mention manuscrite portée sur l'engagement de caution n'est pas identique aux mentions prescrites par les articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation ; qu'en estimant l'engagement de caution de M. X... valable, tout en relevant que la mention manuscrite de l'acte de caution n'était pas identique aux prescriptions des articles susvisés, la cour d'appel a violé les articles L. 341-2 et L. 341-3 du code de la consommation ; Mais attendu qu'après avoir constaté que la mention manuscrite portée sur l'acte litigieux était ainsi rédigée : « je soussigné X... Saïd déclare accepter de me porter caution de Alris Interactive dans la limite de la somme de 120 000 (cent vingt mille euros) couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard, et pour la durée de 51 mois. Je m'engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si Alris Interactive n'y satisfait pas lui-même. En renonçant au bénéfice de discussion défini par l'article 2021 du code civil et en m'obligeant solidairement avec Alris Interactive, je m'engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu'il poursuive préalablement Alris Interactive », c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que si cette mention n'était pas identique aux prescriptions légales dans la mesure où M. X... avai déclaré accepter de se porter caution au lieu de reproduire la formule « en me portant caution » prévue par l'article L. 341-2 du code de la consommation, avait mis un point à la place d'une virgule après l'indication de la durée de son engagement et avait fait référence à l'ancien article 2021 du code civil, alors que cet article était devenu l'article 2298 à l'issue de la loi du 23 mars 2006, dont le contenu était le même que celui de l'article 2021, la nullité du cautionnement n'était pas encourue dès lors que les différences ainsi observées n'affectaient pas la portée des mentions manuscrites prescrites par la loi ; ») ne prononçait pas l’annulation du cautionnement malgré les différences (un point à la place d’une virgule) entre la mention manuscrite par la caution et celle consacrée dès lors que les modifications n’en affectaient pas le sens et la portée (Cass. Com. 27 janvier 2015, pourvoi n°13-24.778 : «Mais attendu qu'après avoir constaté qu'à la formule de l'article L. 341-2 du code de la consommation, la banque avait fait ajouter, après la mention « au prêteur », les mots suivants : « ou à toute personne qui lui sera substituée en cas de fusion, absorption, scission ou apports d'actifs », l'arrêt retient que cet ajout, portant exclusivement sur la personne du prêteur, ne dénature pas l'acte de caution et n'en rend pas plus difficile la compréhension ; qu'ayant ainsi fait ressortir que l'ajout n'avait pas altéré la compréhension par les cautions du sens et de la portée de leurs engagements, la cour d'appel a pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ; ». Également la Cass. Com. 9 mai 2018, pourvoi n°16-26.926 : exemple d’une erreur matérielle par adjonction d’un mot superflu).

Ainsi, les modifications qui rendaient désordonnée et confuse la mention en imposant son interprétation permettaient au juge de prononcer la nullité du contrat du fait de l’altération de la compréhension du sens et de la portée des formules consacrées. Ce positionnement est consolidé par plusieurs décisions prononcées (Cass. Com. 7 février 2018 [pourvoi n°16-20.586], Cass. Com. 10 janvier 2018 [pourvoi n°15-26.324] ; a contrario : Cass. Com. 28 mars 2018 [pourvoi n°16-26.561] ; Cass. Com. 9 mai 2018 [pourvoi n°16-26.926]), notamment en 2018, par la Cour de cassation. La jurisprudence sanctionne par la nullité le cautionnement dont la mention manuscrite par la caution, personne physique, n’est pas identique à la formule consacrée mais uniquement si l’altération de la formule consacrée en affecte lourdement le sens et la portée. Dans l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation, en date du 10 janvier 2018 (pourvoi n°15-26.324 : «Mais attendu, d'une part, qu'ayant retenu, par motifs propres, que l'indication du débiteur principal avait été omise dans la mention manuscrite, de même que les termes « dans la limite de », et relevé, par motifs adoptés, l'omission de plusieurs conjonctions de coordination articulant le texte et lui donnant sa signification, ce qui allait au-delà du simple oubli matériel, la cour d'appel en a exactement déduit que l'accumulation de ces irrégularités constituait une méconnaissance significative des obligations légales qui affectait le sens et la portée des mentions manuscrites, justifiant l'annulation de l'acte de cautionnement ; »), la mention manuscrite par la caution comportait de nombreuses omissions qui en altéraient le sens (Cass. Com. 7 février 2018 [pourvoi n°16-20.586] :« Qu’en statuant ainsi, alors que l'erreur relevée, en ce qu'elle rendait la mention manuscrite légale inintelligible, en affectait le sens et la portée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;») et laissaient appréhender ses irrégularités comme une grave altération du consentement de ladite caution. La formule légalement consacrée étant posée comme la matérialisation d’une adhésion réelle, sérieuse et pleinement consciente. L’altération (par l’omission de conjonctions de coordination ou de termes) du sens implique l’altération de l’intégrité du consentement justifiant ainsi l’annulation du contrat. Dès lors, malgré l’adoucissement de la sévérité appliquée à la vérification de la liberté prise dans le recopiage des formules consacrées par les articles L331-1 et L331-2 du Code de la consommation, il est indispensable que le créancier s’impose l’obligation (de résultat) de veiller que la substance du sens et de la portée de ladite formule ne soit pas altérée au risque pour lui de perdre la garantie adjointe au remboursement de sa créance en cas de défaillance du débiteur principal.

 

Du débat sur l’exactitude stricte des formules consacrées, l’on arrive enfin à l’essentiel, c’est-à-dire que ce qui est important ce n’est pas l’altération de l’instrumentum (les mots et les ponctuations des formules) mais le negotium (la substance de l’engagement). Les formules consacrées par les articles L331-1 et L331-2 du Code de la consommation, matérialisent le souci du Législateur de s’assurer que la personne physique, qui se porte caution (simple ou solidaire) envers un créancier professionnel, a bien saisi l’ampleur de la gravité de son engagement. Les formules cristallisent la compréhension de l’engagement de cautionnement, mais également ce qui est l’essentiel du contenu de l’engagement. C’est à ce titre que la Cour de cassation, en date du 14 mars 2018 (pourvoi n° 14-17.931), n’annule pas le cautionnement mais le limite aux accessoires de la dette car lors de l’apposition de la mention par la caution, cette dernière avait omis d’inscrire le mot « principal ». Les mentions consacrées par les articles précités sont incontestablement liées à l’obligation d’information de la caution par le créancier professionnel. Elles constituent la preuve de la compréhension de la substance du cautionnement au point ou si l’altération des mentions en impacte le sens alors la nullité encourue. Dès lors, le cœur du débat sur l’intégrité (et non l’exactitude, du coup) des formules consacrées est en fait porté par la question de savoir si le créancier professionnel a exécuté son obligation d’information de résultat quant à la vérification que la mention effectivement manuscrite, par la personne physique qui se porte caution, n’est pas affecté d’une ou plusieurs altérations nuisibles à son l’intelligibilité. La sanction du défaut d’exécution de cette obligation de correction de résultat sera la nullité dès lors que le juge constatera que les erreurs de plume ou les libertés de plume altèrent la compréhension par les cautions du sens et de la portée de leurs engagements.

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13 avril 2011 3 13 /04 /avril /2011 17:31

 

Au sein du mécanisme de responsabilité civile, il existe deux grandes catégories de régime juridique qui sont susceptibles de pourvoir à la réparation d’un préjudice subi par un individu. Il s’agit de la responsabilité civile contractuelle et de la responsabilité civile extracontractuelle. Ces mécanismes de responsabilité sont loin d’être distincts par complaisance dans la mesure où leurs faits générateurs posent des situations juridiques qui recouvrent des réalités foncièrement différentes. En effet, nonobstant le truisme qui affecte la mise en relief de la dualité de la responsabilité civile ; il faut comprendre que le dispositif de responsabilité contractuelle n’existe qu’en présence d’un contrat valable. Parallèlement, le dispositif de responsabilité extracontractuelle n’existe qu’en l’absence d’un contrat valable. Par conséquent, les faits qui autorisent la demande et l’obtention de l’indemnisation d’un préjudice né d’une faute contractuelle (inexécution, retard dans l’exécution ou mauvaise exécution d’une obligation contractuelle [art. 1147 du Code civil]) ne devraient pas permettre la demande et l’obtention d’une indemnité en réparation d’un préjudice né d’une faute extracontractuelle (transgression d’une règle de conduite imposée par la loi ou manquement a un devoir général de prudence et de diligence [art 4 DDHC]). Dans la même logique, les faits qui permettent l’action en justice et l’obtention d’une indemnité compensatoire afin de réparation d’un préjudice né hors rapports contractuels ne peuvent fonder une action en responsabilité contractuelle. Cette dualité est renforcée par l’existence d’un principe de non-cumul (le projet de réforme, CATALA, du droit des obligations propose la codification du principe à l’art. 1341 al.1 : « En cas d’inexécution d’une obligation contractuelle, ni le débiteur ni le créancier ne peuvent se soustraire à l’application des dispositions spécifiques à la responsabilité contractuelle pour opter en faveur de la responsabilité extracontractuelle »). Ce dernier a une double efficacité. D’une part, il interdit qu’une même personne puisse, pour les mêmes faits, obtenir des dommages et intérêts tant sur le fondement de la responsabilité contractuelle que sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle. D’autre part, le dualisme de la responsabilité civile et le principe de non-cumul excluent la possibilité d’option de complaisance (Cass. 1ère civ du 7 mars 1989, « VALVERDE » [N° 87-11.493]), c'est-à-dire qu’il n’est pas possible pour un justiciable de choisir le régime de responsabilité qui lui semble le plus favorable (le projet de réforme, CATALA, du droit des obligations propose, à l’art. 1341 al.2, l’introduction de l’option pour les seuls préjudices corporels : « […] lorsque cette inexécution provoque un dommage corporel, le cocontractant peut, pour obtenir réparation de ce dommage, opter en faveur des règles qui lui sont plus favorables »). Ce sont ces données qui caractérisent l’autonomie des fautes contractuelle et extracontractuelle, et posent l’étanchéité entre les deux grandes catégories de responsabilité civile (de manière plus globale ces données mutatis mutandis renvoient à l’étanchéité entre les différents mécanismes de responsabilités juridiques qui existent en droit français : responsabilité pénale, responsabilité administrative, responsabilité civile). Dès lors, lorsqu’il n’y a pas de lien contractuel direct entre la victime et l’auteur du préjudice. Conformément à l’article 1165 du Code civil, la victime peut rechercher la responsabilité de l’auteur du dommage uniquement sur les fondements de la responsabilité extracontractuelle (Assemblée Plénière 12 juillet 1991, « Besse » [N°90-13602]). Fort de cela, survient la question de savoir quelle est la solution pour l’apurement de la situation au sein de laquelle le tiers au contrat subit un préjudice extracontractuel provoqué par une faute contractuelle ?

Conformément à l’autonomie des fautes et l’étanchéité des responsabilités, une faute contractuelle ne devrait pas permettre le fondement d’une responsabilité extracontractuelle. Ainsi, de ce point de vue, afin que la victime non contractante obtienne réparation nécessairement sur le fondement d’une responsabilité extracontractuelle (Assemblée Plénière 12 juillet 1991, « Besse » [N°90-13602]) ; elle devra démontrer l’existence d’une faute extracontractuelle détachable de l’inexécution contractuelle (Com. 17 juin 1997 [N°95-14.535] ; 1ère civ. 16 décembre 1997 [N°95-22.321], 1ère civ. 18 juillet 2000 [N°99-12.135] ; Com. 8 octobre 2002 [N°98-22.858] ; Com. 5 avril 2005 [N°03-19.370]). En effet, la Cour de cassation refusait d’octroyer des dommages et intérêts à un tiers victime d’une faute contractuelle si cette dernière était purement contractuelle, c'est-à-dire qu’elle ne constituait pas également un manquement (à l’égard de la victime non contractante) au devoir général de ne pas nuire à autrui (article 4 DDHC). Ce positionnement a sa logique, car bien que l’article 1165 pose le principe de l’effet relatif du contrat selon lequel les obligations contractuelles ne doivent ni nuire ni profiter aux tiers. Cela signifie que les tiers ne peuvent être ni créanciers ni débiteurs d’obligations contractuelles. Toutefois, la situation juridique créée par le contrat peut être opposable tant par les tiers qu’aux tiers. De ce point de vue, la situation juridique, créée par une relation contractuelle, qui est la source d’un préjudice, donne indiscutablement une possibilité d’obtenir réparation. Dans la mesure où le tiers est ni débiteur ni créancier des obligations contractuelles, il est logique qu’il ne puisse rien exciper de l’économie du contrat. Les prérogatives qu’il tire de la situation juridique qui lui est nuisible ne naissent pas d’un acte juridique, mais d’un fait juridique contraire à l’obligation générale de ne pas nuire à autrui. Ainsi, si le tiers victime désir obtenir réparation de son préjudice, il est logique qu’il prouve la transgression de la seule obligation qu’il a contre la partie d’un contrat dont il n’est pas membre, c'est-à-dire la violation à son égard du devoir général de ne pas nuire à autrui (Com. 17 juin 1997 [N°95-14.535] ; 1ère civ. 16 décembre 1997 [N°95-22.321], 1ère civ. 18 juillet 2000 [N°99-12.135] ; Com. 8 octobre 2002 [N°98-22.858] ; Com. 5 avril 2005 [N°03-19.370]). Dès lors, l’apurement de ce contentieux ne devrait pas être problématique dans la mesure où la Cour de cassation semblait y apporter une solution juridiquement plausible et acceptable. Mais c’était sans compter la schizophrénie dont peut faire preuve la Haute juridiction qui est quelquefois comme l’hydre de Lerme, c'est-à-dire qu’à l’instar de ce serpent monstrueux a sept têtes qui repoussaient (à raison de deux pour une) à mesure que l’on les tranchait. En effet, au gré de la formation des chambres principalement concernées (Chambres civiles 1ère, 2ème et chambre commerciale). La Cour de cassation tantôt refusait l’octroi d’indemnisation s’il n’était fait la preuve d’une faute détachable du contrat (Com. 17 juin 1997 [N°95-14.535] ; 1ère civ. 16 décembre 1997 [N°95-22.321], 1ère civ. 18 juillet 2000 [N°99-12.135] ; Com. 8 octobre 2002 [N°98-22.858] ; Com. 5 avril 2005 [N°03-19.370]), tantôt accordait l’indemnisation sans exiger la preuve d’une faute détachable (1ère civ. 13 février 2001 [N°99-13.589] ; Com. 5 mars 2002 [N°98-21.022] ; Com. 1er juillet 2003 [N°99-17.183] ; 2ème civ. 23 octobre 2003 [N°01-15.391] ; 1ère civ. 18 mai 2004 [N°01-13.944]). Ces divergences de décisions étaient fortement préjudiciables à l’égalité devant la loi (art. 1er al.1er et 6 de la DDHC) et à la sécurité juridique qui suppute la prévisibilité. Bien que fondamentalement, les deux doctrines de la Cour de cassation sur cette même question recherchent, toutes deux, la même efficacité, c'est-à-dire l’octroi de dommages et intérêts au tiers ayant subi un préjudice du fait d’une faute d’un contractant ; elles divergent sur le contenu de l’argumentaire des plaideurs. L’une exige la preuve d’une faute extracontractuelle autonome vis-à-vis du contrat et de son inexécution (Com. 5 avril 2005 [N°03-19.370]). L’autre n’exige pas la preuve de l’autonomie des fautes, au contraire, elle semble les percevoir comme interdépendante, voire unitaire (1ère civ. 18 mai 2004 [N°01-13.944]). Il était donc indispensable que l’assemblée plénière de la Cour de cassation se saisisse de la question (art. L431-6 Code de l’organisation judiciaire) afin d’imposer l’unicité de solution. C’est ainsi qu’en date du 6 octobre 2006, l’assemblée plénière de la Cour de cassation (arrêt « Consorts Loubeyre c/ Myr’HO » [N°05-13.255]) tranche entre les deux doctrines d’une même politique jurisprudentielle et énonce que « […] le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage […] ». Dès lors, la doctrine exigeant la preuve d’une faute détachable a été disqualifiée au profit d’une dilution de l’autonomie des fautes. Cette dernière autorise donc l’obtention d’une indemnité découlant de la responsabilité extracontractuelle, mais sur le fondement d’une faute contractuelle à condition qu’il existe un dommage extracontractuel. Ainsi, ce n’est pas la détachabilité de la faute qui est recherchée, mais celle du dommage. Malgré une dissidence accidentelle (3ème civ. 22 octobre 2008 [N°07-15.692]), il est possible de constater la constance de l’affirmation d’une dilution circonstancielle de l’autonomie des fautes (2ème civ. 10 mai 2007 [N°06-13.269] ; 1ère civ. 15 mai 2007 [N)05-16.926] ; 3ème civ. 4 juillet 2007 [N°06-15776] ; Com. 21 octobre 2008 [N°07-18.487] ; 3ème civ. 27 mars 2008 [N°07-10.473] ; 3ème civ. 13 juillet 2010 [N°09-67.516]). Ce positionnement achève la marche vers la dilution de l’autonomie des fautes qui avait été entamé de manière moins précaire au profit d’un contractant victime d’une inexécution contractuelle du fait d’un tiers. En effet, conformément à une jurisprudence constante de la Cour de cassation (Com. 19 octobre 1954 [Dalloz 1956, p.78] ; 1ère civ. 26 janvier 1999 [N°96-20.782] ; 1ère civ. 17 octobre 2000 [N°97-22.498] ; Ass. Plén. 9 mai 2008 [07-12.449]), Il est possible pour un contractant d’obtenir des dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle du fait d’une faute extracontractuelle qui provoque l’inexécution d’une obligation contractuelle. Ainsi, le principe d’opposabilité des situations juridiques participe pour beaucoup à une sorte d’unité circonstancielle des fautes contractuelle et extracontractuelle. Ce mouvement est salutaire, car il permet l’apurement d’un contentieux qui, s’il était fait application stricte de l’autonomie, laisserait beaucoup de victimes sans indemnité à défaut de caractérisation d’une détachabilité pas toujours évidente à démontrer tant les situations peuvent être interconnectées. En outre, il n’aurait pas été sain, dans le mouvement de dilution des autonomies, d’autoriser l’opposabilité des clauses contractuelles (telles clauses limitatives ou exonératoires de responsabilité) au tiers victime comme s’il s’était substitué (subrogé) à un contractant. Le tiers victime agit directement pour son compte sur le fondement d’un mal qu’il subit personnellement. C’est ailleurs pour cela que le terme de « dilution des autonomies » est plus approprié que celui « d’assimilation des fautes ». il semble que le projet de réforme du droit des obligations (CATALA) propose une solution qui laisse au tiers victime une option entre le régime exclusivement contractuel ou le régime exclusivement extracontractuelle. Ce positionnement prône un renforcement de l’autonomie des fautes et va donc ressusciter la doctrine exigeant la détachabilité des fautes, mais aggravée par la possible opposabilité des clauses contractuelles (ce qui est différent de l’opposabilité de la situation juridique) au tiers comme s’il s’était substitué à un contractant (le projet de réforme, CATALA, du droit des obligations, art. 1342 : « Lorsque l'inexécution d'une obligation contractuelle est la cause directe d'un dommage subi par un tiers, celui-ci peut en demander réparation au débiteur sur le fondement des articles 1362 à 1366. Il est alors soumis à toutes les limites et conditions qui s'imposent au créancier pour obtenir réparation de son propre dommage. Il peut également obtenir réparation sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle, mais à charge pour lui de rapporter la preuve de l'un des faits générateurs visés aux articles 1352 à 1362 »). S’il y avait véritablement une réforme de ce volet du droit des obligations. Il s’agit d’espérer que le législateur ne valide pas cette proposition (article 1342 du projet de réforme du droit des obligations [C    ATALA]).

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12 avril 2011 2 12 /04 /avril /2011 17:25

La responsabilité civile est un mécanisme juridique de responsabilité qui a vocation à réparer via l’octroi de dommages et intérêts les préjudices par un individu que celui-ci soit dans une relation contractuelle ou non avec autrui. Pour réaliser ce mécanisme juridique de réparation, il est exigé (sauf configuration particulière au sein desquelles interviennent des présomptions) la démonstration de l’existence d’une faute en lien avec le préjudice réparable (direct, certain, personnel et légitime). Lorsque ces éléments constitutifs sont recouverts ou lorsque les présomptions sont invocables, celui qui est reconnu responsable devra indemniser la victime voire, le cas échéant, les victimes par ricochet. Cependant, il faut garder à l’esprit que les mécanismes de responsabilité civile ne sont pas irrésistibles, car celui dont la responsabilité est recherchée, peut se libérer de cette obligation à réparation s’il excipe des causes exonératoires. De là, il est perceptible que l’efficacité recherchée dans la notion de cause exonératoire repose sur l’institution d’une échappatoire à l’obligation à réparation. En effet, les événements susceptibles de produire un effet libératoire sont la force majeure, le cas fortuit, le fait d’un tiers ou le fait de la victime.

Cela dit en passant, il est possible d’ajouter l’acceptation des risques et le consentement de la victime (valide uniquement pour les dommages matériels). Ces événements, bien qu’ils ne soient pas des causes exonératoires au sens strict de la notion. Dans la mesure où, ils procèdent à une disqualification de l’acte dommageable, ce dernier ne doit plus être perçu comme une transgression à l’obligation de ne pas nuire à autrui ou comme une violation d’une obligation contractuelle. Ainsi, l’acceptation des risques et le consentement de la victime interdisent à cette dernière de solliciter la réalisation de l’obligation à réparation ; c’est ainsi qu’il y a, à l’instar des causes exonératoires « classiques », un effet libératoire.

L’excuse octroyée par les causes exonératoires « classiques » (force majeure, faite de la victime et fait d’un tiers), pour qu’elle soit admise par les juges, doit être caractérisée par trois éléments constitutifs, c’est-à-dire : l’irrésistibilité, l’imprévisibilité et l’extériorité. En principe, s’il manque l’un des trois éléments constitutifs précédemment énumérés, l’événement excipé pour libération ne peut pourvoir à cette efficacité. En effet, la force majeure, le fait d’un tiers ou de la victime s’ils sont prévisibles, évitables ou découlent de données inhérentes à la sphère d’activité du potentiel responsable ; ils ne peuvent rendre excusable la réalisation d’un dommage, car dans ces hypothèses, il y a la caractérisation de la défaillance litigieuse. Pour ce qui concerne le cas fortuit et en dehors du fait que l’extériorité n’est pas recherchée. L’absence d’imprévisibilité ou/et d’irrésistibilité interdit que le cas fortuit soit exonératoire. Toutefois, dans certaines circonstances, les juges ont admis (Cass. 1ère civ. 9 mars 1994, « Montagnani c/ soc. résidences des Lices » [n°91-17.459 ou 91-17.464] ; Cass. com. 1er octobre 1997, « société d'Aucy c/ société Szymanski » [N°95-12.435] ; Cass. 2ème civ. 13 juillet 2000, « Association arts spectacles » [98-21.530]) que la seule irrésistibilité de l’événement à l’origine du dommage est susceptible d’octroyer un effet libératoire. Cette configuration atypique de la force majeure (et potentiellement du fait du tiers ou de la victime) dispose exceptionnellement d’une force exonératoire lorsque, prévisible, le débiteur a mis en œuvre tous les moyens possibles (c’est-à-dire au moins ceux qui sont prescrits par loi voire également ceux que l’usage et le bon sens imposent) pour interdire la réalisation de l’événement dommageable. Malgré ses précautions, la prévoyance (prudence et diligence) ne fait pas échec à la survenance de l’événement dommageable prévisible. Ainsi, lorsque le comportement du débiteur a été en quelque sorte exemplaire, car il a eu une prudence et une diligence avérées, ou parce qu’il a vraiment mis tous les moyens en œuvre (obligation de moyens), ou encore parce qu’il a fait tous les actes qui garantissaient la réalisation de sa promesse (obligation de résultat) ; alors la fatalité qui caractérise l’événement dommageable doit, à elle seule, suffire à octroyer une force exonératoire à l’irrésistibilité. La bonne foi du contractant (article1134 alinéa3 du Code civil [obligation de coopération et de loyauté]) ou le comportement diligent et prudent d’un individu (art.4 de la DDHC) ayant été sans faille, il ne serait pas équitable de maintenir la responsabilité d’un justiciable du fait de l’inéluctabilité (appréciée au regard du comportement de l’intéressé face à la prévisibilité; voir l’article 1349 al.3 de l’avant projet de réforme du droit des obligations : « […] La force majeure consiste en un événement irrésistible que l’agent ne pouvait prévoir ou dont on ne pouvait éviter les effets par des mesures appropriées ») d’un événement dommageable. Cela étant, dans certaines situations (hypothèse du fait de la victime exclue), cet effet libératoire de la seule irrésistibilité prive d’une indemnité une victime qui risque de se trouver sans indemnisation voire qui risque de peser lourd sur les assureurs. De là, l’actuel mouvement de renforcement ou d’épanouissement du mécanisme de solidarité nationale dans les situations de « dommages sans responsable » peut être appréciable et doit être encouragé.

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24 février 2011 4 24 /02 /février /2011 00:21

La France est une République indivisible (art. 1er de la Constitution). Cela signifie que la diversité de son territoire et son organisation administrative doivent être perçues comme un ensemble unitaire. Ainsi, les mouvements de décentralisation et de déconcentration ont pour principal objectif non de diviser l’État français, mais d’établir des dispositifs susceptibles de prendre des décisions de proximités (art.72 al.2 de la Constitution). Les Collectivités territoriales (Communes, Départements, Régions, Collectivités à statut particulier et Collectivités régies par l’art. 74) sont des dispositifs de décentralisation dont l’autonomie financière (art. 72-2 de la Constitution) et l’autonomie de décision (art. 72 al.3 de la Constitution) sont constitutionnellement garantis.

Chaque Collectivité territoriale a sa sphère de compétence. Cela signifie que chacune des collectivités territoriales peut agir uniquement dans le domaine de compétence que la loi (Art. L.4221-1 (Région), L.3211-1 (Département) et L.2121-29 (Commune) du Code Général des Collectivités Territoriales) lui a attribué sans pouvoir empiéter sur le domaine de compétence d’une autre, sans pouvoir subordonner une autre Collectivité (art. 72 al.5 de la Constitution). De ces impératifs constitutionnels, il ressort que les Collectivités territoriales situées sur une même parcelle du territoire de la République sont obligées de coopérer si elles veulent administrer efficacement et dans le respect de la Constitution. Cette obligation de coopération est ce qu’il y a lieu de désigner par « gouvernance territoriale ».

 

Alors, vous me demanderez : « mais qu’est-ce que tout cela a avoir avec le renouvellement du conseil général ? quel rapport avec la future Collectivité de Guyane ? »

L’enjeu des derniers référendums sur l’évolution statutaire ou institutionnelle, l’enjeu de chaque élection locale qu’il s’agisse des municipales ou des régionales ou encore des cantonales est toujours le même : la gouvernance territoriale.

 

Pour les Collectivités territoriales métropolitaines l’évolution « institutionnelle » est posée par la loi n°2010-1563 en date du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales. Ce texte procède non à une substitution-fusion de collectivité ou d’assemblée telle que prescrite par l’article 73 dernier alinéa de la Constitution (collectivité unique ou assemblée unique), mais réalise une substitution-fusion d’élus (c'est-à-dire maintien de l’individualité des collectivités mais institution d’élus uniques), car les conseillers régionaux et les conseiller généraux des collectivités métropolitaines seront remplacés par les conseillers territoriaux qui siégeront à la fois au conseil régional et au conseil général. Vous comprenez que ces dispositifs de substitution-fusion en vocation à réduire les zones d’incertitude qui subsistent lorsque la gouvernance territoriale est synonyme de coopération entre élus de collectivités a compétences et à cultures de travail différentes sans option possible de subordination (interdiction de tutelle entre les Collectivités [art.72 al.5 de la Constitution]).

Pour la Guyane, la Martinique et la Guadeloupe (cette dernière a été exemptée de consultation) aucun changement de configuration ne peut être prise de la seule initiative du gouvernement contrairement à la marge de manœuvre dont il dispose pour prendre l’initiative de l’évolution des Collectivités territoriales métropolitaines. En effet, la Constitution impose à l’exécutif national d’avoir, au préalable (art. 72-4 de la Constitution), le consentement des électeurs « d’outre-mer » afin de procéder à une l’évolution « statutaire » (modification du régime législatif ou/et des compétences) ou à une évolution « institutionnelle » (modification de l’organisation de la collectivité). L’évolution statutaire a été refusée (1er référendum). L’évolution institutionnelle a été acceptée (2nd référendum). La marche vers la Collectivité de Guyane est lancée, à compter de ce choix des électeurs inscrits sur les listes électorales de Guyane. Par conséquent, la fin de vie de la « région Guyane » et du « département Guyane » est entamée. Le Conseil général vie ses dernières heures. Cette ultime (quoique partielle) élection cantonale devra renouveler un conseil de vigilance, d’anticipation, de préparation et d’organisation de la fusion en marche.

 

La Collectivité de Guyane (art. 2 du projet de loi ; éventuel article L7111-1 du Code général des collectivités territoriales) est l’institution qui naîtra de la substitution-fusion décrite au dernier alinéa de l’article 73 de la Constitution. Conformément à la constitution, il s’agira uniquement de la fusion, au sein d’une unique Collectivité territoriale, des attributions qui étaient celles du département et celles de la région (art. 2 du projet de loi ; éventuels art. L7111-1 et L.7151-1 du Code général des collectivités territoriales). Cette configuration réduit l’effort de coopération car celui qui sera le président de cette Collectivité de Guyane aura entre ses mains une concentration de pouvoirs administratifs ( a priori compétences du président du conseil général et compétences du président de région [le projet de loi est obscure sur cette question]) sans contre-pouvoir politique institutionnel (le projet de loi n’envisage aucun contre pouvoir, ce qui est anti-démocratique mais pas nécessairement inconstitutionnel), sauf sollicitation du juge administratif (Code de justice administrative) et vigilance des juridictions financières (Code des juridiction financières) ou interventionnisme du préfet (art. 9 du projet de loi ; éventuel article L1451-1 du Code général des collectivités territoriales).

Aussi contestable que soit le dispositif envisageant l’intervention du préfet, il est sain, à défaut de dispositif démocratique instituant un véritable contre-pouvoir politique, qu’il subsiste au moins une autorité administrative susceptible de garantir la continuité de l’action territoriale en cas de dysfonctionnement ou de non-fonctionnement temporaire ou permanent de la future Collectivité de Guyane. Cependant, il eut été préférable (peut-être est-il encore temps ?) de privilégier un dispositif démocratique de type minorité de blocage ou minorité d’impulsion dont l’opposition (quelle quel soit) pourrait faire usage afin de prévenir tout dysfonctionnement ou tout non-fonctionnement. Bien entendu, un tel dispositif devrait être solidement cadré pour ne pas être la source ou pour ne pas contribuer au dysfonctionnement ou au non-fonctionnement de la Collectivité de Guyane.

 

En l’état du projet de loi, l’efficacité recherchée est d’ordre administratif. Il y a dissolution d’un échelon de gouvernance territoriale au profit d’une concentration de la prise de décisions locales. Il n’y a pas davantage d’autonomie (art.73 dernier alinéa), car il s’agit d’une fusion à droit constant. Le projet de loi en est la preuve. Malheureusement, cette évolution a droit constant peut être dommageable dans la mesure où les institutions envisagées pour « conduire » la Collectivité de Guyane n’instaurent pas de gouvernance (art. 2 du projet de loi ; éventuel art. L7121-1 du Code général des collectivités territoriales) mais une direction monocéphale qui aura entre les mains la gestion des affaires sociales, économiques, culturelles, environnementales, éducatives du Pays de Guyane (art. 2 du projet de loi ; éventuels art. L7111-1 et L.7151-1 du Code général des collectivités territoriales). Le projet est entre les mains du Parlement. La majorité parlementaire décidera du contenu final.

 

L’ultime renouvellement du conseil général (Décret n°2010-199 du 12 novembre 2010 « portant convocation des collèges électoraux pour procéder au renouvellement de la série sortante des conseillers généraux et pour pourvoir aux sièges vacants ») n’aura pas pour objet de désigner une partie de « l’équipe » qui conduira la Collectivité de Guyane, car les conseillers généraux comme les conseillers régionaux verront leur mandat expirer en mars 2014 (loi n°2010-145 du 16 février 2010 « organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux », consolidée par la décision n°2010-603 DC du Conseil constitutionnel en date du 11 février 2010), sauf confirmation législative de l'expiration des mandats au plus tard le 31 décembre 2012 (article 12 du projet de loi sur la collectivité unique). L’enjeu du dernier renouvellement du conseil général réside dans l’efficacité de l’ultime gouvernance territoriale entre le département et la région qui consistera en la réussite de la fusion et la préparation des premiers pas de la Collectivité de Guyane.

 

Il est donc important que le conseil général soit un contre-balancement du conseil régional afin qu’une réelle gouvernance soit l’accoucheuse d’un nouveau-né au destin très incertain.

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 23:53

 

Imposée par les principes fondamentaux1 qui régissent l’organisation territoriale indivisible et décentralisée de la République ; La gouvernance territoriale2 est cette synergie qui permet (autant que faire se peut) de poser et/ou de maintenir une cohérence des actions enchevêtrées des administrations décentralisées au sein de cette atypique indivisibilité territoriale. En effet, l’efficacité de cette notion fonctionnelle repose sur une réalisation de concert (et non en concours) de tâches d’intérêt commun. Cependant, il serait réducteur de percevoir la gouvernance territoriale uniquement comme un vecteur de bonne gestion des affaires locales internes et comme support de coopération entre les collectivités territoriales françaises ; car cette efficacité synergique semble avoir également une perspective transfrontalière.

 

La coopération transfrontalière, vecteur du réalisme géostratégique de la gouvernance territoriale

 

L’efficacité source de la coopération transfrontalière3 est bien retranscrite dans le fait que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon4 ». En effet, le souci de proximité de la prise de décision, exprimé dans ces dispositions constitutionnelles, exige tant une implication locale forte qu’une imprégnation de la décision par son environnement géostratégique direct ou indirect. La bonne gestion des affaires locales est avérée lorsque les initiatives sont en cohésion avec la réalité nationale, interrégionale et transfrontalière. Delà, la collectivité territoriale obligée à la coopération avec ses pairs (au moins ceux) situés sur la même parcelle de territoire républicain, se doit également de penser son action en fonction de son implantation géographique, car l’interaction qui subsiste toujours (pour le meilleur ou/et pour le pire) entre entités frontalières peut s’avérer être d’une certaine pesanteur économique, sociale ou culturelle. La coopération transfrontalière est une clairvoyance inhérente à l’efficacité et au rayonnement de l’administration décentralisée qui, par ailleurs, doit inévitablement se réaliser par la pratique d’une gouvernance territorialisée.

 

La coopération transfrontalière un mode d’expression de la gouvernance territoriale

 

Le corps de l’ordonnancement juridique de la coopération transfrontalière est posé notamment aux articles L.1115-1 et suivants du Code général des collectivités territoriales. Ainsi, l’aptitude à collaborer avec des autorités locales étrangères doit être appréhendée comme une compétence de droit commun pour les Collectivités territoriales. D’ailleurs, les actions transfrontalières de ces dernières sont, comme tous leurs actes, soumises au contrôle de légalité5 (articles L.1115-1 al.1 et L1115-4 al.2 du CGCT).

 

La coopération transfrontalière est une émanation du construit de l’autonomie locale au sein de l’organisation indivisible et décentralisée du territoire de la République. Cette aptitude matérialise le niveau d’autonomie que les collectivités peuvent avoir dans l’expression de leur liberté d’administration et de décision de proximité, car leurs compétences transfrontalières sont similaires à leurs compétences locales (Articles L2121-29 [Commune], L.3211-1 [Département] et L.4221-1 [Région]) et les interdits sont également les mêmes. Ainsi, la coopération transfrontalière ne doit pas être l’occasion pour une Collectivité d’être sous la tutelle ou de mettre en tutelle une autre autorité locale (article L.1111-3 CGCT). En outre, elle ne peut davantage être l’opportunité d’un empiètement sur les pouvoirs régaliens6 de l’État, ni la chance d’une fédéralisation7 d’un territoire de la République.

 

C’est au regard de cet ordonnancement juridique qu’il est plausible de dire que les compétences transfrontalières des Collectivités territoriales nécessitent également la pratique d’une synergie qui permet de poser et/ou de maintenir une cohésion au sein d’une organisation territoriale indivisible et décentralisée. L’autonomie interne et externe des Collectivités territoriales semblent devoir s’épanouir via la pratique d’une gouvernance territoriale.

 

1. C’est-à-dire les principes : de libre administration (art. 72 al.3 et art. 72-2 al.1 de la Constitution), de subsidiarité (art. 72 al.2 de la Constitution), d’interdiction de la tutelle (art. 72 al.5 de la Constitution), d’existence de blocs de compétences (avec le paradoxe de la clause générale de compétence) soutenus par un pouvoir réglementaire local (art. 72 al.2 et 3 de la Constitution).

2. Article 10 al.1 de la Charte européenne de l’autonomie locale : « Les collectivités locales ont droit, dans l’exercice de leurs compétences, de coopérer et, dans le cadre de la loi, de s’associer avec d’autres collectivités locales pour la réalisation de tâches d’intérêt commun. »

3. Bloc de légalité de la coopération transfrontalière : loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République ; loi du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire ; Loi du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et de développement durable du territoire ; loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales ; loi du 2 février 2007 relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et de leurs groupements ; voir circulaire du 20 avril 2001 (NOR INT B 0100124C).

4.  Article 72 de la Constitution. Article 10 al. 2 et 3 de la Charte européenne de l’autonomie locale.

5.  Respect des engagements internationaux de la France.

6. Notamment les articles 5, 14, 20, 52 à 55 de la Constitution. Voir également les décisions du Conseil constitutionnel : n°96-373 DC, 9 avril 1996, Journal officiel du 13 avril 1996, p. 5724, cons. 11, 13 et 14, Rec. p. 43 ; n°94-358 DC, 26 janvier 1995, Journal officiel du 1er février 1995, p. 1706, cons. 52 et 53, Rec. p. 183.

7. Article 1er de la Constitution (indivisibilité de l’État). Voir également les décisions du Conseil constitutionnel : n°76-71 DC, 30 décembre 1976, Journal officiel du 31 décembre 1976, p. 7651, cons. 5, Rec. p. 15 ; n°84-177 DC, 30 août 1984, Journal officiel du 4 septembre 1984, p. 2803, cons. 7, Rec. p. 66 ; n°84-178 DC, 30 août 1984, Journal officiel du 4 septembre 1984, p. 2804, cons. 8, Rec. p. 69 ; n°2004-490 DC, 12 février 2004, Journal officiel du 2 mars 2004, p. 4220, cons. 27, Rec. p. 41.

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 23:46

 

La société est une réalité plurale, causale, transversale et hétérogène. Elle est appréhendée et même rendue justiciable par l’homo juridicus-politicus (l’État ou autres organes politiques de gouvernance) afin de fondre ce pluralisme au sein de l’unité du droit et de l’unicité de l’ordre juridique. Ces dernières données sont les efficacités recherchées au sein de l’organisation d’un système juridictionnel. Cet effort d’institutionnalisation repose sur la justiciabilité, cause et effet autant de l’efficacité que de l’effectivité du droit. La fonctionnalité cognitive de l’homo juridicus-politicus (l’État ou autres organes politiques de gouvernance), impose une perception dichotomique à ses desseins de domination, c'est-à-dire qu’il doit soumettre les autres (sujétion ordinaire) mais afin que sa domination soit acceptable, il doit également se poser des limites (sujétion réflexive). Toutefois, la crédibilité et l’acceptabilité de son autolimitation ou autorégulation sont tributaires de l’intervention d’un tiers réflexif : l’homo judicatus (l’homme ayant office de juge).

La rationalité de ce dernier est soumise à une vulgate1 irrésistible qui s’est métamorphosée au fil du temps. Alors l’homo judicatus doit voir « double ou triple » mais la réalité reste ce qu’elle est, c'est-à-dire plurale, causale, transversale et hétérogène. Par conséquent, de fait, la pluralité de juges qui suppute une fragmentation de la justiciabilité pose une fiction qui veut dénier ou feint de ne pas reconnaître l’irrésistible transversalité du « désordre naturel » gobé par l’ordre juridique pour la soumettre à une logique répartitrice qui dès lors peut paraître factice. Il y aura donc nécessairement conflit ou pire trouble fonctionnel lors de l’opération de distribution des situations justiciables.

 

La justiciabilité2 est une aptitude qui caractérise à la fois l’accessibilité et la soumission à l’institution juridictionnelle. Cette habilitation à agir (perspective active) ou à être attrait (perspective passive) devant un juge est un matériel indispensable à l’efficacité et à la crédibilité du système. Elle matérialise le caractère causatif du système juridictionnel. C’est ainsi que la justiciabilité des individus, des biens et des événements sont des données fondamentales car elles sont le produit mais également l’objet de l’ordre juridique. Elle est la cause du contrôle juridictionnel et ce sur quoi porte le travail du juge.

 

Le « principe de vision et de division3 » qui entame la fragmentation de la justiciabilité est posé dès 1641, c’est à cette époque que commence à se cristalliser le « schème classificatoire4 » notamment via un modèle despotique de division, c'est-à-dire la dualité justice retenue/justice déléguée. Le schème est consolidé en 1790 jusqu’en 1872 où il prend une autre configuration mais reste construit sur le même fondement : Un principe de séparation dominé par plusieurs interdits mais sans ligne précise et claire de démarcation. Cette incertitude est un élément de l’efficacité voulu pour le principe dès l’origine, c'est-à-dire ménager un arbitraire susceptible de permettre assez largement au roi d’évoquer auprès de lui de manière permanente les affaires qui l’intéressent. Il ne faut pas oublier que le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire de l’origine est conçu pour être une « machine de guerre » de l’absolutisme royal contre les parlements et leur activisme politico-judiciaire. La plasticité de la ligne de démarcation réalise donc l’aménagement d’une marge de manœuvre que ne permettrait pas une énumération exhaustive ; s’il en existait une elle n’avait qu’une valeur indicative5. Aussi, historiquement, le conflit d’attribution ou trouble fonctionnel est l’opportunité « d’évoquer » certaines affaires auprès de l’administrateur. Dès lors, la facticité gouvernant la logique répartitrice qui soumet la justiciabilité à une fragmentation constituait un moyen de distraction du justiciable de son juge naturel. Si l’administrateur est le « justiciable naturel » des réclamations relatives à la matière administrative cela ne fait pas pour autant de lui un juge légitime de cette question. Il n’est pas juge, il est une partie avec pouvoir d’administrer et de clore la contestation. Dans cette configuration, la fragmentation de la justiciabilité est un effet de la mise en œuvre de la sujétion réflexive d’attribution, c'est-à-dire la chance pour le destinateur-sujet de soumettre son action à une discipline établie par ses propres soins6 afin, éventuellement, de modérer ou d’exercer avec équité7 sa supériorité statutaire. La rationalisation8 du conflit d’attribution s’amorce avec l’ordonnance du 1er juin 1828. Elle est poursuivie avec l’ordonnance du 12 mars 1831. L’avancée est consolidée par la Constitution du 4 novembre 1848 (institue notamment le Tribunal des conflits) puis complétée avec le décret du 26 octobre 1849 et la loi du 4 février 1850. La consécration juridique définitive de la fragmentation de la justiciabilité est effectuée par loi du 24 mai 1872. L’arbitraire qui était inhérent à la question de l’attribution est dissous au sein d’un contentieux de l’attribution dévolue à une juridiction paritaire : le Tribunal des conflits. La fragmentation devient dès lors un élément objectif du principe de séparation des autorités judiciaires9. Cependant, certaines tares (anciennes efficacités despotiques) subsistent en la plasticité de la ligne de démarcation qui est susceptible de troubler l’intelligibilité et l’accessibilité du mécanisme d’apurement des incidents juridiques. Le risque de distraction subsiste notamment par la répugnance invincible que peut susciter cette fragmentation de la justiciabilité de masse.

 

L’autre tranche de justiciabilité fragmentée est celle du dernier né, le juge constitutionnel. L’attribution du contentieux normatif n’entre pas dans la logique de conflit car les deux autres juges ont toujours décliné leur compétence confinant cette réclamation en zone chronique de déni de justice. Mais, peut-il y avoir déni de justice sans qu’existe une justiciabilité ? Jusqu’à une certaine époque, la question de la conformité de la loi à la Constitution est déjudiciariseé.

 

Cela étant, lors de sa naissance, le Conseil constitutionnel peut être saisi unique par quatre autorités politiques : Le président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée Nationale et le président du Sénat. L’excessive restriction de la justiciabilité et la qualité de cette dernière ne laisse pas présager une grande activité du juge du contentieux normatif. D’ailleurs à l’origine, c'est-à-dire entre 1958 et 1971, il avait été conçu comme un arbitre ayant principalement pour fonction de contrôler le respect du domaine de la loi par le législateur. Cependant, par souci d’efficacité de l’institution, une loi organique n°74-904 du 29 octobre 1974 « portant révision de l'article 61 de la Constitution », organise l’extension du droit de saisine du Conseil constitutionnel à soixante députés ou sénateurs, c'est-à-dire une minorité d’opposition. Cette modification additionnée à l’apport juridique de l’arrêt « Liberté d’association » de 1971 contribue à la pérennisation de l’efficacité et l’effectivité du contrôle a priori de la constitutionnalité de la loi. Cette justiciabilité est une justiciabilité « émanation » car les autorités politiques qui peuvent saisir le juge sont ou directement ou indirectement une émanation du suffrage universel populaire. Compte tenu de l’objet du contrôle, cette configuration est acceptable car il serait surprenant que tous ceux qui participent à l’activité législative ne puissent pas être justiciables du juge du produit de cette activité. La justiciabilité directe du peuple élargirait d’autant le risque de subversion et corrélativement hypothéquerait la pertinence de la justiciabilité de la loi. Toutefois, la « justiciabilité-émanation » comporte une imperfection inhérente à sa nature. En effet, malheureusement en l’absence de tout lien psychique entre représenté et représentant, surtout (et plus sérieusement) en l’absence de mandat impératif, il subsiste une dysphonie entre le réalisme des représentés et celui des représentants. Cette dernière ne peut être corrigée par la fiction liée au mécanisme de représentation qui est lui-même limité par l’interdit constitutionnel posé par l’article 25 al.1er de la Constitution. Aussi, cette configuration prive les représentés d’un recours effectif contre la loi. Du coup, cette justiciabilité restait à parfaire10. C’est dorénavant chose faite avec la loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008 et la décision du Conseil constitutionnelle n°2009-595 en date du 3 décembre 2009 qui par ailleurs pose le caractère constitutionnel du dualisme des ordres juridictionnels11.

 

1.  Le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire.

2. Christian ATIAS, « Justiciabilité » p.798-801 ; Dictionnaire de la justice (Sous la direction de Loïc CADIET), PUF.

3. Marie-Laure MATHIEU-IZORCHE, « Le raisonnement juridique » p.23 ; PUF – Thémis (droit privé).

4. Marie-Laure MATHIEU-IZORCHE, « Le raisonnement juridique » p.23 ; PUF – Thémis (droit privé).

5. Bernard EVEN, « Des conseils de préfecture aux tribunaux administratif » p.475 ; RFDA 2004.

6. François BURDEAU, « Histoire du droit administratif » p.30 ; PUF – Thémis, droit public (1995). François BURDEAU, « Histoire de l’administration française du 18e au 20e siècle » p.42 ; Montchrestien (2ème édition).

7. François BURDEAU, « Histoire du droit administratif » p.31 ; PUF – Thémis, droit public (1995).

8. Code de justice administrative, « annexe 2 » p.725-747 ; Litec (2009).

9. Décision du Conseil constitutionnel en date du 23 janvier 1987 (n°86-224 DC).

10. La loi constitutionnelle no 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République a modifié de nombreux articles de la Constitution française et a notamment institué un la question prioritaire de constitutionnalité (art. 61-1 C) qui rend accessible le contentieux de la loi à une justiciabilité plus large.

11. Conseil constitutionnel décision n°2009-595 en date du 3 décembre 2009, considérant n°3 : « […] le constituant a ainsi reconnu à tout justiciable le droit de soutenir, à l'appui de sa demande, qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ; qu'il a confié au Conseil d'État et à la Cour de cassation, juridictions placées au sommet de chacun des deux ordres de juridiction reconnus par la Constitution, la compétence pour juger si le Conseil constitutionnel doit être saisi de cette question de constitutionnalité […] »

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 23:45

 

La mise en subordination du judiciaire par la mécanisation de la fonction de juger (« la bouche qui prononce les paroles de la loi ») a eu peu de succès dès l’origine, car l’interdiction d’interpréter posée par l’article 12 de la loi des 16-24 août 1790 a été fortement vidée de sa substance par la décision du 15 floréal an IV (4 mai 1796) prononcée par le Tribunal1 de cassation. Cette jurisprudence est consolidée par les articles 4 et 5 du Code napoléonien qui combattent autant le déni de justice, source de paralysie et d’ineffectivité du droit, que les velléités législatives des juges (bride la liberté d’interprétation retrouvée). Puis le référé législatif est abrogé par une loi du 1er avril 1837, c'est-à-dire plus de tutelle structurelle quant à l’interprétation de la loi par la Cour de cassation.

 

Ainsi, à défaut de rendre docile toutes les bouches qui prononcent l’esprit des lois, il faut des hommes soumis à la cause du régime. Alors, il restait la subordination structurelle par le recrutement. Malgré une tradition d’inamovibilité du corps judiciaire, cet élément du statut du magistrat est loin d’assurer de manière systématique l’indépendance de ce corps. Ce n’est pas l’inamovibilité qui avait posé l’indépendance des parlements de l’Ancien Régime mais la vénalité puis l’hérédité de la charge d’officier de justice. Dès lors, l’inamovibilité avait ses « correctifs » pour ceux qui escomptaient une magistrature plus « volatile ».

Le contrôle de l’organe juridictionnel par le peuple et sa soumis au temps (mandat à temps) n’est pas une garantie de docilité vis-à-vis de l’Exécutif ni même vis-à-vis du Législatif. Cependant, le juge est soumis à une logique électoraliste (indépendance précaire) à l’instar du corps exécutif et du corps législatif. Ce qui en fait moins un juge et plus un politique, affectant à long terme la qualité de la justice qui se voudra populaire et un prolongement de la vindicte populaire (impartialité précaire).

Les révolutionnaires craignaient le pouvoir judiciaire, car même avec l’abolition de la patrimonialité des charges et des parlements, le système qu’ils ont pensé octroyait autant d’indépendance aux juges vis-à-vis de l’Exécutif ; D’où cet acharnement à l’encontre de la fonction de juger notamment par l’institution de mécanismes de subordination et d’abaissement fonctionnels, donc exit le mode électoral en faveur des juges.

 

Le mécanisme qui s’y substitue est celui de l’épuration2 non par la voie populaire mais par la volonté de l’Exécutif.

 

Le recrutement des magistrats était fait directement par l’exécutif soit ils étaient choisis sur une liste de confiance préétablie soit ils étaient nommés. À chaque régime sa sélection et son épuration des magistrats fidèles au régime qui précédait. Ainsi, dans ces hypothèses l’inamovibilité est illusoire ou relativement précaire. Le recrutement par concours ne garantit pas davantage l’indépendance que ne le ferait l’inamovibilité. Si l’Exécutif conserve une pesanteur sur la carrière des magistrats, c'est-à-dire s’il détient le pouvoir disciplinaire et d’avancement promotionnel.

Tous ces processus qui visaient à obtenir un corps judiciaire docile, un juge vigie ; continuent la logique qui a favorisé le maintien du concept d’administrateur-juge et qui a avorté le contrôle (même politique) de la loi. Il s’agit d’une logique autoritaire. Le dualisme des ordres juridictionnels et corrélativement l’indépendance et l’impartialité du juge sont parmi les éléments qui marquent une avancée véritablement démocratique de l’organisation judiciaire, une marche vers l’état de droit.

 

Il n’y a pas d’autorité judiciaire3 sans indépendance ni impartialité.

 


1.  À l’époque cette juridiction était nommée ainsi.

3.  Benoît GARNOT, « Histoire de la justice : France XVIe-XXIe siècle » p.553-561 ; Folio histoire n°173–Gallimard.

4.  Cour de cassation, Chambre criminelle du 17 décembre 2010 (Pourvoi n°10-83.674) ; CEDH 4 déc. 1979, Schiesser c. Suisse, série A n° 34, § 31 ; 22 mai 1984, De Jong, Baljet et van den Brink c. Pays-Bas, série A n° 77, § 49 ; 3 juin 2003, Pantea c. Roumanie, Rec. CEDH, p. 2003-VI, § 238 ; D. 2003. Somm. 2268, obs. J.-F. Renucci ; RSC 2004. 441, obs. F. Massias. CEDH 23 nov. 2010, Moulin c. France, n° 37104/06, Dalloz actualité, 24 nov. 2010, obs. S. Lavric ; D. 2010. AJ 2776, obs. S. Lavric.

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 23:35

 

Au sein de la doctrine kelsénienne1 il est fait usage du terme « observance comme réaction spécifique à un commandement2 ». En effet, Hans KELSEN met en relief cette notion notamment lorsqu’il propose une approche analytique du rapport existant entre ce qu’il observe comme étant deux faits. C’est ainsi que, d’une part, il décrit le premier fait, c'est-à-dire « l’énonciation linguistique » qu’il appréhende comme « l’énonciation d’un commandement ». Puis, d’autre part, il présente le second fait comme une réaction au premier et qu’il faut donc appréhender comme « l’observance ». Avant d’entamer son analyse « scientifique » du phénomène d’observance, cet auteur pose un impératif qui découle d’ailleurs d’une observation qui se veut scientifique : il y a relation de cause à effet uniquement si invariablement un même fait est toujours la cause d’un autre fait qui réalise toujours le même effet. De là, KELSEN se pose deux questions. La première le mène à s’interroger sur les critères qui doivent être pris en compte afin d’effectuer la distinction entre un énoncé linguistique qui pose un commandement et celui qui n’en pose pas ? Enfin, la seconde question qui est issue du même élan que la première, s’attache également à rechercher les critères qui permettraient de distinguer un comportement constitutif d’une observance d’un comportement qu’il ne l’ait pas ?

La finalité de ses interrogations consistait à cibler un réel rapport de cause à effet entre une énonciation linguistique (écrite ou verbale) qui exprimerait un commandement et la réaction à cette énonciation qui se matérialiserait par un comportement d’observance, c'est-à-dire une attitude conforme aux prescriptions de l’énoncé. Le terme « observance », semble-t-il doit être préféré à celui d’obéissance3 dans la mesure où il a une connotation neutre qui ne suppose pas, par conséquent, une donnée subjective tel le respect. L’analyse est expurgée de tout jugement de valeur. C’est une étude « pure4 » de la causalité spécifique à l’observance.

 

Un principe de causalité spécifique aux liens qui existent entre un commandement et son observance ne peut être extirpé de la relation existant entre deux faits s’il y a ni différenciation entre les énoncés ni différenciation entre les comportements. Hans KELSEN, dans une démonstration5, qui ne sera pas reprise ici, établit, dans un premier temps, qu’il n’y a pas de différence apparente entre une énonciation linguistique ayant force de commandement et celle qui n’a pas force de commandement dans la mesure où sur le plan anatomique, les mêmes organes sont mis en œuvre. Ce qui lui permet de relever que la différenciation entre les énonciations ne tient pas, a priori, à une donnée matérielle (physique), mais à la « signification » qui y est attachée. Ainsi, la distinction doit être effectuée entre « l’expression linguistique et la signification de l’expression ». Du concept de la signification de l’expression linguistique comme qualificatif de la tonalité de commandement d’une énonciation, Hans KELSEN déduit qu’un « processus intérieur » est indispensable aussi bien chez le destinateur que chez le destinataire (ou « adressataire », chez KELSEN) pour qu’il y ait une causalité entre l’énoncé et le comportement spécifique d’observance.

Dans le second temps de sa réflexion6, l’auteur admet que sur le plan de la forme de l’énonciation, il est possible de différencier un ordre, qui est assimilable à un énoncé ayant la signification d’un commandement, à d’autres énoncés qui n’ont que l’apparence d’un commandement ; Tel est le cas, par exemple, d’une requête ou d’une supplication. En effet, dans cette hypothèse, la différenciation s’effectue grâce à l’intensité du ton impératif de chacune de ces énonciations. Cependant, le statut « d’ordre » d’une énonciation qui a une signification de commandement n’implique pas la force obligatoire liée à la validité de cet énoncé particulier qu’est la norme juridique pour laquelle il est recherché un effet spécifique, c'est-à-dire un comportement conforme à la prescription contenue par la signification, autrement dit une observance systématique. Aussi, au sein du « processus intérieur » évoqué par l’auteur, mais au-delà de la signification de l’expression linguistique. Il faut également prendre en compte le statut du destinateur au regard du destinataire. Cela signifie que l’ordre assimilable à un énoncé ayant force de commandement peut revêtir la qualification particulière de norme juridique et peut escompter une observance systématique uniquement si son destinateur à une légitimité7 ou quelque chose d’approchant qui valide l’état escompté. De ce point de vue l’observance serait un fait purement organique dans la mesure où la signification de commandement de l’énoncé semble dépendre davantage du statut du destinateur que du contenu de l’énonciation. Ainsi, l’énonciation est perçue comme un commandement parce qu’il émane de l’entité qui gouverne et qui émet habituellement8 des commandements. Il y a inévitablement un processus intellectuel qui intervient. Ce dernier est le lien qui permet le rapport causal entre les deux faits précédemment décrits, c'est-à-dire l’énonciation et le comportement. Cette causalité qui a une manifestation physique indiscutable (action) a pour primat une sphère idéelle devant être marquée par la concordance signification - comportement. L’observance est une réaction affirmative à l’énonciation. Cependant, il peut se produire une réaction infirmative : la transgression.

Le comportement non conforme à la signification de l’expression est un fait qui ne manque pas de démontrer l’intervention d’un « processus intérieur » dans le rapport de cause à effet entre l’énonciation et le comportement. Le phénomène de transgression par son existence prouve la particularité de l’observance ; inversement, le phénomène d’observance par son existence prouve la particularité de la transgression. À eux deux, ces phénomènes consolident le principe d’un « processus intérieur » inéluctable. Cela étant, cette vision pose le rapport statut - signification – comportement dans un monde profondément idéel9 qui provoque la prise en compte d’autres données intellectuelles telle la reconnaissance10 ou encore le consentement11. Alors, il est important de procéder à un cheminement vers la sujétion qui doit être appréhendée tel l’aspect praxique12, c'est-à-dire une action en vue d’un résultat pratique, et syncrétique13 de la causalité de l’observance comme celle de la transgression, en ce qu’elle propose la structuration par un processus matériel des rapports de cause à effet évoqués précédemment.

 

Ce processus matériel est la réalisation fonctionnelle du phénomène psychologique14 que représente le « processus intérieur ». L’HOMO JURIDICUS15 fragiliserait son état s’il laissait l’effectivité16 et l’efficacité de ce dernier à l’intersubjectivité17 qui pose un aléa manifeste. Il ne peut laisser au seul phénomène psychologique la réalisation de son ordre juridique. Par conséquent, la sujétion est un point de vue purement objectif18 et opérationnel, c'est-à-dire que l’action n’est pas portée sur le processus mental qui qualifie l’observance mais sur l’effectivité de l’adéquation ou l’inadéquation du comportement à la norme juridique posée. C’est ainsi que le rapport de cause à effet spécifique à l’observance et à la transgression, doit être instrumentalisé19. Le concept fonctionnel de sujétion pose une directive de réalisation méthodique et opérationnelle de l’ordre juridique. Cela étant, il y a également une autre facette de ce phénomène psychologique notamment identifié par l’observance qu’il est nécessaire de mettre en relief et d’analyser. Il s’agit de l’observance d’un commandement que le destinateur s’adresse à lui-même ; De telle sorte qu’il est possible d’appréhender ce phénomène comme l’expression d’une sujétion réflexive (autorégulation ou autolimitation).  Ces deux facettes de la sujétion sont les éléments constitutifs de l’intégrité et de la plénitude de la justiciabilité.

 

1. Hans KELSEN, « Théorie générale des normes » ; Traduit de l’allemand par Olivier BEAUD et Fabrice MALKANI ; Léviathan – PUF. Hans KELSEN, « Théorie générale du droit et de l’état » ; traduit par Béatrice LAROCHE et Valérie FAURE ; LGDJ/BRUYLANT – La pensée juridique. Han KELSEN, « Théorie pure du droit » ; traduit par Charles EISANMANN ; DALLOZ (1962).

2. Hans KELSEN, « Théorie générale des normes » ; Traduit de l’allemand par Olivier BEAUD et Fabrice MALKANI ; Léviathan – PUF.

3. Quoique d’autres auteurs notamment Max WEBER (sociologie) n’appréhende pas cette nuance dans son œuvre : Max WEBER, « économie et société/1 ; les catégories de la sociologie » ; Agora – Pocket (PLON).

4. Han KELSEN, « Théorie pure du droit » ; traduit par Charles EISANMANN ; DALLOZ (1962).

5. Hans KELSEN, « Théorie générale du droit et de l’état » ; traduit par Béatrice LAROCHE et Valérie FAURE ; LGDJ/BRUYLANT – La pensée juridique.

6. Hans KELSEN, « Théorie générale du droit et de l’état » ; traduit par Béatrice LAROCHE et Valérie FAURE ; LGDJ/BRUYLANT – La pensée juridique.

7. Hans KELSEN, « Théorie générale du droit et de l’état » ; traduit par Béatrice LAROCHE et Valérie FAURE ; LGDJ/BRUYLANT – La pensée juridique.

8. Herbert LA HART, « Le concept de droit » ; Traduit de l’anglais par Michel VAN de KERHOVE ; Facultés universitaires Saint-Louis 2005.

9. Paul AMSELEK, « Le droit dans les esprits », p.27 in « Controverses autour de l’ontologie du droit » de Paul AMSELEK et Christophe GRZEGORCZYK ; PUF – Question (1989).

10. Hans KELSEN, « Théorie générale des normes » ; Traduit de l’allemand par Olivier BEAUD et Fabrice MALKANI ; Léviathan – PUF.

11. Idem

12. Évoqué par André-Jean ARNAUD, « Les théories structuralistes du droit », p.85 in « Controverses autour de l’ontologie du droit » dirigé par Paul AMSELEK et Christophe GRZEGORCZYK ; PUF – Questions.

13. Henry MOTULSKY, « Principes d’une réalisation méthodique du droit privé » ; Dalloz (2002).

14. Henry MOTULSKY, « Principes d’une réalisation méthodique du droit privé » ; Dalloz (2002).

15. C'est-à-dire toute entité qui a vocation à produire une norme : le Constituant, le Législateur, l’État…

16. Dominique (D’) AMBRA, Florence BENOIT-ROHMER et Constance GREWE, « Procédure (s) et effectivité des droits » ; Bruylant – Droit et Justice (2003).

17. Paul AMSELEK, « Le droit dans les esprits », p.35 in « Controverses autour de l’ontologie du droit » de Paul AMSELEK et Christophe GRZEGORCZYK ; PUF – Question (1989).

18. Hans KELSEN, « Théorie générale des normes » ; Traduit de l’allemand par Olivier BEAUD et Fabrice MALKANI ; Léviathan – PUF.

19. Paul AMSELEK, « Le droit dans les esprits », p.28 in « Controverses autour de l’ontologie du droit » de Paul AMSELEK et Christophe GRZEGORCZYK ; PUF – Question (1989).

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 23:32

 

La notion de gouvernance est indiscutablement de ces termes qui, étant fortement polysémique, sont utilisés à toutes les occasions mêmes les plus inappropriées à tel point qu’il semblerait que voulant tout dire au final ils ne veulent plus rien dire. Cependant, il y a moyen de sauver la notion de gouvernance territoriale du grand vide1 sémantique qu’elle côtoie. En effet, dans la mesure où toutes les fois qu’il en est fait usage, les situations qu’elle tend à décrire ont pour point commun de vouloir s’éloigner voire se détourner d’une mécanique de gouvernement fortement marquée par l’existence d’une hiérarchie entre les différents acteurs susceptibles d’intervenir. La gouvernance recouvre un processus d’interrelation voire d’interconnexion entre des acteurs dont l’élément de liaison est l’antinomie d’une relation de subordination ou de tutelle. L’efficacité recherchée par la notion de gouvernance tient d’une dialectique collaborative, c’est-à-dire que les acteurs souverains et égaux agissent de concert, chacun dans leurs sphères de compétence, pour la réalisation ou la sauvegarde d’un intérêt économique, social ou environnemental qui leur est commun. Donc la gouvernance est d’une essence conventionnelle car elle a pour source l’autonomie de la volonté des acteurs qui a priori s’associent librement afin de gérer en commun une affaire qui les intéresse tous. Paradigme2 étatique, la gouvernance implique toujours deux données concrètes. D’une part, il s’agit des acteurs, c’est-à-dire d’une population ou encore d’entités juridiques privées (notamment associations) ou publiques. D’autre part, la gouvernance à nécessairement une réalité spatiale qui peut être internationale, nationale ou territoriale (locale).

 

Cela étant, qu’elle peut être la consistance ou la réalité d’une notion telle que la gouvernance territoriale au sein d’une France, République indivisible, dont l’organisation territoriale est décentralisée ?

 

Le principe d’indivisibilité du territoire ne semble pas favorable à l’installation d’une mécanique de gouvernance si ce dernier doit être perçu comme un monolithe. Car dans cette configuration la coordination des actions ne peut être que hiérarchique.

 

Les principes fondamentaux d’une organisation territoriale indivisible et décentralisée

 

Historiquement, le principe de l’indivisibilité de l’organisation territoriale tenait au fait que la France a été, durablement, caractérisée par la centralisation de tous les pouvoirs administratifs sur les autorités de l'État chargées de la gestion à la fois des intérêts généraux de la nation et des affaires locales. Ce monolithe administratif, dont la transmission était assurée par les préfets (autorité administrative déconcentrée), affirmait une configuration de gestion par principe gouvernementale, c’est-à-dire hiérarchisée ou tutélaire, des acteurs locaux par une administration centralisatrice généralement (pas toujours) éloignée des réalités et pesanteurs locales.

En 1982, l’indivisibilité du territoire de la République française a évolué3 vers une version fragmentée sans pour autant donné naissance à un État fédéral. En effet, la loi de décentralisation a entamé la dilution d’une organisation centralisée au profit d’une organisation décentralisée mettant un terme à un principe de tutelle ou de gestion directe par l’État des affaires locales. Le démembrement et l’autonomisation des entités locales de gestion d’une parcelle du territoire de la République sont concrétisés notamment par le transfert du pouvoir exécutif au département et à la région qui, par ailleurs, acquiert à cette occasion le « grade » de collectivité territoriale. La décentralisation ainsi que l’efficacité portée par ce mouvement, c’est-à-dire l’autonomisation des gestionnaires politico-administratifs locaux, est consacrée4 constitutionnellement par la révision de la Constitution de 1958 par la loi constitutionnelle n°2003-276 en date du 28 mars 2003.

 

Dès lors, la décentralisation possède ses fondamentaux constitutionnels qui faut extirper tant de l’article 1 que des articles 72, 72-1, 72-2 de la Constitution de 1958. En effet, l’organisation décentralisée (art. 1 de la Constitution) de la République est composée de collectivités territoriales qui sont (art. 72 al.1 de la Constitution), sauf substitution ou fusion procédée par la loi : les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74. Ainsi, est constitutionnellement posée le fait qu’au sein d’une même parcelle du territoire indivisible de la République existe une multiplicité5 de collectivités territoriales. Concrètement, ces entités politico-administratives occupent le même coin de terre républicain. En outre, elles ont toutes vocation à prendre, en priorité et conformément à un objectif de libre administration (art. 72 al.3 et art. 72-2 al.1 de la Constitution), des décisions de proximité (art. 72 al.2 de la Constitution) dans l’ensemble de leurs sphères de compétence. Enfin, la coexistence des collectivités territoriales sur une même parcelle de terre ne peut être l’opportunité d’une mise en tutelle d’une ou plusieurs collectivités par l’une ou plusieurs autres (art. 72 al.5 de la Constitution).

 

Au regard de tous cela, il est perceptible que les principes, dorénavant, constitutionnels qui jalonnent la décentralisation, c’est-à-dire la libre administration, le principe de subsidiarité, l’interdiction de la tutelle, les blocs de compétences, le pouvoir réglementaire local, la démocratie locale ; interdisent la pratique d’un gouvernement territorial. Au contraire, ces principes imposent la réalisation d’une synergie indispensable à la cohérence de l’organisation décentralisée de l’indivisibilité de la République.

 

La gouvernance territoriale une synergie indispensable à une organisation territoriale indivisible et décentralisée

 

Les collectivités territoriales de la République s’administrent librement et ne peuvent, en principe, supporter aucune tutelle6 d’autres collectivités territoriales ou de l’État. Cela étant, la coexistence de ses autonomies locales suggère, dans un objectif de bonne administration7 de la décentralisation, de poser une synergie propre à donner à la cohabitation des collectivités territoriales sur une même parcelle de terre la cohérence indispensable à la bonne gestion des affaires locales. En effet, si de jure le législateur puis le constituant ont opté pour un cloisonnement8 des collectivités territoriales, corollaire notamment du principe de libre administration et d’interdiction de tutelle ; de facto il y a enchevêtrement9 voire doublon compte tenu du pluralisme et de l’interconnexion de la réalité territoriale. Les collectivités territoriales gèrent la même population et le même territoire, donc elles sont souvent en présence d’intérêts communs. Ainsi, de jure, sur le même projet il y a des sphères d’intervention différentes qui non coordonnées produisent une cacophonie réalisée par le gaspillage d’énergie et de ressources financières. Par conséquent, l’effort collaboratif est une exigence « […] lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales10 […] ». Cette situation de concours de compétence est en fait le principe de la gestion territoriale. Cela étant, l’article 72 al.5 de la Constitution permet au législateur de faire que l’une des collectivités ou que l’un de leurs groupements puisse organiser les modalités de leur action commune, mais cette permission constitutionnelle interdit11 au législateur de poser un chef de fil gouvernant l’action commune ; ce dernier doit être un coordinateur, un médiateur ou un mandataire.

 

Le pluralisme des collectivités territoriales et l’autonomie12 de gestion qui le caractérise posent la parcelle de terre républicaine (morceau du tout indivisible) au sein d’une diversité de volontés qui doivent s’accorder afin de pourvoir au mieux de leurs compétences respectives au développement et l’épanouissement du territoire et de la population qui en sont le support matériel. L’effort collaboratif est une efficacité tirée d’une méta-norme constitutionnelle qui procède une synergie au nom de la bonne administration de l’organisation décentralisée du territoire indivisible de la République. Cette méta-morne peut être identifiée par le concept de « gouvernance territoriale ».

La gouvernance territoriale est une méta-norme constitutionnelle car sa principale utilité est d’instituer une coopération13 entre les autonomies locales et l’État qui matérialise la cohérence14, l’effectivité et l’efficacité indispensable aux principes posés par la constitution c’est-à-dire : la libre administration, le principe de subsidiarité, l’interdiction de la tutelle, les blocs de compétences, le pouvoir réglementaire local, la démocratie locale. Par ailleurs, dans la continuité de la recherche de l’efficacité et de la cohérence (avec sa réalité géostratégique) de la gestion des affaires locales et des autonomies locales, la gouvernance territoriale (norme de synergie) est également entendue comme un vecteur de coopération transfrontalière15.

 

Sans synergie, sans effort collaboratif, la décentralisation poserait l’indivisibilité du territoire dans une précarité quasi-permanent. Cela dit en passant, cette synergie ne s’installe pas spontanément, parfois, elle doit lutter contre les clivages politiques qui gouvernent chaque collectivité territoriale. En outre, l’effort collaboratif ne doit pas occulter la nécessité de rationaliser les compétences des collectivités territoriales et, dans une certaine mesure, il faut peut-être envisager la réduction du nombre d’échelon politico-administratif. C’est en ce sens que se sont exprimés plusieurs rapports16 notamment l’expertise faite par Monsieur Balladur qui a pour beaucoup inspiré la réforme des collectivités territoriales récemment adoptée. Par ailleurs, en outre-mer, notamment en Martinique et en Guyane est, pour l’heure, en cours de conception la collectivité territoriale devant se substituer au département et à la région (art. 73 al.7 de la Constitution). Dans leurs présentations respectives, il semble que ces changements tendent à diluer l’effort collaboratif au profit d’un mode plus classique de gestion notamment portée vers une centralisation territoriale des compétences.

 

La dilution ou le renforcement de la gouvernance territoriale par l’aménagement du fonctionnement des collectivités territoriales

 

La configuration initialement posée par les articles 72, 72-1 et 72-2 de la Constitution qui semble imposer un effort collaboratif peut être aménagée autrement notamment conformément à l’article 73 al.7 ou 74 de la Constitution.

 

En effet, le premier texte en autorisant, conformément aux dispositions de l’article 72-4 de la Constitution, le législateur à créer soit une collectivité territoriale se substituant à un département et à une région soit une assemblée unique pour ces deux collectivités ; travail à une bonne administration de la décentralisation par la fusion. Autrement dit, afin d’atténuer les effets de l’impératif de libre administration et de la prohibition de la tutelle, la fusion de collectivité ou la fusion d’assemblée intègre la synergie qui devrait trouver à s’appliquer entre des entités totalement distinctes dans le fonctionnement d’une collectivité unique substituée ou d’une assemblée unique pour deux collectivités territoriales aux sphères de compétences différentes mais susceptibles d’être en concours. De ce point de vue, il est vrai que sur un territoire monodépartemental l’une ou l’autre option ne manque pas de pertinence dans la mesure où elles aménagent17 considérablement l’effort collaboratif par la réduction franche ou virtuelle d’un acteur territorial public. Du point de vue de la finalisation de l’autonomisation locale, les options précédemment décrites maintiennent le statut quo ante18 c’est-à-dire que les compétences sont constantes qu’il s’agisse d’une fusion par substitution de collectivité ou d’une fusion par l’unicité d’assemblée.

 

Le second texte (art. 74 de la Constitution) pose une collectivité territoriale dans le contenu reste à être pensé par la parcelle de territoire républicain intéressée. Cela étant, il y a une certitude. Il s’agit d’une collectivité unique qui ne se contenterait pas de se substituer à deux autres car elle a vocation à définir elle-même son degré d’autonomie via le nombre et le type de compétences que l’État accepterait de lui transférer définitivement19. Au-delà de cette donnée relative aux nouvelles compétences, au niveau de l’effort collaboratif il semble, d’une part que l’apport soit le même que les options de l’article 73 al.7 de Constitution dans la mesure où a priori il y aurait logiquement disparition de deux acteurs au profit d’un, sauf à concevoir une collectivité au sens de l’article 74 qui serait une « collectivité territoriale fédération » ce qui ne semble pas pertinent sur un territoire monodépartemental, mais qui participerait à l’institution d’une synergie de type fédérale voir confédérale. D’autre part, dans la mesure où cette collectivité au sens de l’article 74 suppute une réévaluation à la hausse des compétences et donc de l’autonomisation ; il est plausible de penser que l’effort collaboratif (la gouvernance territoriale) soit d’un niveau différent tant vis-à-vis des communes que vis-à-vis de l’État qui auront à faire à une collectivité semi-étatique ou quasi-étatique selon le degré de compétences transmises et sans que soit dénaturé le caractère indivisible et décentralisée de la République.

 

Enfin, au regard de la récente20 création des conseillers territoriaux qui auront à siéger tant au sein du conseil général qu’au sein du conseil régional ; là, il s’agit d’une fusion par unicité21 des représentants22. Les hommes sources de l’initiative politico-administrative étant les mêmes au sein de l’assemblée délibérante de chaque collectivité territoriale, la synergie23 est inhérente à l’unicité des représentants, sauf schizophrénie de ces derniers.

 

Ainsi, pour l’heure, compte tenu des principes constitutionnels qui gouvernent la décentralisation et malgré les modifications à venir, la gouvernance territoriale parce qu’elle constitue un effort collaboratif indispensable à la bonne administration de la décentralisation semble être une efficacité qui a de beaux jours devant-elle et dont le législateur ou le constituant devraient voir à institutionnaliser davantage afin de ne pas la laisser aux aléas électoraux ou ne pas la soumettre à la mésintelligence d’acteurs incapables de faire abstraction de leurs différents au profit des intérêts qu’ils doivent nécessairement avoir en commun, c’est-à-dire le développement et l’épanouissement d’un territoire et d’une population parcelle de l’indivisibilité d’une République ayant une organisation décentralisée.

 

 

 

 

 


1. Gérard MARCOU, « La gouvernance : innovation conceptuelle ou artifice de présentation ? » p.5-18 ; Annuaire des collectivités locales (Tome 26).

2. Jacques CHEVALLIER, « La gouvernance, un nouveau paradigme étatique ? » p.203-217 ; Revue française d’administration publique (2003/1-2), n°105-106.

3. Mouvement amorcé dès 1955 lorsqu’avait été créé « 21 régions de programme ». Ces dernières sont remplacées en 1960 par des « circonscriptions d’action régionale » (CAR). Puis un décret en date du 14 mars 1964 crée des préfets de région, chargés de mettre en œuvre la politique du Gouvernement concernant le développement économique et l’aménagement du territoire de sa circonscription. La loi du 5 juillet 1972 met en place les 22 régions. Ce sont des établissements publics pourvus de deux assemblées : le conseil régional non élu et un comité économique et social. Le préfet de région détient le pouvoir exécutif (source : http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/institutions/collectivites-territoriales/definition/quand-sont-apparues-differentes-collectivites-territoriales.html).

4. Voir également Charte européenne de l’autonomie locale adoptée à Strasbourg le 15 octobre 1985, signé le même jour par la France. Ratification par la loi n°2006-823 du 10 juillet 2006.

5. Il ne faut pas oublier l’intercommunalité, qui semble être évoquée par l’article 72 al.5 de la Constitution, et les pays qui constituent une fraction du territoire reconnus par l’état comme présentant une cohésion géographique, culturelle, économique et sociale (Lexique des termes juridique – Dalloz).

6. Possible substitution par le Préfet en cas de graves difficultés budgétaire d’une collectivité territoriale : Conseil constitutionnel décision n°82-149 DC en date du 28 décembre 1982. Conseil constitutionnel décision n°2001-452 DC en date du 6 décembre 2001. Conseil constitutionnel décision n°2007-556 DC en date du 16 août 2007. Conseil constitutionnel décision n°87-241 DC en date du 19 janv. 1988. Conseil constitutionnel décision n°2007-559 DC en date du 6 décembre 2007.

7. Ou encore un bon pilotage de la décentralisation par l’État.

8. Chaque collectivité territoriale son bloc de compétence de gestion du territoire qui en est son support matériel.

9. Articles L.4221-1 (Région), L.3211-1 (Département) et L.2121-29 (Commune) du Code Général des Collectivités Territoriales.

10. Article 72 al.5 de la Constitution.

11. Conseil constitutionnel décision n°2008-567 DC, 24 juillet 2008, Journal officiel du 29 juillet 2008, p. 12151, texte n°2, cons. 33, Rec. p. 341. Conseil constitutionnel décision n°2001-454 DC en date du 17 janv. 2002.

12. Libre administration, interdiction de tutelle et bloc de compétence avec compétence générale au sein de chaque bloc de compétence.

13. Article L.1111-1 à L1111-4 du Code Général des Collectivités Territoriales.

14. Conseil constitutionnel décision n°83-160 DC en date du 19 juillet 1983 (considérants n°3 à 5) : évoque la nécessité d’une coopération entres les collectivités territoriales, mais également entre ces dernières et l’État.

15. Conseil constitutionnel décision n°94-358 DC en date du 26 janvier 1995 (considérants n°52 et 53). Article L.1115-1 à L.1115-7 du Code Général des Collectivités Territoriales.

16. Rapport Piron, rapport Warsman.

17. Réduction des financements croisés.

18. Avec la lourde procédure des habilitations législatives et réglementaires à négocier avec un État historiquement centralisateur et unitaire.

19. Plus besoin d’habilitation ponctuelle.

20. Loi n°2010-1563 en date du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales.

21. Conseil constitutionnel décision n°2010-618 DC en date du 9 décembre 2010, considérants n°20 à 24 : le conseiller territorial ne porte pas atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales.

22. Reste à voir si la fusion par unicité d’assemblée n’impose pas de fait la fusion par unicité de représentants. À la lecture de la décision n°2010-618 DC considérants n°29 et 30 : l’unicité de représentants n’est pas assimilable à l’unicité d’assemblée au point où l’article 72-4 de la Constitution n’a pas à être appliqué.

23. L’article L.1111-9 du Code Général des Collectivités Territoriales, illustre cette exigence.

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 23:23

 

La notion de « contractualisation du procès·» ou encore de  « contractualisation de la justice1 » à fait l’objet de nombreux articles visant à en expliquer le contenu. De ces écrits il est aisé de déduire que la contractualisation du procès n’implique pas nécessairement l’usage de Modes Alternatifs de Règlement de Litiges (MARL) en revanche les modes de règlement amiable sont indissociables d’une logique contractuelle2 et ont pour finalité escomptée d’avoir l’effet judiciaire d’un jugement. La « contractualisation de la justice » est un terme générique qui décrit en quelques mots les clauses3 touchant à l’action en justice, celles relatives à l’instance, les protocoles d’accord ou encore les transactions et enfin les MARL. Pour certains c’est aussi une issue aux problèmes d’encombrement des juridictions car la contractualisation du procès  est la rencontre d’une commune volonté des parties en vue de trouver une solution à leur différend.

 

Dans le rapport4 dirigé par Jean-Claude Magendie et remis en 2004, la solution proposée sous l’intitulé « La contractualisation du procès civil5 » est construite sur deux axes les clauses attributives de compétence territoriale et l’amiable composition. Ces axes de réflexion n’ont rien à avoir avec des MARL. Le premier est une convention dans laquelle les parties s’accordent sur la juridiction qui sera territorialement compétente lorsque naîtra un litige (art. 48 NCPC). Le second axe est une faculté octroyée aux parties, celles-ci peuvent demander au juge de juger en équité (art. 12 in fine du NCPC). Le rapport6 Magendie proposait l’élargissement de la validité des clauses attributives de compétence7 et la réécriture de l’article 12, alinéa 4 du NCPC8. Malgré leurs pertinences, les réformes récentes9 de la procédure civile ne tiennent pas compte de ces propositions. Cependant le Législateur et le Juge posent les jalons de l’épanouissement d’une justice de proximité. Loin de la juridiction de proximité créée par la loi du 9 septembre 2002 (modifiée par une loi du 21 janvier 2005, complétée par deux lois10 de mars 2010) pour « débarrasser » les juges des « petits litiges » ; L’idée de contractualisation du procès est inhérente au concept d’une justice proche du justiciable car le litige reste la propriété des parties et ça résolution naît de « l’imaginaire » de celles-ci.

 

Le Législateur a produit des textes relatifs à l’arbitrage, la conciliation, la transaction, la procédure d’homologation11 et la médiation judiciaire12. Le juge dans sa lecture du droit a précisé les contours et la validité de certaines clauses13. Les justiciables français ont à leurs dispositions plusieurs outils afin de résoudre hors toutes juridictions étatiques les litiges nés ou à naître. La médiation semble attirée vers elle beaucoup de praticiens au point où ce Mode Alternatif de Règlement de Litiges se professionnalise14. Mais dans un paysage où les modes de règlements amiables sont si nombreux, qu’est-ce qui fait la différence ?

 

Malgré une efficacité démontrée, il est compréhensible que le justiciable « moyen » préfère la médiation à l’arbitrage car ce dernier est très coûteux, parfois plus que la voie judiciaire classique. De plus l’arbitrage n’est pas approprié à la résolution de « petits litiges », son domaine de prédilection est le commerce et ses « usagés » sont généralement des professionnels ou des sociétés comerciales. En outre il ne serait pas incorrect de considérer l’arbitrage comme une voie « parallèle » plutôt qu’une voie « alternative ». Car l’arbitrage est une véritable instance15, la loi et la pratique en ont fait une institution au détriment de son caractère contractuel. Les sentences16 arbitrales n’ont pas qu’une allure de jugement. Ainsi vu de l’extérieur et il en est probablement de même vu de l’intérieur, l’arbitrage ressemble17 beaucoup au monolithe des institutions judiciaires au point où c’est la voie classique qui dans cette situation devient une alternative.

Lorsqu’un justiciable envisage18 une alternative aux voies classiques, il s’y engage en spéculant sur l’accessibilité (coût), la rapidité et l’efficacité (satisfaction). Alors si le choix du mode alternatif est motivé uniquement par les questions de célérité et du rapport coût de la procédure ; pourquoi ne pas préféré la conciliation à la médiation ? Le conciliateur de justice est un bénévole contrairement à beaucoup de médiateurs.

 

La médiation est un contrat qui organise un processus de règlement amiable d’un litige à naître ou né. Les règles qui régissent cette situation sont celles de l’expression de l’autonomie des volontés des parties dans la limite du respect de l’ordre public. Mais concrètement quelle est la portée juridique de la médiation ? Quelle est l’efficacité juridique ou judiciaire de l’accord qui en découle ?

La médiation doit être observée d’un point de vu contractuel à savoir au regard des principes directeurs des contrats, de ces modes de formation, d’existence et de validité pour en déduire si ce MARL peut tirer toute son efficacité de la seule logique contractuelle. D’un point de vue procédural et processuel, ce contrat offre t-il les mêmes garanties qu’un procès et le protocole d’accord, qu’il soit homologué19 ou non, offrira t-il des garanties similaires à un jugement comme c’est le cas pour une sentence arbitrale ? il semble que c’est le cas ; en outre il est moins sujet aux difficultés d’exécution que rencontre beaucoup de décisions de justice.

 

 


 

 

1. Loïc Cadiet, « Découvrir la justice », Dalloz, 1997, p. 65

2. Michèle Guillaume-Hofnung, « La médiation », que sais-je ? n°2930. Martine Bourry d’Antain, Gérard Pluyette, Stephen Bensimon, « Art et techniques de la médiation », Pratique professionnelle, Litec

3. Loïc Cadiet, « Les clauses contractuelles relatives à l’action en justice », sous la direction de J. MESTRE, les principales clauses des contrats conclus entre professionnels, PUAM, 1990, p. 193-223.

4. Rapport Magendie, « Célérité et qualité de la justice » 2004, http://www.justice.gouv.fr

6. Le rapport Guinchard est, sur ce point, plus (mieux) inspiré.

7. Rapport Magendie, « Célérité et qualité de la justice » 2004, p. 86

8. Rapport Magendie, « Célérité et qualité de la justice » 2004, p. 87

9. Décret du 20 août 2004 et Décret du 28 décembre 2005.

10. Loi n°2010-242 du 10 mars 2010 tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale ; Loi n°2010-201 du 2 mars 2010 renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d'une mission de service public.

 

11. Décret du 28 décembre 1998 crée l’article 1441-4 du NCPC

12. Décret du 22 juillet 1996 crée un titre VI bis « La médiation »

13. Décision de la Cour de cassation du 14 février et du 17 juin 2003 concernant les clauses de conciliation. Décision de la Cour de cassation du 8 avril 2009 (pourvoi n°08-10.866) relatif à une clause de médiation.

14. Jean-Pierre Bonafé-Schmitt, « Les médiateurs : vers une professionnalisation ? » dans, les modes alternatifs de règlements des litiges : les voies nouvelles d’une autre justice, p. 205

15. Voir Titre II du livre quatrième du NCPC, art ; 1460 à 1468 du NCPC

16. Art. 1469 à 1491 du NCPC

17. L’arbitrage assure une confidentialité que les juridictions classiques ne peuvent pas toujours garantir. De grands litiges commerciaux sont réglés par la voie de l’arbitrage (interne ou international) ou sont délocalisés (clause attributive de compétence).

18. Il faut insérer cette démarche dans une logique consumériste, les MARL sont plus sensible à cette logique que les voies classiques.

19. Jean-Baptiste Racine, « Les incertitudes de la transaction dite homologuée », p. 151 dans Les modes alternatifs de règlement des litiges : les voies nouvelles d’une autre justice, la documentation française

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