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Profil

  • Laurent T. MONTET
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane
Docteur en droit privé.
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane Docteur en droit privé.

Thèse : "Le dualisme des ordres juridictionnels"

Thèse soutenue le 27 novembre 2014 en salle du conseil  de la faculté de droit de l'Université de Toulon

Composition du jury:

Le président

Yves STRICKLER (Professeur d'université à Nice),

Les rapporteurs: 

Mme Dominique D'Ambra (Professeur d'université à Strasbourg) et M. Frédéric Rouvière (Professeur d'université à Aix-en-Provence),

Membre du jury:

Mme Maryse Baudrez (Professeur d'université à Toulon),

Directrice de thèse :

Mme Mélina Douchy (Professeur d 'Université à Toulon).

laurent.montet@yahoo.fr


12 mars 2023 7 12 /03 /mars /2023 22:58

Intuitivement, lorsque la locution de « bien commun numérique » arrive aux oreilles, il est naturellement compris qu’il s’agit de choses qui ont un fort ancrage dans le monde de l’Internet et de la production de logiciel. Dans une appréhension très basique et simpliste, cette perception n’est pas totalement fausse bien que très lacunaire. À ce titre, pour mieux en appréhender les contours et le contenu, il est nécessaire de procéder à une dissection de cet objet juridique mal identifié bien que souvent définit comme un ensemble de « ressources partagées gérées et maintenues collectivement par une communauté » (Serge ABITEBOUL, Membre du collège de l’ARCEP et Directeur de recherche INRIA ; Membre du conseil d’administration de la fondation INRIA).

 

  1. Identification par le biais du droit des biens

 

Le droit des biens est composé de plusieurs dichotomies qui participent à sa structuration. La plus connue est celle distinguant les biens meubles et les biens immeubles (art. 516 du Code civil).  Cependant, il subsiste une distinction préliminaire existant entre « bien » et « chose ». en effet, toutes deux peuvent désigner un objet animé ou inanimé [doué de conscience ou pas ou au moins doué de sensibilité] qui affecte tout ou partie des sens d’une personne. Toutefois, la notion de bien caractérise les objets qui sont susceptibles d’appropriation, c’est-à-dire que l’on peut en faire sa propriété. Par conséquent, c’est la possibilité de faire d’un objet sa propriété qui permet de le qualifier de bien.  A contrario, un objet non susceptible d’appropriation est qualifié de chose (art. 714 du Code civil). C’est de là que découle, notamment, la notion de « choses communes ». En effet, les choses dites « communes » sont des objets (terrestres ou célestes) qui n’appartiennent à personne (a priori, non susceptibles d’appropriation) dont l’usage est commun à tous soit par nature soit du fait de la Loi. Par conséquent, sont des choses communes : le soleil, le vent, l’air, l’espace extra-atmosphérique…

À ce titre, le bien commun numérique, parce qu’il est un « bien » caractérise une chose susceptible d’appropriation. En outre, à l’instar (et par transposition) de l’utilisation de cette notion en droit matrimonial (régime de la communauté entre époux ; articles 1400 à 1527 du Code civil), les biens communs numériques sont caractérisés par l’ensemble des biens sur lesquels des personnes ont les mêmes pouvoirs. Dès lors, dans la mesure où ils évoluent dans un « espace public » (en l’occurrence, Internet [Leterre, Thierry. « L'Internet : espace public et enjeux de connaissance », Cahiers Sens public, vol. 7-8, no. 3-4, 2008, pp. 203-217.]), les biens communs numériques sont-ils des biens publics ?

 

Un bien public est généralement caractérisé par deux éléments (« Mondialisation : une chance pour l'environnement ? » ; P. 46 ; Rapport d'information n° 233 [2003-2004] de M. Serge LEPELTIER, fait au nom de la délégation du Sénat pour la planification, déposé le 3 mars 2004) : la non-rivalité et la non-exclusion (non-excluable). Est considérée comme non-rivale la possibilité d’utilisation d’un bien par plusieurs personnes, le cas échéant, simultanément. En outre, la non-exclusion, est matérialisée par l’impossibilité d’exclure une ou plusieurs personnes de l’usage du bien. Concrètement, exemple classique, l’éclairage public est un bien public commun car tout le monde en profite simultanément (non-rival) lorsqu’il existe et il n’est pas possible d’en empêcher le bénéfice de manière sélective à quelques-uns. Ainsi, parce que les biens communs numériques sont accessibles par tous simultanément et qu’il n’est procédé à aucune limite d’accès, les biens communs numériques sont également non-rivaux et non-exclusifs (« Mémo sur les communs numériques » : https://www.wikimedia.fr/wp-content/uploads/2021/10/Memo-sur-les-communs-avec-compression_1.pdf). Cependant, ces derniers n’appartiennent pas nécessairement à une personne publique, ce qui est le cas des biens publics. Dès lors, dans la mesure où ils ne sont pas nécessairement la propriété d’une personne publique mais qu’ils sont non-exclusifs et non-rivaux, les biens communs numériques entrent dans la catégorie des biens collectifs. « Un bien collectif est un bien dont la consommation par un individu supplémentaire ne réduit pas la satisfaction des autres. Le bien collectif existant ou créé, est accessible à tous sans condition » (https://fr.wikipedia.org/wiki/Bien_collectif). Cette approche correspond sans nul doute, dans une certaine mesure, à la définition de « biens communs numériques » posée précédemment, c’est-à-dire l’ensemble des « ressources partagées gérées et maintenues collectivement par une communauté » (Serge ABITEBOUL, Membre du collège de l’ARCEP et Directeur de recherche INRIA ; Membre du conseil d’administration de la fondation INRIA). Dès lors, bien collectif, le bien commun numérique est une ressource (code source, encyclopédie collaborative [telle que wikipédia], …) générée dynamiquement par l’ensemble des membres d’une communauté et mis à disposition de manière non-exclusive et non-rivale au profit tant des membres de la communauté que d’usager de la ressource, c’est-à-dire des personnes qui ne collaborent pas nécessairement (tout au moins) à l’auto-alimentation ou auto régénération de cette dernière. Ainsi, les biens communs numériques ne sont pas des choses consomptibles, au contraire, dans une certaine mesure, l’utilisation de cette ressource est l’opportunité d’enrichissement de son contenu ce qui le pose en corps certain (ou chose non fongible, art. 1347-1 al. 2 du Code civil ; « Chose caractérisée par son irréductible individualité […] par conséquent, insusceptible d’être remplacée par une autre […] » Lexique des termes juridiques 2021-2022, Dalloz.) frugifère (art. 582 et 583 du Code civil). En effet, bien qu’évolutifs du fait du processus collaboratif qui en font des biens qui disposent d’une dynamique propre, les biens communs numériques produisent de la richesse (fruits industriels et/ou fruits civils) sans que sa substance ne soit altérée. C’est à ce titre qu’il s’agit d’un bien patrimonial car susceptible d’avoir une valeur vénale non négligeable au regard de l’importance d’une telle ressource tant sur le plan économique que celui de l’attractivité et de la « souveraineté numérique » d’un État.

 

  1. Identification par le biais du droit de la propriété intellectuelle

 

Les biens communs numériques sont des ressources dont la matière première, c’est-à-dire le code source, est susceptible d’appropriation et dispose, à ce titre, d’une valeur vénale du fait de son intérêt tant scientifique que technique. Ainsi, les biens communs numériques doivent être protégés.

 

En tant que « ressources partagées gérées et maintenues collectivement par une communauté », les biens communs numériques pourraient soit être considérés comme des œuvres de collaboration (art. L113-2 al. 1 du Code de la propriété intellectuelle) soit comme des œuvres collectives (art. L113-2 in fine du Code de la propriété intellectuelle). Est une œuvre de collaboration, la création à laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques. À ce titre, l’œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs qui exercent leurs droits en commun sur leur œuvre (art. L113-3 du code précité). Cette dernière description tirée du code de la propriété intellectuelle correspond assez bien à la définition des biens communs numériques qui a été proposée précédemment. En effet, l’esprit même des communs numériques est de l’enrichissement continue du bien par l’apport collaboratif des membres de la communauté qui en est la gestionnaire. Cependant, selon le type de gouvernance que recouvre la notion de « communauté », les communs numériques pourraient également correspond au régime de l’œuvre collectives, c’est-à-dire celle créée à l’initiative d’une personne (« la communauté » ; Wikipédia, Linux ou OpenStreetMap…) qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom (art. L113-2 in fine) sans qu’il soit possible de différencier la contribution des participants au projet communautaire.

En tout état de cause, que les biens communs numériques soient qualifiée d’œuvres collectives ou de collaborations, en tant que ressources partagées non-exclusives et non-rivales, est pourront être des éléments d’une œuvre composite (art. L113-2 et L113-4 du Code de la propriété intellectuelle). C’est de ce point de vue qu’intervient notamment le ministère de la transformation et de la fonction publiques (notamment circulaire data n°6264/SG du 27 avril 2021) ou encore l’Assemblée numérique co-organisée à Toulouse les 21 et 22 juin 2022 par la présidence française du Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne précédée par la conférence « Construire la souveraineté numérique de l’Europe » organisée les 7 et 8 février 2022. En effet, il s’agit pour ses institutions, dans la mesures où, malgré leurs forts ancrage dans une perspective non-rivale et non-exclusive,  les biens communs numériques sont des objets qui ne sont pas hors du commerce ; ils peuvent faire l’objet de manière hostile ou pas à des tractations de grands fournisseurs de services numériques essentiellement implantés dans une stratégie mercantile, c’est-à-dire rivale (biens communs consomptibles) et/ou exclusive (biens de clubs ou biens collectifs impurs), donc privative (rivale et exclusive).

 

Ainsi, il est posé un plan d’action des institutions publiques françaises (notamment) et européennes afin de promouvoir tant le financement public des biens communs numériques (Création d’un guichet unique européen pour orienter les communautés vers les financements et aides publiques adéquats ; lancement d’un appel à projet pour déployer rapidement une aide financière aux communs les plus stratégiques ; création d’une fondation européenne pour les communs numériques, avec une gouvernance partagée entre les États, la Commission européenne et les communautés des communs numériques ; la mise en place du principe « communs numériques par défaut » dans le développement des outils numériques des administrations publiques.) que leur utilisation plus soutenue (par le développement et l’accompagnement de l’ouverture et de la libération des codes sources ; en s’appuyant sur les logiciels libres, open source et les communs numériques pour renforcer l’attractivité de l’État-employeur auprès des talents du numérique). Il y a là une volonté, en quelque sorte, de faire des biens communs numériques un bien public ou au moins quelque chose d’assimilable.

 

Est-il possible d’en faire une chose hors du commerce à l’instar des choses communes (a priori, non susceptibles d’appropriation) ?

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