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Profil

  • Laurent T. MONTET
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane
Docteur en droit privé.
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane Docteur en droit privé.

Thèse : "Le dualisme des ordres juridictionnels"

Thèse soutenue le 27 novembre 2014 en salle du conseil  de la faculté de droit de l'Université de Toulon

Composition du jury:

Le président

Yves STRICKLER (Professeur d'université à Nice),

Les rapporteurs: 

Mme Dominique D'Ambra (Professeur d'université à Strasbourg) et M. Frédéric Rouvière (Professeur d'université à Aix-en-Provence),

Membre du jury:

Mme Maryse Baudrez (Professeur d'université à Toulon),

Directrice de thèse :

Mme Mélina Douchy (Professeur d 'Université à Toulon).

laurent.montet@yahoo.fr


21 juin 2023 3 21 /06 /juin /2023 21:52

À l’instar du droit de propriété prescrit au Code civil (art. 544 à 577 du Code civil), le droit de la propriété intellectuelle accorde à son titulaire, moyennant le paiement de redevances, « le droit de jouir et de disposer de la manière la plus absolue » (art. 544 du Code civil) du résultat de son effort créatif qu’il s’agisse d’une création artistique ou littéraire (art. L112-1 et L112-2 du Code de la propriété intellectuelle [Cpi]) ou encore d’une création industrielle (Les dessins et modèles [Art. L511-1 à L522-2 du Cpi], Brevet d’invention [Art. L611-1 à L615-22 du Cpi], Protection des connaissances techniques [Art. L621-1 à L623-44 du Cpi], Marques [Art. L711-1 à L731-4 du Cpi]).

 

Ainsi, le droit de la propriété intellectuelle, composée tant de la propriété artistique et littéraire que de la propriété industrielle, pose l’ensemble des dispositifs qui définissent les modalités d’acquisition, de protection, de gestion, de transmission et de prescription de la « propriété immatérielle » sur le résultat du processus créatif. Par conséquent, dans chacune de ses branches, le droit de la propriété intellectuelle s’intéresse principalement à la concrétisation de l’idée en création intellectuelle ou industrielle. C’est à cette dernière, c’est-à-dire la concrétisation de l’idée, qu’est accordée une protection juridique dont le fait générateur est soit la création de l’œuvre (art. L111-1 al.1 du Cpi : « L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. » ; art. L111-2 du Cpi : « L'œuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l'auteur. ») soit le dépôt de la demande de titre ou d’enregistrement (Les dessins et modèles [art. L511-10 du Cpi] ; Brevet d’invention [art. L611-6 du Cpi] ; Protection des connaissances techniques [art. L622-1 et L623-6 du Cpi] ; Marques [art. L712-1 du Cpi]).

 

C’est donc au regard du régime juridique de la protection de la création intellectuelle ou industrielle que le dispositif dénommé « enveloppe SOLEAU » prend tout son intérêt pratique. En effet, l’idée est une représentation intellectuelle plus ou moins abstraite d’objets, de processus ou de personnes qui existent ou pas ; elle est le préalable à la créativité support de l’originalité et/ou de l’innovation. Au-delà de la perspective conceptuelle, l’idée dont il s’agit ici, est surtout celle qui est susceptible d’avoir une rentabilité économique dans les marchés Artistiques et/ou Industriels. Dans ce contexte mercantile, la concurrence quant à la paternité (ou maternité) ou au moins, quant à l’antériorité de la possession de la création constitue un enjeu stratégique non négligeable lorsque pour exciper un usage et un bénéficie économiques exclusifs du bien immatériel, il peut s’avérer nécessaire pour l’intéressé de pouvoir prouver la date de la création et l’intégrité de son contenu à ladite date. Pour y parvenir, dans la mesure où la preuve est libre (art. 1358 du Code civil : « Hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen. »), plusieurs types d’astuces sont envisageables telles que la sollicitation d’un commissaire de justice (ex-huissier depuis le 1er juillet 2022 ; Décret n° 2022-729 du 28 avril 2022 relatif à « l'organisation de la profession de commissaires de justice »), dépôt chez un notaire, l’envoi à soi-même d’un courrier recommandé avec accusé de réception, le dépôt à la Société des Gens de Lettres (sgdl.org), le dépôt en ligne auprès de sites privés (tels que E-auteur, E-coffrefort, Mapreuve.com, Copyrightfrance, Datasure…), l’usage de systèmes de « blockchain » (Rapport de la mission sur les usages des chaînes de blocs et autres technologies de certification de registres, Assemblée nationale le 12 décembre 2018 [n°1501]; Mme Laure De la RAUDIERE et M. Jean-Michel Mis, députés) ou encore, « l’astuce » initiée au début du XXème siècle par Eugène François Alexandre SOLEAU (1853-1929, ingénieurs français).

 

 

  1. Moyen de datation de la création

 

Publié au Journal Officiel de la République Française (JORF) en date du 6 juin 1986 (page n°7079), l’arrêté du 9 mai 1986 fixant « les modalités pratiques de recours aux moyens de preuve de la date de certaines créations » prescrit dans ses articles 3 à 6, le processus de constitution de preuve de la date de la création par l’utilisation d’un système d’enveloppe à deux compartiments. Le décret n°2023-166 du 7 mars 2023 et l’arrêté du 24 mars 2023 consacrent les modalités d’insertion du dispositif « enveloppe SOLEAU » dans l’air de la dématérialisation.

 

  1. L’enveloppe SOLEAU papier

 

Sous l’empire de l’arrêté du 9 mai 1986, le déposant devait commander auprès de L’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle) l’enveloppe ad hoc. Puis, conformément à l’article 3 de l’arrêté du 9 mai 1986, placer dans chacun des deux compartiments un contenu identique (maximum de 7 feuilles A4) afin de garantir l’efficience du système de date certaine de création.

 

Cependant, pour ne pas gêner l’enregistrement de l’enveloppe par l’INPI, il ne fallait pas y insérer des éléments « durs » tels que des métaux, du plastique, CD… (art. 3 in fine de l’arrêté précité) susceptibles d’empêcher l’incrustation du numéro par un système de perforation (art. 4 al. 1 de l’arrêté du 9 mai 1986) mais également au risque pour le support « dur » d’être rendu inutilisable ou détérioré du fait du caractère agressif de la technique de marquage par perforation. À l’issue du référencement de l’enveloppe, l’un des compartiments est conservé par l’INPI et l’autre est retourné au déposant sous pli recommandé (art. 4 al. 2 de l’arrêté du 9 mai 1986).

 

Dépositaire d’un exemplaire identique à celui retourné au déposant, l’INPI en garantie la conservation pour une durée de cinq ans reconductibles une fois (art. 5 al. 1 et 2 de l’arrêté du 9 mai 1986). Dès lors, bénéficiant ainsi du « sceau » de l’INPI, notamment via le système de perforation et d’exemplaires jumeaux, le déposant pouvait compter sur la comparaison des enveloppes pour attestation tant de la date que, le cas échéant, de l’antériorité du contenu. Ainsi, sous réserve des contraintes relatives à la matière du support (métaux, plastique, CD… [art. 3 in fine de l’arrêté précité]), le dispositif pouvait servir pour la datation de tous types de réalisations ou de projets protégeables ou pas via la propriété industrielle (invention, concept, recette, méthode, création artistique, simple idée…).

 

En tout état de cause, en cas de contentieux, le président du tribunal saisi pouvait recueillir auprès de l’INPI la production de l’exemplaire qu’il conservait (art. 6 al. 1 de l’arrêté du 9 mai 1986). Dans la mesure où l’exemplaire n’était plus réintégré (art. 6 al. 2 de l’arrêté du 9 mai 1986) dans les archives de l’INPI à la suite de cette sollicitation, il pouvait être opportun que soit réalisé un constat de l’ouverture de l’exemplaire INPI.

 

Avec les limites du support papier et au regard de l’application du déposant dans la transcription et/ou description de son idée (originale ou pas), de son projet (innovant ou pas) … le dispositif « Enveloppe SOLEAU » permettait toujours, a minima, de garantir une date certaine à son utilisateur. Cependant, cela ne suffisait pas toujours à permettre au déposant à avoir gain de cause dans une question de paternité mais l’efficacité de la méthode pour la datation certaine restait fiable.

L’enveloppe « SOLEAU » ne constitue pas un titre de propriété intellectuel. Tout son intérêt utilitaire repose sur le fait que ce dispositif permet aux intéressés de se constituer une preuve tant de la date certaine d’un événement (création d’une œuvre intellectuelle ou industrielle, naissance d’une idée, construction d’un concept…) que de l’intégrité du contenu bénéficiaire du procédé à ladite date.

Dès lors, outre le fait de pouvoir être l’un des outils de la stratégie de préservation du secret d’un projet ou d’une idée, peut être une arme redoutable, une enveloppe « SOLEAU » dont le contenu est configuré en considération des critères d’éligibilité à la protection juridique dont le fait générateur est soit la création de l’œuvre (art. L111-1 al.1 et L111-2 du Cpi) soit le dépôt de la demande de titre ou d’enregistrement (Les dessins et modèles [art. L511-10 du Cpi] ; Brevet d’invention [art. L611-6 du Cpi] ; Protection des connaissances techniques [art. L622-1 et L623-6 du Cpi] ; Marques [art. L712-1 du Cpi]). À ce titre, la consécration de la dématérialisation de ce service est une très bonne nouvelle.

 

  1. L’enveloppe SOLEAU électronique

 

Par une décision n°2016-273, en date du 13 décembre 2016, relative « aux modalités de dépôt, de prorogation et de restitution d’enveloppes Soleau électroniques », le directeur général délégué de l’INPI (M. Jean-Marc LE PARCO) pose le cadre du service dématérialisé du dispositif « Enveloppe SOLEAU ». Ainsi, à compter du 15 décembre 2016 (art. 15 de la décision n°2016-273) dans l’espace « E-Procédures » du site internet de l’INPI (https://www.inpi.fr/), via le service « e-Soleau », il est possible de déposer des enveloppes « Soleau » électroniques.

Dès lors, depuis le 15 décembre 2016, l’enveloppe SOLEAU électronique coexiste avec l’enveloppe « Soleau » papier. C’est à ce titre que le décret n°2023-166 du 7 mars 2023 et l’arrêté du 24 mars 2023 sont autant une consécration de l’insertion du dispositif « enveloppe SOLEAU » dans l’air de la dématérialisation qu’une ponctuation de l’effectivité de la version papier dudit dispositif. En effet, le décret n°2023-166 du 7 mars 2023 et l’arrêté du 24 mars 2023 sont un requiem pour l’enveloppe SOLEAU à « l’ancienne ». À compter du 1er avril 2023, il ne sera plus possible de commander d’enveloppe « SOLEAU » papier ; l’enveloppe « SOLEAU » électronique sera le seul service disponible en la matière proposé par l’INPI. Toutefois, une période transitoire est prescrite (art. 3 de l’arrêté du 24 mars 2023 et art. 7 du décret n°2023-166). Les enveloppes doubles mise à disposition par l’INPI avant le 1er avril 2023 peuvent encore être déposée au plus tard le 1er avril 2024. Abrogée depuis le 1er avril 2023, les dispositions de l’arrêté du 9 mai 1986 continuent leurs effets uniquement dans le cas précédemment exposé. L’enveloppe « SOLEAU » papier, c’est donc presque terminé, le temps d’un sursis transitoire d’apurement. Désormais, avec six années d’ancienneté, l’enveloppe « SOLEAU » électronique prend le relais en solo.

 

Ainsi, le décret n°2023-166 du 7 mars 2023 et l’arrêté du 24 mars 2023 sont l’opportunités de procéder à un toilettage de la décision n°2016-273, en date du 13 décembre 2016, relative « aux modalités de dépôt, de prorogation et de restitution d’enveloppes Soleau électroniques ». En effet, par une décision n°2023-46, en date du 20 mars 2023, relative « aux modalités de dépôt, de prorogation et de restitution d’enveloppes destinées à faciliter la preuve du contenu et la datation certaine des demandes annexes à la propriété industrielle », le directeur général de l’INPI (M. Pascal FAURE) procède à quelques « petits » ajustement du cadre initialement posé par la décision n°2016-273. Bien que ces ajustements n’impliquaient pas la nécessité d’une abrogation de la décision n°2016-273 (l’art. 15 de la décision n°2023-46), ce choix a le mérite de sauvegarder la clarté du mode d’emploi (décision n°2016-273 puis, à compter du 1er avril 2023, décision n°2023-46) du « Soleau électronique » (e-Soleau).

 

Depuis sa mise en place, à compter du 15 décembre 2016, ce « e-service » est soumis à l’acceptation, par le déposant (le cas échant l’un des co-déposants) ou son mandataire (art. 2 de la décision 2023-46), des conditions générales d’utilisation de la plateforme « E-procédures » (art. 1 de la décision n°2023-46). Parmi ses conditions générales d’utilisation (https://procedures.inpi.fr/), il y a des exigences techniques tenant tant à la responsabilisation du déposant quant aux informations et fichiers qu’il communique (art. 4 et 5 al. 3 et 7 de la décision n°2023-46) qu’au fait que le matériel informatique utilisé par le déposant doit avoir la capacité de recevoir certains types de fichiers « témoins » (art. 3 de la décision n°2023-46) nécessaires à son identification et à la sécurisation de la démarche électronique.

 

Au-delà des questions de conformités aux spécifications techniques (art. 5 al. 4 à 6 de la décision n°2016-273), le « e-Soleau » permet au déposant (ou utilisateur) de charger, en plusieurs fois par tranche de 100 Mo (15 € les premier 10 Mo puis 10 € par tranche de 10 Mo supplémentaires [art. 14 de la décision n°2023-46), un maximum de 300 Mo (art. 5 al. 2 de la décision n°2023-46). Il peut s’agir de tous types de format de fichier (TXT, Word, PDF, formats audio, formats vidéo, formats image). À ce titre, ce support donne au déposant de nombreuses possibilités techniques de transcription et de description du contenu pour lequel il souhaite s’aménager une datation certaine. Dès lors, plus le travail de description est détaillé ainsi que la transcription précise, et plus il est renforcé utilité probante du dispositif « SOLEAU ». En effet, le bémol utilitaire de l’enveloppe « SOLEAU » papier était tributaire du niveau de précision tant de la transcription ou/et de la description du contenu bénéficiaire du procédé de datation. Il faut garder à l’esprit que les moyens de transcription et/ou de description étaient eux-mêmes contraints par la réalité du support papier et la contre-indication de l’utilisation de certains matériaux (métaux, plastique, CD… [art. 3 in fine de l’arrêté précité]).

Bémol technique de l’enveloppe « SOLEAU » électronique, après vérification de l’intégrité des fichiers, l’INPI s’octroie le droit de refuser les éléments non-conformes notamment parce qu’ils sont infectés par un virus ou corrompus de quelque manière que ce soit. En tout état de cause, il est indiscutable que le support électronique du « dispositif SOLEAU » est plus aisément adaptable à l’effort créatif, à la consistance de l’idée du déposant que le support papier. D’ailleurs, à l’issue de la confirmation du dépôt, le déposant dispose d’un code qui lui permet d’obtenir gratuitement, dans la limite de 3 demandes par période de 5 ans (10 € à partir de la 4ème demande de restitution ; art. 14 de la décision n°2023-46), la restitution de son e-Soleau (art. 6, 12 et 13 de la décision n°203-46). Pour rappel, l’art. 6 de l’arrêté du 9 mai 1986 limitait la restitution à une demande et l’exemplaire n’était pas réintégré aux archives de l’INPI.

 

  1. Moyen de facilitation de la preuve du contenu de la création

 

À l’instar de l’enveloppe « SOLEAU » papier, l’enveloppe « SOLEAU » électronique ne constitue pas un titre de propriété intellectuelle. Cependant, ce dispositif à une utilité différenciée selon que la création tombe sous le régime de la propriété littéraire et artistique (art. L111-1 à L343-7 et R111-1 à R343-2 du Code de la propriété intellectuelle) ou sous le régime de la propriété industrielle (art. L411-1 à L731-4 et R511-1 à R722-7 du Code de la propriété intellectuelle [Cpi]). En effet, pour les créations littéraires et artistiques il n’existe pas de formalité administrative d’enregistrement ou de dépôt auprès de l’INPI afin d’obtenir un titre de propriété immatérielle. Alors que pour les créations industrielles, la Loi prescrit différentes sortes de processus d’enregistrement ou de dépôt afin d’attribuer une protection attitrée au premier déposant notamment en matière de brevet (art. L611-6 Cpi).

 

 

  1. La preuve de la création artistique ou littéraire par le « e-Soleau »

 

Les art. L111-1 al. 1 et L111-2 du Code de la propriété intellectuelle prescrivent que « L'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. » ; en outre, « L'œuvre est réputée créée, indépendamment de toute divulgation publique, du seul fait de la réalisation, même inachevée, de la conception de l'auteur. ». À ce titre, il existe une présomption de titularité au profit du créateur « d’une œuvre de l’esprit » qui doit être suffisamment consistante pour être perceptible par quelqu’un d’autre que le créateur sans pour autant avoir été divulguée au public.  Cependant, conformément à l’article L113-1 du Cpi, « La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée. ».

 

Dès lors, pour les créations littéraires ou artistiques (art. L111-2 du Cpi : œuvres littéraires, œuvres cinématographiques, œuvres musicales, œuvres graphiques, logiciels…), la Loi considère qu’il y a un lien de propriété immatériel naturel (ou spontané) entre le créateur et l’œuvre intellectuelle peu importe l’état d’achèvement ou la consistance de son achèvement dès lors quel est perceptible par d’autre. Ainsi, l’œuvre de l’esprit qui bénéficie de la présomption est celle qui est extériorisée sans pour autant avoir été rendue publique. Bémol, cette dernière présomption peut être concurrencée ou mise à mal par la présomption posée par l’art. L113-1 du Cpi. En effet, celui qui accompli « […] des actes de possession de nature à faire présumer, à l’égard des tiers, […] » (Michel VIVANT, « Les grands arrêts de la propriété intellectuelle », Dalloz – 3ème édition, p.290) qu’il est titulaire de la création, est considéré comme tel s’il n’y a aucune contestation de cet état. Concrètement, cela revient à dire qu’en fait d’œuvre de l’esprit, possession vaut titre en l’absence de toute revendication.

 

Dans ce contexte juridique, au sein duquel il faut comprendre que « le créateur est le titulaire de l’œuvre parce qu’il en est le créateur, sauf si le créateur la divulgue et qu’aucun tiers créateur ne s’en émeut » (tautologie), l’utilité probante du « dispositif SOLEAU » est manifeste car elle s’exprime par la preuve du « lien concret » (ou perceptible) entre le créateur et l’œuvre. En effet, par la « datation SOLEAU », le déposant est en situation de de prouver, le cas échéant, tant l’antériorité de son effort créatif que la date de cet événement ; mais il peut également prouver la consistance de l’œuvre. C’est à ce titre que, même si l’œuvre concernée n’est qu’une ébauche, il est opportun d’y caractériser son originalité portée par l’effort créatif fournit au regard du contexte littéraire ou artistique de l’œuvre concernée. En effet, quel que soit la qualité de l’œuvre, cette dernière doit être originale. Il n’y a pas création lorsque l’intéressé n’apporte rien de personnel rien qui n’ai déjà été fait (Stéphanie Le CAM, « à défaut d’apports personnels, un livre d’histoire échappe à la protection du droit d’auteur », Dalloz Actualité, 25 mai 2023). Le « e-Soleau » prend une autre perspective avec sa capacité maximale de 300 Mo, l’acceptation de tous supports numériques et surtout grâce au processus d’empreinte informatique calculée pour chacune des pièces déposées ainsi que sur le récépissé (scellé électroniquement et horodaté). L’utilisation de la technologie du blockchain SHA-256 (art. 10 al. 2 et 3 de la décision n°2023-46) octroie au déposant une certification inviolable.

 

Le « e-Soleau » n’est toujours pas un titre de propriété intellectuel. La protection légale des droits du créateur sur ses « œuvres de l’esprit » est toujours une prérogative accordée sans formalité. Dès lors, l’archivage (scellé électroniquement et horodaté) du dépôt « e-Soleau » via la technologie « blockchain SHA-256 » est une certification, qui combinée à la présomption des articles L111-1 al. 1 et L111-2 du Cpi, pourrait être perçu (de facto) comme équipollente (nomen, tractatus, fama) à un titre. Avec l’avènement de l’e-service et l’utilisation de la technologie « blockchain », s’inspirant du dispositif « e-Soleau », peut-être ne serait-il pas inopportun d’expérimenter, au niveau de l’INPI par l’impulsion de sa direction générale, la mise en place d’une formalité d’obtention d’une certification « de présomption de propriété artistique et littéraire ». Dans le « e-service Soleau », cela pourrait se matérialiser (a minima) par une case à cocher dans le déroulé des démarches préalables au dépôt des fichiers. Bémol, il faudrait pouvoir établir des critères d’objectivation de la qualification de l’originalité d’une œuvre de l’esprit ou laisser ce point essentiel sous la responsabilité du demandeur du certificat.

 

En matière de création industrielle, la protection légale est tributaire de la réalisation d’une demande d’un titre (Les dessins et modèles [art. L511-10 du Cpi] ; Brevet d’invention [art. L611-6 du Cpi] ; Protection des connaissances techniques [art. L622-1 et L623-6 du Cpi] ; Marques [art. L712-1 du Cpi]).

 

  1. La preuve de l’antériorité de la création industrielle par le « e-Soleau »

 

Qu’il s’agisse du format « papier » ou du format « électronique », l’enveloppe « SOLEAU » n’est pas un titre de propriété industrielle. À ce titre, l’utilité du dispositif n’a pas la même intensité en matière de création industrielle que celle qu’elle détient en matière de création intellectuelle. En matière de propriété industrielle, la Loi impose la réalisation de formalités d’enregistrement ou de dépôt pour l’obtention d’un titre attribuant une exclusivité d’exploitation. À ce titre, en tout cas c’est le postulat en droit français, c’est le premier déposant (art. L611-6 du Cpi pour les brevets ; art. L623-1 du Cpi pour les obtentions végétales ; art. L511-2 du Cpi pour les dessins ou modèles ; art. L712-1 pour les marques) qui bénéficiera de la protection légale.  Dès lors, il n’existe pas à proprement dit de concurrence entre le dispositif « SOLEAU » et les titres de propriété industrielle.

Du point de vue de la stratégie de gestion du patrimoine immatériel d’une personne (physique ou morale), il peut être opportun d’utiliser l’enveloppe « SOLEAU » comme étape préliminaire au dépôt d’une demande de brevet (par exemple) ou d’un certificat d’utilité (art. L611-2.2° du Cpi). En effet, l’enveloppe « SOLEAU » est un outil utilisable comme moyen de préservation d’un secret, le temps d’entamer des demandes de titre qui sont plus exigeantes en rigueur de complétude du dossier. Bémol, il faut gardez à l’esprit que dans l’instruction du certificat d’utilité, il n’y a pas de recherche d’antériorité par conséquent, plane le risque du contentieux en contrefaçon à l’encontre du détenteur du certificat par le titulaire d’un brevet.

 

En outre, si l’enveloppe « SOLEAU » est un moyen de datation certaine et de preuve du contenu, il ne s’agit pas d’un dispositif qui garantit le déposant contre toute action en contrefaçon, le cas échéant. Le dispositif « SOLEAU » n’est pas caractérisé par la mise en œuvre d’une instruction ou d’un examen du contenu déposé. Le « e-Soleau » est un mécanisme de réception d’un dépôt en contrepartie d’un scellement de ce dernier et d’un horodatage. Il n'y a pas de recherche d’antériorité associée au service. En revanche, la datation certaine est à double tranchant. En effet, elle permet de prouver une antériorité mais elle peut également caractériser une postériorité, c’est-à-dire attester que le déposant n’est pas le premier.

Dans le versant positif de l’efficacité de datation du dispositif « SOLEAU », c’est-à-dire la preuve de l’antériorité par rapport au premier déposant pour un brevet (par exemple), l’utilité de la datation certaine peut se révéler par la possibilité pour l’utilisateur du « SOLEAU » d’exciper un droit de possession personnel antérieure (Jacques AZEMA et Jean-Christophe GALLOUX, « Droit de la propriété industrielle », p. 398-399 ; Précis Dalloz, 8ème édition).

 

L’exception tirée du droit de possession personnel antérieure est fondée sur l’article L613-7 Cpi (« Toute personne qui, de bonne foi, à la date de dépôt ou de priorité d'un brevet, était, sur le territoire où le présent livre est applicable en possession de l'invention objet du brevet, a le droit, à titre personnel, d'exploiter l'invention malgré l'existence du brevet. »). Elle consiste en la possibilité pour une personne qui est le premier inventeur d’opposer au premier déposant l’exploitation personnelle de l’invention sans achat de licence et sans être considéré comme un contrefacteur.

 

Afin de bénéficier de cette exception, il faut que la possession se réalise sur le sol français. Il faut que la personne possède de bonne foi et de manière antérieure. Il faut que l’invention possédée soit identique ou équivalente à celle ayant fait l’objet du brevet.

Ainsi, il faut comprendre que la datation certaine via l’enveloppe « SOLEAU » est certainement un outil qui peut se révéler très utile ; mais la preuve de l’antériorité ne suffit pas s’il ne peut être démontré l’identité (ou équivalence) des inventions ; s’il ne peut être démontré « connaissance complète des moyens de l’invention avant la date de dépôt ou de priorité. » (Jérôme TASSI, « L’exception de possession personnelle antérieure en droit des brevets », Village de la justice, 22 avril 2021.).

 

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