La notion « d’état des personnes » regroupe l’ensemble des éléments propres à individualiser (Prénom(s), nom(s), date de naissance, lieu de naissance, sexe) un être humain, à établir ses liens de filiations (Nom(s) et prénom(s) des parents [père et/ou mère]) et, le cas échéant, établir ses liens d’alliance (Mariage [le cas échéant, divorce], Pacs) avec autrui. À ce titre, l’état des personnes constitue une source de données personnelles de premier ordre qui sont transcrites, notamment à la suite de déclarations (voire par décision de justice), dans des actes de l’état civil (acte de naissance, acte de reconnaissance, acte de mariage, acte de décès) instrumentés par l’officier de l’état civil (art. 34 à 101-2 du Code civil et art. L2122-31 du code général des collectivités territoriales : « Le maire et les adjoints sont officiers d'état civil. ») sous l’autorité hiérarchique du procureur de la République territorialement compétent.
Les actes de l’état civil (en l’occurrence, l’acte de naissance) permettent, à leurs tours, d’alimenter des documents administratifs phares tels que la pièce d’identité et le passeport qui, à leur niveau, affinent l’individualisation de la personne physique avec des données telles que la couleur des yeux, la taille, une « photo standardisée » [[Arrêté du 5 février 2009 relatif à la production de photographies d'identité dans le cadre de la délivrance du passeport ; Arrêté du 10 avril 2007 relatif à l'apposition de photographies d'identité sur les documents d'identité et de voyage, les permis de conduire et les titres de séjour ; Décret n°2005-1726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports ; Décret n°55-1397 du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité.]] et une empreintes digitales. Compte tenu de son rôle fondamental d’individualisation des personnes physiques, l’état des personnes, et par voie de conséquence les actes de l’état civil, doivent être prémunies contre tous éléments susceptibles de précariser la fiabilité de cette source juridique primordiale de juridicisation de l’individu. C’est à ce titre, que les principes de l’indisponibilité et de l’immutabilité sont posés en gardien du crédit et de la fiabilité des données transcrites dans les actes de l’état civil. En effet, le principe de l’indisponibilité prescrit le fait que l’individu n’a pas la libre disposition des éléments qui composent sa personnalité juridique. Autrement-dit, ce qui fait de lui un être humain titulaire de droits et d’obligations n’est pas soumis à sa volonté. Il s’agit d’un état juridique impactant fortement l’individualisation sociale de la personne physique ; c’est un état civil qui s’impose de plein droit. Ainsi, la personne est juridiquement la synthèse posée par l’état civil. Consubstantiellement, le principe de l’immuabilité implique que les éléments transcrits dans l’acte de l’état civil ne peuvent faire l’objet de mutations.
Cependant, il existe (bien entendu) un bémol à l’intensité de l’effet des principes précédemment exposés. En effet, les principes d’indisponibilité et d’immuabilité ne sont pas absolus. L’ensemble des éléments constituant l’état des personnes peuvent bénéficier d’un processus de rectification qui est plus ou moins souple selon que l’erreur est caractérisée de « matérielle » (Art. 99-1 et 99-2 du code civil) ou considérée comme substantielle (art. 99 du Code civil). La rectification d’une erreur matérielle consiste à corriger une coquille ou/et un oubli. À ce titre, elle ne constitue pas, à proprement dit, une modification de l’état civil de la personne. Il s’agit d’une correction qui ne change pas la nature de l’information initialement transcrite [[La rectification d’une erreur matérielle est réalisée par l’officier de l’état civil sous l’autorité du procureur de la République.]] mais qui la normalise notamment au regard de l’orthographe consacrée ou autres modèles de référence. De ce point de vue, le dispositif de changement de nom ou/et de prénom est davantage qu’une « simple » rectification car il ne s’agit pas, dans ce cas, de corriger une erreur mais davantage de réparer un préjudice (art. 60, 61 et 61-3-1 [[Introduit par la loi n°2022-301 du 2 mars 2022, entrée en vigueur le 1er juillet 2022.]] du Code civil). En tout état de cause, le demandeur doit exciper et caractériser un intérêt légitime sans la démonstration duquel, le changement n’est pas ordonné [[Cass. 1ère civ., 23 mars 2011, pourvoi n°10-16.761 ; Cass. 1ère civ., 6 octobre 2010, pourvoi n°09-10.240.]].
- L’intensité des principes d’indisponibilité et d’immutabilité de l’état des personnes
Les principes « garde-fous » de l’état des personnes peuvent tolérer des atténuations conditionnelles. En effet, l’admission d’interventions correctives (Cas de rectifications d’erreurs matérielles) ainsi que des interventions à fins de réparation (la possibilité de changement nom ou/et de prénom) permettent de mettre concrètement en relief que l’intensité des principes d’indisponibilité et d’immuabilité est quelque peu modérée s’agissant de certains éléments de l’état civil compte tenu du degré d’altération (corrective ou réparatrice) qui doit être procédé à l’information initialement transcrite mais également au regard du fait qu’il s’agissent d’éléments secondaires dans l’ordre des éléments constituants l’état des personnes.
Ce qui nous amène à explorer le régime juridique des erreurs substantielles entachant l’intégrité de l’état civil d’une personne physique. Il y a erreurs substantielles lorsque la « coquille » ou l’omission concerne une information considérée comme essentielle. Dans la structure logique de l’état des personnes, est une donnée essentielle celle dont sont subséquentes d’autres données qui en tirent leurs substances. Tel est le cas pour les informations tenant de la filiation et celles tenant du sexe de l’individu. C’est à ce titre, que dans ce cas, seul le juge judiciaire a autorité pour apprécier la consistance des motifs excipés au regard des impératifs d’indisponibilité et d’immuabilité de l’état des personnes prescrit pour préserver l’intérêt général. La gestion de la situation du transsexualisme a été la clef qui a ouvert le « premier » verrou de l’immuabilité de la mention du sexe de l’individu.
Le transsexualisme est la situation d’une personne dont le sexe anatomique [[George R. BROWN, « Dysphorie de genre (incongruence de genre) », le Manuel MSD.]] ne concorde pas à son genre [[George R. BROWN, « Dysphorie de genre (incongruence de genre) », le Manuel MSD : « Le mot Genre fait référence au rôle public d'une personne, à son rôle de garçon ou de fille, d'homme ou de femme. ».]]. Autrement-dit, l’individu est identifié en tant qu’homme mais il se vie femme ; ou il est identifié en tant que femme mais il se vie homme. Ainsi, dans cette situation, il était question de savoir si une personne transsexuelle pouvait obtenir le changement de la mention du sexe au sein de l’acte de l’état civil ?
- L’atténuation du principe de l’indisponibilité de l’état des personnes
L’ouverture du « premier » verrou s’est réalisée en plusieurs séquences. Le premier Clap [[« Outil de cinématographie composé de deux planchettes reliées par une charnière, que l'on filme en train d'être rabattu, et en enregistre simultanément le son du claquement sec, en début de séquence de tournage […] » (wikitionnaire)]] est marqué par une appréhension excessivement sévère de la situation du transsexuel exprimé par un refus de la modification de la mention du sexe malgré la reconnaissance médicale du « hiatus » sexe anatomique/genre [[Cass. 1ère civ., 16 décembre 1975, pourvoi n°73-10.615 ; Cass. 1ère civ., 21 mai 1990, pourvoi n°88-10.829.]]. Dès lors, à la suite de la condamnation de la France par la Cour Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CEDH) [[CDEH du 25 mars 1992, « B contre France », requête n°13343/87.]], la Cour de cassation revient sur sa position initiale. Réunie en assemblée plénière, en date du 11 décembre 1992 (pourvoi n°91-11.900), le juge de cassation, au regard des impératifs d’indisponibilité et d’immutabilité de l’état des personnes, ouvre la possibilité pour un transsexuel d’obtenir le changement de la mention sexe sous trois contraintes [[Cass. Ass. Plén. 11 décembre 1992 (pourvoi n°91-11.900) : « […] Attendu que lorsque, à la suite d'un traitement médico-chirurgical, subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d'origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l'autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son Etat civil indique désormais le sexe dont elle a l'apparence ; que le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes ne fait pas obstacle à une telle modification ; […] ».]] : L’existence d’un « syndrome transsexuel » (ou d’une dysphorie de genre [[La dysphorie de genre (ou incongruence de genre) est une détresse cliniquement significative ou une altération fonctionnelle associée à une incongruence entre le sexe expérimenté/exprimé et le sexe attribué à la naissance (George R. BROWN, « Dysphorie de genre (incongruence de genre) », le Manuel MSD ).]]), c’est-à-dire que le transsexualisme doit être médicalement diagnostiqué ; Une opération médico-chirurgicale réalisée dans un but thérapeutique afin de faire disparaitre les caractères de son sexe d’origine ; Il doit être constaté que l’intéressé possède l’apparence et le comportement du nouveau sexe. La constatation de ces trois conditions permettait au droit au respect de la vie privé (art. 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droit de l’Homme [CESDH] : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ») d’ouvrir une exception à l’immutabilité et l’indisponibilité de l’état des personnes donnant ainsi droit au changement de la mention relative au sexe de l’individu. Cette posture est consolidée par quatre arrêts de la Cour de cassation [[Cass. 1ère civ., 7 juin 2012, pourvois n°10-26.947 et n°11-22.490 ; Cass. 1ère civ., 13 février 2013, pourvois n°11-14.515 et n°12-11.949. Voir également circulaire de la DACS n°Civ/07/10 du 14 mai 2010 relative aux demandes de changement de sexe à l’état civil au Bulletin Officiel du Ministère de la Justice et des Libertés n°2010-03 du 31 mai 2010 : « […] vous pourrez donner un avis favorable à la demande de changement d’état civil dès lors que les traitements hormonaux ayant pour effet une transformation physique ou physiologique définitive, associés, le cas échéant, à des opérations de chirurgie plastique (prothèses ou ablation des glandes mammaires, chirurgie esthétique du visage...), ont entraîné un changement de sexe irréversible, sans exiger pour autant l’ablation des organes génitaux.».]] qui confirment la nécessité de constater l’existence d’un « syndrome transsexuel » et précisent que la conversion sexuelle doit être irréversible, c’est-à-dire sans « marche arrière » possible ni « mi-chemin ». Cette dernière précision (c’est-à-dire le caractère irréversible de la conversion sexuelle) est en cohérence avec le principe d’indisponibilité de l’état des personnes. En effet, s’il admet une exception à l’immutabilité c’est à la condition de proscrire tant un « état yoyo » c’est-à-dire une oscillation (du fait de la seule volonté de l’individu) entre « l’état d’homme » (aspect androïde, gonade mâle) et « l’état de femme » (aspect gynoïde, gonade femelle), que des hiatus tenant soit de la configuration « aspect androïde/gonade femelle » soit de la configuration « aspect gynoïde/gonade mâle ». Le principe d’indisponibilité connote une recherche de stabilité qui doit, pour se faire, s’affranchir du « bon vouloir » de l’individu. Dans le cadre de la question de la mention relative au sexe de l’individu, il doit y avoir un élément supérieur à la volonté, un ordre qui la transcende [[George R. BROWN, « Dysphorie de genre (incongruence de genre) », le Manuel MSD. Voir également l’Avis sur l'identité de genre et sur le changement de la mention de sexe à l'état civil, Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), §20 : « […] s’affirmer homme ou femme n’est pas une question de choix ni de volonté et ne relève pas d’une décision arbitraire, conjoncturelle ou fantasmatique : cette affirmation est au contraire toujours liée à une conviction profonde qui est souvent ressentie dès l’enfance, et qui relève, non pas d’une identification passagère, mais bien de l’identité même du sujet, de ce qu’il est. […] ».)]] : la preuve de la réalité du « syndrome transsexuel ».
Ainsi, l’existence de la dysphorie de genre surpassant la volonté de l’individu (l’Avis sur l'identité de genre et sur le changement de la mention de sexe à l'état civil, Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme [CNCDH], §20.), contraignant ce dernier à une conversion sexuelle (ou réassignation sexuelle) qui ne peut qu’être irréversible (« sans exiger pour autant l’ablation des organes génitaux » : circulaire de la DACS n°Civ/07/10 du 14 mai 2010) du fait du syndrome transsexuel. Cette perspective pose l’indisponibilité et l’immutabilité dans la sphère de l’inviolabilité du corps humain, principe à valeur constitutionnelle, prônant « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation […] » [[Conseil Constitutionnel, décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994.]] y compris celles que s’infligeraient l’individu à lui-même [[L’Avis sur l'identité de genre et sur le changement de la mention de sexe à l'état civil, Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), §22 : « […] Le rapport de la Haute Autorité de santé datant de 2009 […] souligne que, dans le cadre du processus médical menant à la transformation morphologique du patient transsexuel, le diagnostic de dysphorie de genre est exigé en tant que diagnostic différentiel, afin de garantir aux médecins, en amont du traitement endocrinologique ou chirurgical, que la souffrance du patient ne provient pas d’autres causes possibles, comme la maladie mentale. ».]], sauf circonstances particulières, en l’occurrence, la preuve de la réalité du « syndrome transsexuel ». Le diagnostic de dysphorie de genre est constitutif (à lui seul) de l’intérêt légitime justifiant la modification de la mention du sexe à l’état civil ; L’exigence du caractère irréversible de la réassignation sexuelle ayant été jugée, par la Cours Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme en date du 6 avril 2017 [[Décision du 6 avril 2017, requêtes n° 79885/12, n°52471/13 et n°52596/13]], comme une violation de l’article 8 de la CESDH. Ce qui laisse entre-ouvert un risque juridique tenant au traitement des demandes prônant un « état yoyo » [[C’est-à-dire une oscillation (du fait de la seule volonté de l’individu) entre « l’état d’homme » (aspect androïde, gonade mâle) et « l’état de femme » (aspect gynoïde, gonade femelle).]] ou/et les questions juridiques qu’imposeront les situations de hiatus tenant soit de la configuration « aspect androïde/gonade femelle » soit de la configuration « aspect gynoïde/gonade mâle ». En effet, comment seront traitées, par le droit français, les questions de filiation de personnes « réassignées sexuellement » à l’état civil en tant que femme (par exemple) mais qui ont conservé leurs gonades mâles et qui ont procréé en tant que mâle ? Indiscutablement, il y aura un lien biologique, en l’occurrence paternel alors que l’individu a été réassigné sexuellement en tant que femme bien qu’ayant un système de reproduction mâle. En outre, en l’état actuel du droit, il ne peut y avoir deux mères biologiques (art. 320 du code civil) inscrites sur l’acte de naissance (art. 311-25 du Code civil) ; surtout que, biologiquement, en l’espèce, il y a un père et une mère. Quelle mention de filiation pour le « géniteur-mère » [[Cass. 1ère civ., 16 septembre 2020, pourvoi n°18-50.080 : « En l'état du droit positif, une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l'état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles, n'est pas privée du droit de faire reconnaître un lien de filiation biologique avec l'enfant, mais ne peut le faire qu'en ayant recours aux modes d'établissement de la filiation réservés au père. Ces dispositions du droit national sont conformes à l'intérêt supérieur de l'enfant, d'une part, en ce qu'elles permettent l'établissement d'un lien de filiation à l'égard de ses deux parents, élément essentiel de son identité et qui correspond à la réalité des conditions de sa conception et de sa naissance, garantissant ainsi son droit à la connaissance de ses origines personnelles, d'autre part, en ce qu'elles confèrent à l'enfant né après la modification de la mention du sexe de son parent à l'état civil la même filiation que celle de ses frère et sœur, nés avant cette modification, évitant ainsi les discriminations au sein de la fratrie, dont tous les membres seront élevés par deux mères, tout en ayant à l'état civil l'indication d'une filiation paternelle à l'égard de leur géniteur, laquelle n'est au demeurant pas révélée aux tiers dans les extraits d'actes de naissance qui leur sont communiqués. En ce qu'elles permettent, par la reconnaissance de paternité, l'établissement d'un lien de filiation conforme à la réalité biologique entre l'enfant et la personne transgenre - homme devenu femme - l'ayant conçu, ces dispositions concilient l'intérêt supérieur de l'enfant et le droit au respect de la vie privée et familiale de cette personne, droit auquel il n'est pas porté une atteinte disproportionnée, au regard du but légitime poursuivi, dès lors qu'en ce qui la concerne, celle-ci n'est pas contrainte par là-même de renoncer à l'identité de genre qui lui a été reconnue. Enfin, ces dispositions ne créent pas de discrimination entre les femmes selon qu'elles ont ou non donné naissance à l'enfant, dès lors que la mère ayant accouché n'est pas placée dans la même situation que la femme transgenre ayant conçu l'enfant avec un appareil reproductif masculin et n'ayant pas accouché. C'est en conséquence à bon droit et sans méconnaître les exigences conventionnelles qu'une cour d'appel constate l'impossible établissement d'une double filiation de nature maternelle pour l'enfant, en présence d'un refus de l'adoption intra conjugale, et rejette la demande de transcription, sur les registres de l'état civil, de la reconnaissance de maternité anténatale établie par l'épouse de la mère ».]] ?
Pour l’heure, le droit français répond à cette interrogation par l’application du régime juridique de la reconnaissance [[Cass. 1ère civ., 16 septembre 2020, pourvoi n°18-50.080.]], c’est-à-dire la mise en œuvre des articles 313 et 316 al.1 du Code civil qui établissent un mécanisme de reconnaissance en l’absence d’application de la présomption de paternité (art. 312 du Code civil : « L'enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari. »). Cette dernière n’est prescrite qu’en faveur du mari. Ainsi, de la binarité homme/femme découle la binarité père/mère, voire, le cas échéant, celle d’époux (mari)/épouse. Relater (art. 61-7 du Code civil : « Mention de la décision de modification du sexe et, le cas échéant, des prénoms est portée en marge de l'acte de naissance de l'intéressé […] ».) sur l’état civil que la mention relative au sexe est modifiée afin que l’indication homme est substituée par l’indication femme implique que l’homme devenu femme n’est plus mari. Par conséquent, il perd le bénéfice de la présomption de l’article 312 du Code civil. Pas de présomption de paternité pour le transgenre ayant obtenu la modification de la mention du sexe « homme » au profit de l’indication « femme ». Le Législateur n’a pas tiré toutes les conséquences [[Peut-être faudrait-il réfléchir à une présomption de parentalité en ajoutant deux nouveaux alinéas (l’actuel alinéa 2 aurait un positionnement in fine) à l’article 312 du Code civil qui pourrait être en ces termes : « Dans un mariage composé de personne de même sexe, l'enfant conçu pendant le mariage a pour parent l’autre conjoint. Mention est faite en marge de l’acte de naissance. ». La proposition est à parfaire mais l’essentiel y est presque. Vigilance particulière sur la situation homme/homme.]] de l’insertion dans le Code civil d’un dispositif spécifique à la modification de la mention du sexe à l’état civil notamment de ce qu’implique l’article 61-6 al. 3 du code civil (« […] Le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande. […] »). L’exigence jurisprudentielle d’une réassignation sexuelle irréversible [[Cass. Ass. Plén. 11 décembre 1992, pourvoi n°91-11.900 ; Cass. 1ère civ., 7 juin 2012, pourvois n°10-26.947 et n°11-22.490 ; Cass. 1ère civ., 13 février 2013, pourvois n°11-14.515 et n°12-11.949.]] avait pour finalité de prémunir l’ordre juridique de ce hiatus.
- L’institution d’un régime spécifique à la modification de la mention du sexe
En tout état de cause, c’est dans un contexte jurisprudentiel posant un cadre contraignant que le législateur, à l’occasion de la Loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016, insère une section 2 bis après la section 2 du chapitre II du titre II du livre Ier Code civil, relative à la modification de la mention du sexe à l’état civil (art. 61-5 à 61-8 du Code civil). Dans ce nouveau régime juridique posant une procédure spécifique à la question de la modification de la mention du sexe, il est indiscutablement pris en compte les critiques portées tant à l’encontre de la judiciarisation de la mention du sexe que de la jurisprudence [[Cass. Ass. Plén. 11 décembre 1992, pourvoi n°91-11.900 ; Cass. 1ère civ., 7 juin 2012, pourvois n°10-26.947 et n°11-22.490 ; Cass. 1ère civ., 13 février 2013, pourvois n°11-14.515 et n°12-11.949.]] de la Cour de cassation par la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) dans son avis (du 27 juin 2013) sur l'identité de genre et sur le changement de la mention de sexe à l'état civil. Ainsi, l’article 61-5 du Code civil [[Article 61-5 du Code civil : « Toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l'état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification. Les principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens, peuvent être : 1° Qu'elle se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ; 2° Qu'elle est connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou professionnel ; 3° Qu'elle a obtenu le changement de son prénom afin qu'il corresponde au sexe revendiqué ; ».]] consacre très partiellement la jurisprudence de la Cour de cassation car, sans exiger la preuve de la réalité de l’existence du « syndrome transsexuel », elle maintien l’exigence « atténuée » de la preuve d’un « état transsexuel [[L’Avis sur l'identité de genre et sur le changement de la mention de sexe à l'état civil, Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), note de bas de page n°1 : Personnes « […] qui ont bénéficié d’une chirurgie ou d’un traitement hormonal de réassignation sexuelle […] »]] » ou d’un « état transgenre [[L’Avis sur l'identité de genre et sur le changement de la mention de sexe à l'état civil, Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), note de bas de page n°1 : « Personnes […] pour lesquels l’identité de genre ne correspond pas au sexe biologique et qui n’ont pas entamé de processus médical de réassignation sexuelle […] »]] » par la réunion de « suffisamment » de faits propres à démontrer l’intérêt légitime de la demande de modification de la mention du sexe. Ces faisceaux d’indices peuvent être rapportés par tous moyens. L’article 61-5 du Code civil propose une liste non exhaustive. Le demandeur pourra puiser dans cette dernière tout ou partie des éléments listés mais pourra en proposer qui n’y figure pas. En tout état de cause, ils doivent permettre au juge de jauger le caractère sérieux et réel des circonstances autorisant la modification de ladite mention ; sans que ce dernier ne puisse refuser la modification en raison de l’absence de motif médical (art. 61-6 al.3 du Code civil : « […] Le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande. […] »). Il est vrai que sur ce point, la jurisprudence [[Cass. Ass. Plén. 11 décembre 1992, pourvoi n°91-11.900 ; Cass. 1ère civ., 7 juin 2012, pourvois n°10-26.947 et n°11-22.490 ; Cass. 1ère civ., 13 février 2013, pourvois n°11-14.515 et n°12-11.949.]] de la Cour de cassation était intrusive tant au niveau de l’intimité de la vie privée des personnes concernées que sur la question de inviolabilité du corps humains. Cela dit en passant, ce dernier principe est opposable tant aux tiers qu’à la personne elle-même. En outre, le droit au respect de la vie privé n’a pas non plus vocation à dissoudre l’intégrité de l’intérêt général au profit de la pluralité des conceptions subjectives et intrapersonnelles de l’identité de genre par rapport au sexe anatomique. En effet, aucun principe ni aucun droit n’étant absolu [[Il existe deux concepts qui en atteste : Théorie générale de l’abus de droit ou de liberté ; Mécanisme de l’atteinte proportionnée au regard du but légitime poursuivi.]]. En effet, une liberté, un droit, un principe fondamental peut être ébréché dès lors que l’atteinte « portée n’est pas disproportionnée, au regard du but légitime poursuivi ». Dès lors, il semblait opportun de maintenir une certaine rationalité sur la question de l’état des personnes. D’ailleurs, il « était » là le rôle des principes d’indisponibilité et d’immutabilité. La juridicisation de l’identité de genre [[George R. BROWN, « Dysphorie de genre (incongruence de genre) », le Manuel MSD : « […] L'identité de genre est le sentiment subjectif d'appartenir à un sexe ; c'est-à-dire, le fait de se considérer comme un homme, une femme, un transgenre ou tout autre terme identifiant (p. ex., genderqueer, non binaire, agender [identité de genre non normative et non binaire]). […] ». Voir également l’Avis sur l'identité de genre et sur le changement de la mention de sexe à l'état civil, Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), note de bas de §8 : « […] La définition donnée dans les principes de Jogjakarta est la suivante : « L’identité de genre fait référence à l’expérience intime et personnelle de son genre profondément vécue par chacun, qu’elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance, y compris la conscience personnelle du corps (qui peut impliquer, si consentie librement, une modification de l’apparence ou des fonctions corporelles par des moyens médicaux, chirurgicaux ou autre) et d’autres expressions du genre, y compris l’habillement, le discours et les manières de se conduire. » […] ».]] est un calcul périlleux.
L’état des personnes, les actes de l’état civil ont un impact socio-administratif indiscutable. Cependant, il s’agit d’un état juridique qui, à ce titre, doit être la transcription d’une réalité objective. Ainsi, il y a hiatus lorsque la modification de la mention du sexe conduit à la « réassignation sexuelle » d’un homme en femme (ou l’inverse) alors qu’anatomiquement il s’agit encore d’un homme [[Cass. 1ère civ., 16 septembre 2020, pourvoi n°18-50.080 : « […] une personne transgenre homme devenu femme qui, après la modification de la mention de son sexe dans les actes de l'état civil, procrée avec son épouse au moyen de ses gamètes mâles […] ».]]. Dans une telle hypothèse, l’acte de l’état civil relate (car là, le terme « transcrire » ne convient plus) un état subjectif voire une fiction or cela n’est pas son rôle. Ainsi, de ce point de vue, la création au niveau de la mention relative au sexe d’une troisième option qui permettrait de transcrire la réalité anatomique des personnes qui ne sont ni homme/ni femme ou « un peu des deux » doit être appréhendée par le Législateur car le juge doit s’en tenir à la binarité sexuelle posée par le droit positif [[Cass. 1ère civ., 4 mai 2017, pourvoi n°16-17.189 : « […] La loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l'état civil, l'indication d'un sexe autre que masculin ou féminin. Si l'identité sexuelle relève de la sphère protégée par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l'état civil poursuit un but légitime en ce qu'elle est nécessaire à l'organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur. La reconnaissance par le juge d'un "sexe neutre" aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination. En l'espèce, la cour d'appel ayant constaté que le demandeur avait, aux yeux des tiers, l'apparence et le comportement social d'une personne de sexe masculin, conformément à l'indication figurant dans son acte de naissance, a pu en déduire que l'atteinte portée au droit au respect de sa vie privée, par le refus de la mention d'un sexe "neutre" dans son acte de naissance, n'était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi […] »]]. Or, la juridicisation de l’identité de genre pose un problème de compatibilité avec la binarité sexuelle qui, pour l’heure, est une règle dans notre ordre juridique. Faut-il s’en affranchir ?
- L’affranchissement de l’état des personnes de la fiction de la binarité sexuelle
L’identité de genre relève de l’expérience intimement personnelle (ou intrapersonnelle) qu’un individu a avec le sexe anatomique qui est le sien à sa naissance. Il s’agit également de la conscientisation (apaisée ou non) de la correspondance du genre « adoptée » par l’individu [[George R. BROWN, « Dysphorie de genre (incongruence de genre) », le Manuel MSD : « Le mot Genre fait référence au rôle public d'une personne, à son rôle de garçon ou de fille, d'homme ou de femme. ».]] avec son sexe anatomique. En claire, l’identité de genre est une question qui concerne l’intimité de la vie privée au même titre que l’orientation sexuelle ou la conviction religieuse…
C’est à ce titre, que cette donnée personnelle sensible ne devrait pas être transcrite dans un acte de l’état civil, ni dans aucun acte quel qu’il soit au même titre que l’orientation sexuelle, les convictions religieuses ou politiques doivent faire l’objet d’une indifférence institutionnelle. Pourtant, à l’instar de textes internationaux (qui n’ont pas la même finalité normative que le droit interne), le Législateur français, par culpabilité ou/et envie de bien faire, est en train d’adopter cet écueil de juridicisation de l’identité de genre.
Ce propos ne consiste pas à nier l’existence d’une problématique quant à la prise en compte de la réalité sexuelle d’un individu sans pour autant tomber dans le pluralisme de la subjectivité qu’exprime l’identité de genre, et sans pour autant stigmatiser une minorité ni, non plus, la discriminée. C’est d’ailleurs, bien de ce dernier point dont il s’agit de se prémunir.
- La binarité sexuelle cadre juridique de la mention relative au sexe de l’individu
La binarité sexuelle de l’état des personnes et, par voie de conséquence, des actes de l’état civil est certainement appréhendable comme une violence psychologique pour la minorité qui ne s’y retrouve pas. Parallèlement, la nature sexuée de l’espèce humaine prône « statistiquement, biologiquement et socialement » une binarité homme/femme, père/mère… L’acte de l’état civil « se contente » [[C’est dans ce « constat » que réside toute la force et fiabilité juridique des actes de l’état civil.]] de transcrire ce qui est déclaré (art. 55 et 56 du Code civil) à l’officier de l’état civil compte tenu du constat qui est fait du résultat de la « loterie sexuée humaine » : homme ou femme.
Cependant, par la loi n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, le Législateur introduit dans l’ordre juridique la situation des personnes présentant une variation du développement génital (art. 57 al.2 et 99 al.2 du Code civil ; art. L2131-6 du Code de la santé publique). « Les variations du développement génital sont des situations cliniques rares où l’anatomie des organes génitaux est inhabituelle, à cause d’une combinaison rare des gono-somes (chromosomes X et/ou Y), d’une variation du développement des testicules ou des ovaires, ou bien de la sécrétion et/ou de l’action des hormones sexuelles. » (L. MARTINERIE et C. BOUVATTIER, « Les enfants présentant une variation du développement génital », Bulletin de l’académie de médecine, Colloque du 20/10/2021 : « Loi de bioéthique du 2 août 2021, quel impact sur nos vies ? » organisé par l’Université de Paris (Paris Descartes), l’Institut Droit et Santé (UMR_S 1145), le Comité éthique et cancer, l’Académie nationale de médecine.). Dès lors, au regard de cette réalité biologique, malgré sa rareté, le Législateur a posé un dispositif ad hoc. En effet, dans le Code civil, il est aménagé un délai (Trois mois à compter du jour de la déclaration de naissance ; art. 57 al. 2 du code civil.) permettant à l’officier de l’état civil, autorisé par le procureur de la République, à ne pas indiquer le sexe de l’enfant sur l’acte de naissance [[Il est ainsi consacré Législativement la posture recommandée par le paragraphe 55 de la circulaire du 28 octobre 2011 relative aux règles particulières à divers actes de l’état civil relatifs à la naissance et à la filiation : « […] Lorsque le sexe d’un nouveau-né est incertain, il convient d’éviter de porter l’indication « de sexe indéterminé » dans son acte de naissance. Il y a lieu de conseiller aux parents de se renseigner auprès de leur médecin pour savoir quel est le sexe qui apparaît le plus probable compte tenu, le cas échéant, des résultats prévisibles d’un traitement médical. Ce sexe sera indiqué dans l’acte, l'indication sera, le cas échéant, rectifiée judiciairement par la suite en cas d’erreur. Si, dans certains cas exceptionnels, le médecin estime ne pouvoir immédiatement donner aucune indication sur le sexe probable d’un nouveau-né, mais si ce sexe peut être déterminé définitivement, dans un délai d’un ou deux ans, à la suite de traitements appropriés, il pourrait être admis, avec l’accord du procureur de la République, qu’aucune mention sur le sexe de l’enfant ne soit initialement inscrite dans l’acte de naissance. Dans une telle hypothèse, il convient de prendre toutes mesures utiles pour que, par la suite, l’acte de naissance puisse être effectivement complété par décision judiciaire. Dans tous les cas d’ambiguïté sexuelle, il doit être conseillé aux parents de choisir pour l’enfant un prénom pouvant être porté par une fille ou par un garçon. […] ».]]. L’inscription de la mention du sexe est réalisée à l’issue d’un constat médical de ce dernier. Le cas échéant, le prénom est rectifié en conséquence. En outre, l’article 99 al. 2 du Code civil, permet, ultérieurement, à la personne présentant une variation du développement génital, de pouvoir demander la rectification de la mention du sexe afin de la faire correspondre avec le constat médical.
La construction de ce dispositif est rationnelle, s’appuyant (logiquement) sur un constat médical afin que l’acte de l’état civil corresponde à la réalité. Il y a un contraste manifeste entre ce régime juridique et celui posé par l’article art. 61-6 al.3 du Code civil [[« […] Le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande. […] »]]. Pour cause, aux articles 57 al. 2 et 99 al. 2 du Code civil ne fait pas entrer dans le champ juridique la question de l’identité de genre. Dans les articles 57 al. 2 et 99 al. 2 du Code civil, il est consacré l’importance du diagnostique médical alors que dans le régime posé par les articles 61-5 à 61-8 du même Code, n’a pas été consacrée l’exigence d’un diagnostic médical prôné par la jurisprudence [[Cass. Ass. Plén. 11 décembre 1992, pourvoi n°91-11.900 ; Cass. 1ère civ., 7 juin 2012, pourvois n°10-26.947 et n°11-22.490 ; Cass. 1ère civ., 13 février 2013, pourvois n°11-14.515 et n°12-11.949.]].
- L’institution d’un régime dérogatoire au profit des personnes présentant une variation du développement génital
La perception de l’état des personnes en 2D (c’est-à-dire binaire) tient le choc dès lors que n’entre pas en ligne de compte la question de l’identité de genre qui doit rester dans la sphère de l’intimité de la vie privée. L’appréhension binaire ne se précarise pas non plus lorsqu’est traitée la question du transsexualisme car ce dernier reste tout de même dans le sillage de la binarité sexuelle. En effet, le transsexualisme renvoie à la situation d’un homme qui se vie femme, d’une femme qui se vie homme. Ce hiatus est traité juridiquement lorsque la transformation physique ponctue ou est ponctuée par une modification de la mention du sexe et du prénom. La perception binaire semble devenir fictive lorsque la question à traiter est celle du transgenre, c’est-à-dire qu’il y a bien le hiatus précédemment décrit homme qui se vie femme, d’une femme qui se vie homme, mais la transformation physique n’est pas entamée ou a été interrompue (quel que soit le motif). Dans ce cas, le droit positif récent (art. 61-5 à 61-8 du Code civil) interdit de frustrer l’individu qui a prouvé l’existence du hiatus sexe anatomique/genre. Ainsi, ce hiatus en engendre d’autres mettant en relief de manière quelque peu biaisée la nécessité de porter une réflexion sur le passage à une perception en 3D, c’est-à-dire créé une troisième option du fait que le Législateur n’a pas tiré les conséquences de la permission posée par l’article 61-6 du Code civil. Ce qui pose la question de la posture que doit prendre le juge et, à bref délai le Législateur, lorsque la personne transgenre [[L’Avis sur l'identité de genre et sur le changement de la mention de sexe à l'état civil, Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH), note de bas de page n°1 : « Personnes […] pour lesquels l’identité de genre ne correspond pas au sexe biologique et qui n’ont pas entamé de processus médical de réassignation sexuelle […] »]] et (surtout) la personne présentant une variation du développement génital (art. L2131-6 du Code de la santé publique ; art. 57 al.2 du Code civil) se trouve dans le cas d’une pérennisation de l'impossibilité médicale de déterminer le sexe.
Si pour répondre à cette problématique, il est pris en compte la donnée personnelle sensible qu’est l’identité de genre alors il faudra effectivement que soit posée la question de la création d’une troisième option « intersexe » ou « sexe neutre ».
Dans l’espèce dont a été saisie la Cour EDH (CEDH, 31 janvier 2023, requête n° 76888/17, Y c. France.), le juge du fond a été « audacieux » ou téméraire (TGI Tours, 2e ch. civ., 20 août 2015 : « […] Par ailleurs, la demande de X se heurte à aucun obstacle juridique afférent à l'ordre public, dans la mesure où la rareté avérée de la situation dans laquelle il se trouve ne remet pas en cause la notion ancestrale de binarité des sexes, ne s'agissant aucunement dans l'esprit du juge de voir reconnaître l'existence d'un quelconque « troisième sexe », ce qui dépasserait sa compétence, mais de prendre simplement acte de l'impossibilité de rattacher en l'espèce l'intéressé à tel ou tel sexe et de constater que la mention qui figure sur son acte de naissance est simplement erronée. C'est pourquoi conviendra-t-il d'ordonner que soit substituée dans son acte de naissance à la mention « de sexe masculin », la mention « sexe : neutre », qui peut se définir comme n'appartenant à aucun des genres masculin ou féminin, préférable à « intersexe » qui conduit à une catégorisation qu'il convient d'éviter (ne s'agissant pas de reconnaître un nouveau genre) et qui apparaît plus stigmatisante. […] ».). En effet, à l’issue d’un raisonnement contenant quelques contradictions, le juge de première instance s’octroie le pouvoir de réformer la Loi sur la tenue de l’état civil. Le juge met en relief la rareté de la situation, souligne l’autorité de la binarité sexuelle dans l’ordre juridique (« […] remet pas en cause la notion ancestrale de binarité des sexes […] »), indique ne pas reconnaître l’existence d’un troisième sexe pourtant crée une troisième option qui sera nécessairement stigmatisante quel que soit la locution consacrée car elle mettra en relief une donnée personnelle sensible : l’identité de genre.
C’est dans ce sens que la Cour de cassation, en date du 4 mai 2017 (pourvoi n°16-17.189), rejette le pourvoi formé contre la décision d’appel qui censure le jugement du TGI de Tours ((TGI Tours, 2e ch. civ., 20 août 2015.) : « […] Mais attendu que la loi française ne permet pas de faire figurer, dans les actes de l'état civil, l'indication d'un sexe autre que masculin ou féminin ; Et attendu que, si l'identité sexuelle relève de la sphère protégée par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la dualité des énonciations relatives au sexe dans les actes de l'état civil poursuit un but légitime en ce qu'elle est nécessaire à l'organisation sociale et juridique, dont elle constitue un élément fondateur ; que la reconnaissance par le juge d'un "sexe neutre" aurait des répercussions profondes sur les règles du droit français construites à partir de la binarité des sexes et impliquerait de nombreuses modifications législatives de coordination ; […] ». Sans s’appesantir sur la question de l’identité de genre (« l'identité sexuelle »), le juge du droit met en relief la nécessité de protéger le but légitimement poursuivi par le législateur en restreignant la perception de l’état civil à la binarité sexuelle. En l’espèce, le corps médical rencontrait des difficultés à déterminer le sexe de l’intéressé tant il était en prise à une contrariété (ambiguïté sexuelle) entre son sexe chromosomique (caryotype XY, c’est-à-dire masculin), son sexe anatomique (existence d’un vagin rudimentaire et existence d’un micropénis). À ce titre, le juge d’appel procède à la recherche de faisceaux d’indices qui ont mis en relief une correspondance entre son apparence, sa vie sociale et le sexe indiquée dans l’acte de l’état civil. C’est la méthode qui permettra aux juges de régler l’ongle mort du dispositif posé par les articles 57 al. 2 et 99 al. 2 du Code civil. En effet, insérés dans le Code civil par la loi n°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique, donc postérieurement à la décision de la Cour de cassation, en date du 4 mai 2017 (pourvoi n°16-17.189), le dispositif relatif aux personnes présentant une variation du développement génital repose principalement sur le constat médical du sexe de l’individu. Ainsi, si la médecine est dans une impasse, c’est-à-dire lorsque l’impossibilité de déterminer le sexe de l’individu se consolide, alors il faut une solution alternative. Cette dernière n’est pas posée par les articles dédiés. Par conséquent, la démarche méthodologique de la Cour d’appel d’Orléans, en date du 22 mars 2016 n°15/03281 [[Marie-Xavière CATTO, « de la neutralité biologique à la masculinité juridique. Note sur la qualification de la cour d’appel d’orléans, le 22 mars 2016 » ; RDLF 2016, Chron. 18.]], confortée par la Cour de cassation [[Cass. 1ère civ., 4 mai 2017, pourvoi n°16-17.189.]] offre une alternative crédible à une situation caractérisée par sa rareté [[Estimée à 2% des naissances en 2009 d’après une étude de la Haute Autorité de Santé évoquée dans le rapport d’information sur « les variations du développement sexuel : lever un tabou, lutter contre la stigmatisation et les exclusions » ; pa. 22.]].
La Cour Européenne des Droits de l’Homme du 31 janvier 2023 (CEDH, 31 janvier 2023, requête n° 76888/17, Y c. France) a pris acte de l’évolution législative sur la question par la loi n°2021-1017 (paragraphes n°18 à 20, p. 9, de l’arrêt CEDH précité) et souligne qu’en « […] l’absence de consensus européen en la matière, il convient donc de laisser à l’État défendeur le soin de déterminer à quel rythme et jusqu’à quel point il convient de répondre aux demandes des personnes intersexuées, tel que le requérant, en matière d’état civil, en tenant dûment compte de la difficile situation dans laquelle elles se trouvent au regard du droit au respect de la vie privée en particulier du fait de l’inadéquation entre le cadre juridique et leur réalité biologique. Elle rappelle sur ce point que la Convention est un instrument vivant, qui doit toujours s’interpréter et s’appliquer à la lumière des conditions actuelles, et que la nécessité de mesures juridiques appropriées doit donc donner lieu à un examen constant eu égard, notamment, à l’évolution de la société et de l’état des consciences […] ».
À ce titre, pour l’heure, le récent régime juridique posé au profit des personnes présentant une variation du développement génital semble en capacité de tenir son rôle. Cependant, reste à combler législativement le vide juridique révélé par la situation caractérisée par l’impossibilité consolidée de déterminer médicalement le sexe de l’individu. La Cour de cassation [[Cass. 1ère civ., 4 mai 2017, pourvoi n°16-17.189.]] consacre une alternative à l’indétermination médicale en prônant une méthodologie de rattachement à un sexe par le biais de l’exploration et la réunion suffisante de faits qui doivent permettre de déterminer le sexe le plus vraisemblable. Cela doit être dans une vigilance particulière portée à la proportionnalité de l’utilisation de cette alternative de rattachement à un sexe au regard de l’atteinte portée au respect de la vie privée compte tenu du but légitime poursuivi de préservation de l’ordre juridique dont la binarité sexuelle est un pilier fondamental. Peut-être aussi est-ce là l’occasion de prendre conscient que notre législation, profondément sexuée, devrait davantage se centrer sur l’être humain plutôt que son sexe ?