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  • Laurent T. MONTET
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane
Docteur en droit privé.
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane Docteur en droit privé.

Thèse : "Le dualisme des ordres juridictionnels"

Thèse soutenue le 27 novembre 2014 en salle du conseil  de la faculté de droit de l'Université de Toulon

Composition du jury:

Le président

Yves STRICKLER (Professeur d'université à Nice),

Les rapporteurs: 

Mme Dominique D'Ambra (Professeur d'université à Strasbourg) et M. Frédéric Rouvière (Professeur d'université à Aix-en-Provence),

Membre du jury:

Mme Maryse Baudrez (Professeur d'université à Toulon),

Directrice de thèse :

Mme Mélina Douchy (Professeur d 'Université à Toulon).

laurent.montet@yahoo.fr


18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 23:21

 

Il ne s’agit pas de réfléchir sur la nature du dualisme juridictionnel car il semble que dans ce cas qu’il faille sonder les âmes. Ce qui importe, c’est principalement d’appréhender le processus mental qui a imposé ou qui est le prologue de l’institutionnalisation d’un système juridictionnel sous la forme d’un dualisme des ordres de juridictions. L’homo juridicus, modèle intellectuel synthèse des entités susceptibles d’être architecte d’un système juridictionnel (Constituant, Législateur, Exécutif en tant que pouvoir réglementaire), est délimité dans son action et ses choix par deux contraintes indéfectibles : sa rationalité et son environnement.

 

Les faits qui composent la réalité préexistent à l’ordre de l’homo juridicus. D’ailleurs, il est lui-même un fait de la réalité qui précède l’ordre juridique. Toutefois, avant de poursuivre la réflexion, il est important de souligner qu’il ne faut pas assimiler la locution « réalité préexistante » à celle « d’ordre social organisé » envisagée par Santi ROMANO1 et qui selon cet auteur préexiste à l’ordre juridique. Toutefois, de cet auteur, il faut conserver la perspective pluraliste. En l’espèce, La réalité préexistante est la nature dans toute sa force. Donc, il ne s’agit pas d’un ordre humain mais du réel matérialisé par la biosphère. Cette dernière est une sorte de « désordre » que l’homo juridicus souhaite ordonner et soumettre à une signification. Dans cette hypothèse il est question de domination ; non sur le plan physique (ce qui n’est pas à exclure pour autant) mais surtout en ce que donner un sens permet de façonner et donc d’imposer une structure.

 

Au sein de ce qu’il a lieu de nommer « désordre naturel » ou réalité préexistante, les éléments qui le composent ont un rapport de causalité. De là, tous les faits y sont des causes et des effets. Aussi, comme l’homo juridicus est lui-même un fait au sein de cette réalité. Par conséquent, il est également cause et effet. L’homo juridicus pour établir un ordre, transcende la réalité préexistante à fin de soumission de celle-ci au sens2 donné par sa rationalité. En effet, les faits constitutifs du désordre naturel sont l’objet principal de l’homo juridicus, mais ce dernier ne cherche pas à affronter la causalité qui est une fatalité physique. Au contraire, il aspire à imposer un autre type de causalité qu’il faut nommer imputabilité3. C’est ainsi que l’homo juridicus identifie les faits du désordre naturel afin de les englober dans un ordre établi par lui. Dans cet ordre, les faits identifiés se voient imputer d’autres effets que ceux qui sont fatalement issus de la causalité physique. Les effets civils imputables sont définis par l’homo juridicus. Ces derniers correspondent au projet sociétal matérialisé dans l’ordre juridique. Les faits identifiés auxquels sont imputables des effets juridiques ou civils, constituent un ordre de validité. Au sein de ce système rationnel, la norme juridique qui est également assimilable aux verbes descriptifs de situations civiles, précède la sanction ou autrement dit, les effets juridiques imputables aux situations décrites. À défaut d’un tel mécanisme, il existe un discours qui, acceptable par la majorité des intéressés, repose sur un principe préexistant et propre à justifier a posteriori la sanction (effet civil).

 

Cela étant, en tout état de cause, il y a une norme qui porte l’identification ou un principe à partir duquel elle peut être déduite. Les identifications sont associées à une causalité juridique. L’ordre de validité formé par ces dernières constitue le support des situations qui sont susceptibles de sanctions. Ces situations susceptibles de sanctions via l’intervention d’un organe disposant de la juridictio sont classées selon le type de perception adopté par l’homo juridicus. Le classement des situations justiciables est un processus catégoriel nécessaire à l’intelligibilité et au caractère opérationnel de l’ordre de validité car il propose un système d’identification qui permet la qualification du fait générateur du contrôle juridictionnel.

 

En effet, la normalisation de la situation déviante est possible uniquement si elle est identifiable. Aussi, l’identification et le traitement de la déviance sont plus aisés si le système de validité est un ordre rationnellement organisé. Cependant, cette organisation logique n’impose pas la mise en œuvre d’une structure dichotomique du système qui a pour fonction d’expurger la réalité civile. Attribuer cette option organisationnelle au hasard n’est pas une explication satisfaisante. L’homo juridicus lève les options qui se posent à lui avant tout dans une optique stratégique. Aussi, même si ceci ne signifie pas qu’il contrôle la totalité des conséquences de ces choix ; cette proposition a le mérite de rendre intelligible et accessible les données qui auraient commandé le choix d’un dualisme des ordres juridictionnels.

 

La « sensibilité » à travers laquelle l’homo juridicus perçoit la réalité doit avoir une incidence non négligeable sur le choix de la ligne directrice d’un classement. Il faut comprendre que l’axe de classement reflète le type de perception qui aura été privilégiée. Cela signifie que lors du processus de mise en place de schèmes4, l’homo juridicus peut décider de structurer son ordre rationnel comme un tout monolithique ou comme un tout fragmenté ou encore comme une dualité. Ce qui correspondrait à n’avoir qu’un droit ou un droit civil composé de subdivisions ou encore une dichotomie droit civil - droit pénal. En outre, il pourrait s’agir de percevoir l’ordre rationnel sous un angle mystique (divinité – humanité) ou politique (gouvernants – gouvernés). Cette perception sensitive peut donc répondre d’une autre rationalité que celle qui est inhérente à l’homo juridicus. Ceci pose donc l’idée selon laquelle : le modèle intellectuel de la rationalité de l’acteur juridique n’est pas un paradigme autarcique et apathique, c'est-à-dire qu’il est ni apolitique, ni areligieux, ni amoral. Ces choix stratégiques et l’institutionnalisation des faits de la réalité préexistante répondent nécessairement à une logique.

 

Le monisme, le dualisme ou le pluralisme d’un système ne peuvent être une exception à cette pesanteur. La répartition des activités justiciables (eventus judicii)5 entre différentes juridictions ou ordres de juridictions procède d’un raisonnement dont l’objectif premier est de faire un tri (objectif ou subjectif) entre les situations justiciables. Alors, vraisemblablement la morphologie d’ensemble de la mécanique qui bénéficie de la méthode ne peut s’affranchir de l’axe directeur du classement. L’objectif de l’homo juridicus est de soumettre la société (lato sensu) dont il fait partie à son commandement. Par conséquent, en tant qu’être de raison il doit établir un champ d’intervention, une sphère de compétence juridique et juridictionnelle. La juridicité de ses commandements est une garantie de leurs efficacités et de leurs effectivités.

Dans cette hypothèse, l’institutionnalisation de la domination de l’homo juridicus ne peut se faire sans adopter la logique d’une entité catégorielle, qu’elle soit de genre monolithique, dichotomique ou pluraliste. Quel que soit le choix du paradigme catégoriel, il reste à l’homo juridicus à déterminer les critères de différenciation compatibles au sens qu’il a donné au « désordre naturel ». Les critères de différenciation doivent être puisés dans la rationalité constituée par l’ordre juridique sinon il y aura une incohérence entre l’objectif et le moyen. En effet, un système juridictionnel qui utiliserait des critères incompatibles avec ceux de l’ordre juridique serait parfaitement inefficace. En outre, Il existe une quantité non négligeable de critères de différenciation susceptibles de structurer la mécanique juridictionnelle en bonne intelligence avec la réalité juridico-politique. Un certain réalisme s’impose donc à l’homo juridicus.

 

Le réalisme des nombreuses bases discriminantes existantes est tout aussi plausible que celle qui fait actuellement autorité lorsqu’il est abordé la question du dualisme des ordres juridictionnels. Le processus mental dépeint précédemment, montre que la dichotomie6 droit privé – droit public ne semble pas être irrésistible. Tous les systèmes juridictionnels ne sont pas structuré par un dualisme des ordres juridictionnel. Il ne s’agit pas d’une vérité physique (comme les lois de la pesanteur, par exemple) mais d’une signification contestable et contestée dont la force causale tient principalement de l’intellect. Ainsi, le monisme juridictionnel, le dualisme des ordres de juridiction et le pluralisme des ordres juridictionnels sont porteurs ou garants d’une signification qui ne tient ni de la spontéparité ni du hasard. Il existe des contraintes qui, intérieures ou extérieures, portent l’homo juridicus vers un type de perception catégorielle stratégiquement opportune.

 

Les contraintes endogènes causes subjectives du processus de structuration

 

L’institution qui veut préserver son existence et imposer son imaginaire au réel, car c’est bien de cela qu’il s’agit, doit nécessairement transmuter l’ordre non humain et soumettre ces alter ego. Ce programme égocentrique ne peut être réalisé efficacement sans méthode. En effet, afin d’avoir une appréhension optimale de l’environnement civil correspondant aux situations justiciables qui ont été définies comme les effets juridiques imputables aux faits identifiés au sein de l’ordre juridique. Il est stratégiquement opportun pour l’homo juridicus d’entamer un processus catégoriel qui procédera à la structuration de l’organe qui réalisera l’ordonnancement juridique posé. Cela étant, le classement et le rangement semblent être les moyens inéluctables d’une appréhension fonctionnelle du réel juridique. Toutefois, la mise en œuvre de ces moyens est tributaire de la sensibilité de l’entité qui veut transmuter « le désordre naturel » en ordre sensé. Alors, se pose à elle deux genres de sensibilité : l’une irrationnelle et l’autre rationnelle. « L’effort romain » est un bel exemple des précédents propos, car d’une part il caractérise le processus catégoriel que peut aborder un homo juridicus. D’autre part, il offre de nombreux schèmes classificatoires qui ont forgé l’ordonnancement juridique romain et a fortiori, cet « effort romain » propose des classifications de type dichotomique qui auraient pu servir de support à une organisation dualiste des systèmes juridictionnels contemporains. Mais l’implacable pesanteur des réalités socioéconomiques adjointe à l’irrésistible force centripète inhérente aux enjeux de pouvoir, constituent à elles deux des contraintes7 exogènes qui ont forcé d’autres réalisations. Aussi, il doit être admis qu’il existe une certaine précarité du parcours qui mène au dualisme des ordres juridictionnels et cela sans abandonner au contingent ou au capricieux l’explication de l’organisation dualiste du système juridictionnel.

 

En effet, il subsiste un fort ancrage spatio-temporel, c'est-à-dire que l’explication du choix organisationnel de l’homo juridicus (Constituant, Législateur, Exécutif en tant que pouvoir réglementaire) ne peut être exclusivement juridique mais surtout il ne serait pas honnête d’exclure des perspectives historiques et territoriales. Cependant, il doit être possible de trouver une constante en axant l’analyse sur les contraintes qui sont inhérentes à l’homo juridicus8. Ce dernier à toujours un projet de domination et travail toujours à garantir son existence via des justifications qui sont acceptables par ce qui sont l’objet de la domination. Aussi, a priori, l’organisation d’un système juridictionnel et en particulier la mise en œuvre d’un dualisme des ordres de juridiction ne peuvent aller à l’encontre du dessein de domination notamment l’impératif de réalisation du droit posé. Ce qui signifie qu’il y a un impact indiscutable entre le projet escompté et la levée des options posées ; n’est-il pas dit que « la fin justifie les moyens » ?

 

Les contraintes exogènes et intrastructurales inhérentes à la validité de la structuration

 

Il est vrai que la présente analyse postule une rationalité quasi infaillible des acteurs et semble laisser croire que ceux-ci disposent d’un contrôle absolu sur toutes les données nécessaires à la construction de leurs systèmes ; et qu’ils ont une maîtrise parfaite des conséquences de leurs initiatives à tel point que le moindre interstice résulte immanquablement d’une réflexion préconstruite. Il est indispensable de nuancer ce postulat afin d’être plus proche du vrai que du vraisemblable.

 

L’autocontrainte9 est un fait qui n’explique pas toutes les facettes d’une réalité. S’il est plausible qu’il existe des forces intérieures à l’homo juridicus qui portent l’initiative de la structuration du système juridictionnelle afin d’asseoir différents objectifs qu’il n’est pas inopportun de réduire dans le concept de domination. L’homo juridicus n’est pas la seule source d’initiative, il existe d’autres acteurs qui sont soit ses alter egos soit des avatars plus ou moins fidèles. Dans cette hypothèse il s’agit de prendre en compte les forces mises en mouvement par les interactions ou/et les interconnexions qui existent entre les différents acteurs dont les objectifs peuvent être divergents ou convergents. Ce pluralisme d’objectif constitue des rapports de forces d’essence sociale, économique ou politique. Le système juridique est une structuration de ces faits, car il postule un tout cohérent quelque peu déformé dans la mesure où son axe directeur sera celui de l’entité qui aura posé sa domination. Le système juridique et a fortiori le système juridictionnel constituent un syncrétisme partial des rapports de forces qui existent entre les individus et les différentes entités qui composent la société.

 

Les rapports de forces sont dissous au sein d’une interaction normative qui n’exclue pas nécessairement les inégalités de faits mais civilise en superposant aux rapports de forces des rapports de droit10. Les normes imposent un modèle sociopolitique propre à régir l’ensemble des activités humaines et l’organe juridictionnel doit être capable de réaliser les solutions indispensables aux inévitables litiges qui naîtront de la vie en communauté et qui sont susceptibles de mettre en péril le projet sociétal escompté.

Il y a une dynamique entre les groupes, entre les individus, mais également entre les entités sociales politique et économique qui proscrit l’immobilisme du système juridique. C’est ainsi que ce mouvement continuel et pluraliste exige « la complétude11 » et l’adaptabilité circonstancielle (sans précarité chronique du système) de l’ordre juridique. Les lacunes du système juridique et les défaillances de l’organe juridictionnel sont autant de troubles potentiels au projet sociétal escompté. L’homo juridicus est généralement très réactif aux stimuli exogènes constitués par la satisfaction de ceux qui subissent le système. En fait, la satisfaction est surtout le point de rencontre entre la mise en place d’un système réalisant les aspirations de l’entité génitrice et l’acceptation du système par ses usagés. De là, il est possible de dire que la structuration du système juridique et l’ossature de l’organe juridictionnel tiennent plus de la conjoncture12, c'est-à-dire de la liaison d’événements concomitants dans une situation donnée ; plutôt que du contingent13, c'est-à-dire qui existerait au gré de la fantaisie de chacun. Le monisme juridictionnel, le dualisme des ordres juridictionnels et le pluralisme des ordres juridictionnels constituent des points de satisfaction encrés dans leurs réalités respectives.

 

 


 

1. Santi ROMANO, « L’ordre juridique » ; traduit par Lucien FRANçOIS et Pierre GOTHOT ; Dalloz (2002).

2. Alain SUPIOT, « Homo juridicus : Essai sur la fonction anthropologique du droit » ; Seuil – La couleur des idées (2005).

3. Hans KELSEN, « Théorie générale des normes » ; Traduit de l’allemand par Olivier BEAUD et Fabrice MALKANI ; Léviathan – PUF

4. Représentation qui est intermédiaire entre les phénomènes perçus par les sens et les catégories de l'entendement`` (Leif 1974). Type, principe ou catégorie conçus dans l'abstrait, dont relève quelque chose; principe général d'organisation (http://www.cnrtl.fr/definition/schèmes).

5. Position de P. AMSELEK, H. KANTOROWICK, D. d’AMBRA (qu’elle cite dans son ouvrage « l’objet de la fonction juridictionnelle : dire le droit et trancher les litiges »).

6. Baptiste BONNET et Pascale DEUMIER (sous la direction de), « De l’intérêt de la summa divisio droit public-droit privé ? » ; Dalloz (2010).

7. Éric MILLARD, « Théorie générale du droit », Connaissance du droit – Dalloz 2006.

8. Il est important de dissocier l’homo juridicus de l’acteur d’un éventuel ordre juridique international car dans cet hypothèse il s’agit plus d’un environnement conventionnel.

9. Michel TROPER, Véronique CHAMPEIL-DESPLATS et Christophe GRZEGORCZYK ; « Théorie des contraintes juridiques » ; Bruylant LGDJ – La pensée juridique.

10. André RIALS, « L’accès à la justice » ; PUF – « Que sais-je ? ».

11. État, caractère de ce qui est complet, achevé, parfait (http://www.cnrtl.fr/definition/complétude).

12. Liaison d'événements concomitants dans une situation donnée (http://www.cnrtl.fr/definition/conjoncture).

13. André DEMICHEL et Pierre LALUMIèRE, « Le droit public » 6ème édition ; PUF – « que sais-je ? ».

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 23:17

 

La sujétion est un processus consubstantiel au caractère impératif de la règle de droit. La mise en œuvre de cette efficacité de la justiciabilité nécessite l’intervention d’un organe spécialisé. Historiquement, la justiciabilité « ordinaire », celle des actes de l’administration et celle de la Loi étaient le fait d’une même autorité. En effet, au sein de l’empire romain, durant le Moyen-Âge ou encore sous l’Ancien Régime, l’entité qui administrait était également celle qui avait l’office de juger si bien que le contenu de ces fonctions était perçu comme indissociable.

 

Les Cours souveraines de l’Ancien Régime étaient des autorités administrative et judiciaire car le roi, seul détenteur du pouvoir (exécutif, législatif et judiciaire), avait conféré à ces entités une parcelle de sa souveraineté. Elles avaient donc une autorité tant au sein de la police (ou administration) générale (dans le cadre de leurs compétences) qu’au sein de la résolution des différends nés dans leurs circonscriptions.

L’utilisation déviante de cette autorité conférée a nécessité un correctif. En effet, si les parlements de l’Ancien Régime, malgré leur indépendance de fait, avaient continué à servir docilement le monarque ; l’édiction d’un principe de séparation des autorités administrative et judiciaire serait inopportun. La prohibition portée par le principe de séparation des autorités est la solution réflexe qui apporte la résolution supposée la plus immédiate contre un problème ponctuel, c'est-à-dire les complications posées à l’action de l’administration par les Cours souveraines via les moyens tant judiciaire qu’administratif dont elles disposaient. Aussi, au regard du dysfonctionnement que posait l’abus d’autorité des parlements. Il tenait d’une bonne administration du royaume que de procéder à une réorganisation structurelle et fonctionnelle du système administratif/judiciaire.

Ainsi, il faut appréhender la signification du principe de séparation des autorités administrative et judiciaire en tenant compte de l’efficacité escomptée par l’auteur de ce dernier. En effet, l’objectif de l’Administration centrale (Monarchie, Directoire, Consulat, l’Empire, Restauration) était de préserver son pouvoir et même de l’accroître (absolutisme ou autoritarisme). Ainsi, il était opportun pour le pouvoir central, à défaut de docilité spontanée du corps principalement dépositaire des autorités administrative et judiciaire, de s’octroyer un mécanisme de soumission au droit qui s’ajuste bien aux nécessités de la Raison d’état et qui soit également concordant avec le projet sociopolitique de celui qui gouverne seul ou en conseil.

 

Le principe de séparation des autorités ne partage pas les mêmes valeurs que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789. Pourtant, le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire a cohabité avec l’un des principes phares de la déclaration précitée, c'est-à-dire le principe de la séparation des pouvoirs. Il y a une antinomie indiscutable1 entre ces principes, et leur cohabitation marque un hiatus tant organisationnel que juridique. En effet, il y a une cacophonie2 dans le fait de prôner la plénitude3 et l’indépendance de chaque pouvoir composant l’entité étatique corrélativement à la réitération d’un principe d’interdiction de l’exercice, par l’un des pouvoirs (le judiciaire), de sa plénitude.

 

Les révolutionnaires ont eu du mal à réaliser les valeurs contenues au sein de leur « Déclaration ». Leur action est surtout marquée par une forte réaction à la réalité de l’Ancien Régime surtout aux conflits entre le roi et les parlements. Ainsi, l’érosion de la cacophonie est-elle véritablement entamée4 à partir de la loi du 24 mai 1872. Entre temps, c’est forgée et consolidée la mythique « conception française de la séparation des pouvoirs5 ».

 

 


1. Dany COHEN, « La Cour de cassation et la séparation des autorités administrative et judiciaire » p.1-11 ; Economica (1987) – Collection, droit civil.

2. Michel TROPER, « La séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française » p.43-57 ; LGDJ.

3. Jean FOYER, Gilles LEBRETON et Catherine PUIGELIER, « L’autorité » p.231-255 ; PUF (2008).

4. Dany COHEN, « La Cour de cassation et la séparation des autorités administrative et judiciaire » p.143-145 ; Economica (1987) – Collection, droit civil.

5. Décision du Conseil constitutionnel en date du 23 janvier 1987 (n°86-224 DC).

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18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 22:29

 

Malgré sa filiation avec un régime despotique, le principe de la séparation des autorités administrative et judiciaire est réitéré1 par l’Assemblée Constituante. La loi (art.10 et 13) des 16-24 août 1790 et le décret pris le 16 fructidor en III par la Convention nationale sont la première réitération du principe, pendant la Révolution, et il le sera continuellement.

 

Au point où il n’y a pas véritablement de débat2 sur la question du contrôle de la conformité de la loi. En outre, les mécanismes mis en œuvre pendant la révolution (intervention de l’exécutif : le roi3 [1791], le Directoire4 [1795] ou encore l’intervention du peuple [1791]), le sénat impérial5 puis le Comité constitutionnel6 sous la IVème République sont des échecs. C’est ainsi qu’il n’y aura pas de contrôle juridictionnel, effectif et efficace7, de la conformité de la loi à une norme supérieure avant la naissance du Conseil constitutionnel sous la Vème République.

 

Cependant, dans le respect de leurs compétences, des organes administratifs (tels les ministres et les autorités départementales, durant la période révolutionnaire, ou encore le Conseil d’état et conseils de préfectures, depuis la période napoléonienne) et le juge judiciaire (tel le Tribunal de cassation [1790], puis Cour de cassation [1804]) ont pu procéder à un contrôle de constitutionnalité. Il ne s’agissait pas, à proprement dit, du contrôle de la constitutionnalité de la loi, mais plutôt du contrôle de la constitutionnalité des actes administratifs pour le premier. Pour le second, il s’agissait du contrôle de constitutionnalité des décisions judiciaires. Dans cette dernière hypothèse, en cas de résistance des juridictions inférieures, il y avait référé législatif8 soit procédé par le corps législatif9 soit par l’exécutif10.

 

Pour ce qui est de la « régulation de l’activité normative11 » du pouvoir central, le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire est à l’origine d’une longue marche dans le désert pour l’institution d’un « dépôt de lois12 ». En effet, les Cours souveraines, du fait de leurs positions au sein de l’organisation judiciaire et administrative de l’Ancien Régime, effectuaient, via l’enregistrement et les remontrances, un contrôle assimilable à une vérification de la conformité de l’activité normative à la loi fondamentale. Le principe de séparation des autorités porte également un coup d’arrêt à cette pratique.

 



1. Raymond MARTIN, « Sur l’unité des ordres de juridiction » RTD civ. 1996, p.109. Marceau LONG, « L’état actuel de la dualité de juridictions » RFDA 1990, p.689. Dany COHEN, « La Cour de cassation et la séparation des autorités administrative et judiciaire » p.82-101 ; Economica (1987) – Collection, droit civil.

2. Marco FIORAVANTI, « Sieyès et le jury constitutionnaire : perspectives historico juridiques » p.87-103 ; Annales historiques de la Révolution française n°349 (juillet-septembre 2007). Michel VERPEAUX et Maryvonne BONNARD, « Le conseil constitutionnel » p.16-25 ; La documentation française – études.

3. Jacques GODECHOT, « Les Constitutions de la France depuis 1789 » p.67 ; GF Flammarion (1995).

4. Jacques GODECHOT, « Les Constitutions de la France depuis 1789 » p.116-117 (art.131 de la Constitution de l’an III) ; GF Flammarion (1995).

5. Jacques GODECHOT, « Les Constitutions de la France depuis 1789 » p.153 (art.21) et p.154 (art.28) ; GF Flammarion (1995).

6. Bernard CHANTEBOUT, « Droit constitutionnel » p.47-48 ; Sirey (26ème édition). Louis FAVOREU, « Droit constitutionnel » p.271 (384) ; Précis Dalloz (2005).

7. Louis FAVOREU et Loïc PHILIP, « Les grandes décisions du Conseil constitutionnel » p.235-252, Dalloz (14ème édition) : décision du 16 juillet 1971 « Liberté d’association ». Saisine du juge constitutionnel par des parlementaires, depuis la révision constitutionnelle du 29 octobre 1974 : Michel VERPEAUX et Maryvonne BONNARD, « Le conseil constitutionnel » p.55-56 ; La documentation française – études. Henry ROUSSILLON, « Le conseil constitutionnel » p.25-34 ; Dalloz (6ème édition). Saisine par le citoyen par voie d’exception : loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008 qui insère notamment un nouvel article 61-1 à la Constitution du 4 octobre 1958.

8. Michel TROPER, « La séparation des pouvoirs et l’histoire constitutionnelle française » p.58-68 ; LGDJ.

9. Jean FOYER, « Histoire de la justice » p.63 ; PUF – Que sais-je ?

10. Romuald SZAMKIEWICZ et Jacques BOUINEAU, « Histoire des institutions (1750 à 1914) » p.278 (470) ; 2ème édition – Litec.

11. Louis FAVOREU, « Droit constitutionnel » p.290 (431) ; Précis Dalloz (2005).

12. MONTESQUIEU, « De l’esprit des lois » p.108-111 ; Tome I ; Folio essais n°275 – Éditions Gallimard 1995.

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