Au sein de la doctrine kelsénienne1 il est fait usage du terme « observance comme réaction spécifique à un commandement2 ». En effet, Hans KELSEN met en relief cette notion notamment lorsqu’il propose une approche analytique du rapport existant entre ce qu’il observe comme étant deux faits. C’est ainsi que, d’une part, il décrit le premier fait, c'est-à-dire « l’énonciation linguistique » qu’il appréhende comme « l’énonciation d’un commandement ». Puis, d’autre part, il présente le second fait comme une réaction au premier et qu’il faut donc appréhender comme « l’observance ». Avant d’entamer son analyse « scientifique » du phénomène d’observance, cet auteur pose un impératif qui découle d’ailleurs d’une observation qui se veut scientifique : il y a relation de cause à effet uniquement si invariablement un même fait est toujours la cause d’un autre fait qui réalise toujours le même effet. De là, KELSEN se pose deux questions. La première le mène à s’interroger sur les critères qui doivent être pris en compte afin d’effectuer la distinction entre un énoncé linguistique qui pose un commandement et celui qui n’en pose pas ? Enfin, la seconde question qui est issue du même élan que la première, s’attache également à rechercher les critères qui permettraient de distinguer un comportement constitutif d’une observance d’un comportement qu’il ne l’ait pas ?
La finalité de ses interrogations consistait à cibler un réel rapport de cause à effet entre une énonciation linguistique (écrite ou verbale) qui exprimerait un commandement et la réaction à cette énonciation qui se matérialiserait par un comportement d’observance, c'est-à-dire une attitude conforme aux prescriptions de l’énoncé. Le terme « observance », semble-t-il doit être préféré à celui d’obéissance3 dans la mesure où il a une connotation neutre qui ne suppose pas, par conséquent, une donnée subjective tel le respect. L’analyse est expurgée de tout jugement de valeur. C’est une étude « pure4 » de la causalité spécifique à l’observance.
Un principe de causalité spécifique aux liens qui existent entre un commandement et son observance ne peut être extirpé de la relation existant entre deux faits s’il y a ni différenciation entre les énoncés ni différenciation entre les comportements. Hans KELSEN, dans une démonstration5, qui ne sera pas reprise ici, établit, dans un premier temps, qu’il n’y a pas de différence apparente entre une énonciation linguistique ayant force de commandement et celle qui n’a pas force de commandement dans la mesure où sur le plan anatomique, les mêmes organes sont mis en œuvre. Ce qui lui permet de relever que la différenciation entre les énonciations ne tient pas, a priori, à une donnée matérielle (physique), mais à la « signification » qui y est attachée. Ainsi, la distinction doit être effectuée entre « l’expression linguistique et la signification de l’expression ». Du concept de la signification de l’expression linguistique comme qualificatif de la tonalité de commandement d’une énonciation, Hans KELSEN déduit qu’un « processus intérieur » est indispensable aussi bien chez le destinateur que chez le destinataire (ou « adressataire », chez KELSEN) pour qu’il y ait une causalité entre l’énoncé et le comportement spécifique d’observance.
Dans le second temps de sa réflexion6, l’auteur admet que sur le plan de la forme de l’énonciation, il est possible de différencier un ordre, qui est assimilable à un énoncé ayant la signification d’un commandement, à d’autres énoncés qui n’ont que l’apparence d’un commandement ; Tel est le cas, par exemple, d’une requête ou d’une supplication. En effet, dans cette hypothèse, la différenciation s’effectue grâce à l’intensité du ton impératif de chacune de ces énonciations. Cependant, le statut « d’ordre » d’une énonciation qui a une signification de commandement n’implique pas la force obligatoire liée à la validité de cet énoncé particulier qu’est la norme juridique pour laquelle il est recherché un effet spécifique, c'est-à-dire un comportement conforme à la prescription contenue par la signification, autrement dit une observance systématique. Aussi, au sein du « processus intérieur » évoqué par l’auteur, mais au-delà de la signification de l’expression linguistique. Il faut également prendre en compte le statut du destinateur au regard du destinataire. Cela signifie que l’ordre assimilable à un énoncé ayant force de commandement peut revêtir la qualification particulière de norme juridique et peut escompter une observance systématique uniquement si son destinateur à une légitimité7 ou quelque chose d’approchant qui valide l’état escompté. De ce point de vue l’observance serait un fait purement organique dans la mesure où la signification de commandement de l’énoncé semble dépendre davantage du statut du destinateur que du contenu de l’énonciation. Ainsi, l’énonciation est perçue comme un commandement parce qu’il émane de l’entité qui gouverne et qui émet habituellement8 des commandements. Il y a inévitablement un processus intellectuel qui intervient. Ce dernier est le lien qui permet le rapport causal entre les deux faits précédemment décrits, c'est-à-dire l’énonciation et le comportement. Cette causalité qui a une manifestation physique indiscutable (action) a pour primat une sphère idéelle devant être marquée par la concordance signification - comportement. L’observance est une réaction affirmative à l’énonciation. Cependant, il peut se produire une réaction infirmative : la transgression.
Le comportement non conforme à la signification de l’expression est un fait qui ne manque pas de démontrer l’intervention d’un « processus intérieur » dans le rapport de cause à effet entre l’énonciation et le comportement. Le phénomène de transgression par son existence prouve la particularité de l’observance ; inversement, le phénomène d’observance par son existence prouve la particularité de la transgression. À eux deux, ces phénomènes consolident le principe d’un « processus intérieur » inéluctable. Cela étant, cette vision pose le rapport statut - signification – comportement dans un monde profondément idéel9 qui provoque la prise en compte d’autres données intellectuelles telle la reconnaissance10 ou encore le consentement11. Alors, il est important de procéder à un cheminement vers la sujétion qui doit être appréhendée tel l’aspect praxique12, c'est-à-dire une action en vue d’un résultat pratique, et syncrétique13 de la causalité de l’observance comme celle de la transgression, en ce qu’elle propose la structuration par un processus matériel des rapports de cause à effet évoqués précédemment.
Ce processus matériel est la réalisation fonctionnelle du phénomène psychologique14 que représente le « processus intérieur ». L’HOMO JURIDICUS15 fragiliserait son état s’il laissait l’effectivité16 et l’efficacité de ce dernier à l’intersubjectivité17 qui pose un aléa manifeste. Il ne peut laisser au seul phénomène psychologique la réalisation de son ordre juridique. Par conséquent, la sujétion est un point de vue purement objectif18 et opérationnel, c'est-à-dire que l’action n’est pas portée sur le processus mental qui qualifie l’observance mais sur l’effectivité de l’adéquation ou l’inadéquation du comportement à la norme juridique posée. C’est ainsi que le rapport de cause à effet spécifique à l’observance et à la transgression, doit être instrumentalisé19. Le concept fonctionnel de sujétion pose une directive de réalisation méthodique et opérationnelle de l’ordre juridique. Cela étant, il y a également une autre facette de ce phénomène psychologique notamment identifié par l’observance qu’il est nécessaire de mettre en relief et d’analyser. Il s’agit de l’observance d’un commandement que le destinateur s’adresse à lui-même ; De telle sorte qu’il est possible d’appréhender ce phénomène comme l’expression d’une sujétion réflexive (autorégulation ou autolimitation). Ces deux facettes de la sujétion sont les éléments constitutifs de l’intégrité et de la plénitude de la justiciabilité.
1. Hans KELSEN, « Théorie générale des normes » ; Traduit de l’allemand par Olivier BEAUD et Fabrice MALKANI ; Léviathan – PUF. Hans KELSEN, « Théorie générale du droit et de l’état » ; traduit par Béatrice LAROCHE et Valérie FAURE ; LGDJ/BRUYLANT – La pensée juridique. Han KELSEN, « Théorie pure du droit » ; traduit par Charles EISANMANN ; DALLOZ (1962).
2. Hans KELSEN, « Théorie générale des normes » ; Traduit de l’allemand par Olivier BEAUD et Fabrice MALKANI ; Léviathan – PUF.
3. Quoique d’autres auteurs notamment Max WEBER (sociologie) n’appréhende pas cette nuance dans son œuvre : Max WEBER, « économie et société/1 ; les catégories de la sociologie » ; Agora – Pocket (PLON).
4. Han KELSEN, « Théorie pure du droit » ; traduit par Charles EISANMANN ; DALLOZ (1962).
5. Hans KELSEN, « Théorie générale du droit et de l’état » ; traduit par Béatrice LAROCHE et Valérie FAURE ; LGDJ/BRUYLANT – La pensée juridique.
6. Hans KELSEN, « Théorie générale du droit et de l’état » ; traduit par Béatrice LAROCHE et Valérie FAURE ; LGDJ/BRUYLANT – La pensée juridique.
7. Hans KELSEN, « Théorie générale du droit et de l’état » ; traduit par Béatrice LAROCHE et Valérie FAURE ; LGDJ/BRUYLANT – La pensée juridique.
8. Herbert LA HART, « Le concept de droit » ; Traduit de l’anglais par Michel VAN de KERHOVE ; Facultés universitaires Saint-Louis 2005.
9. Paul AMSELEK, « Le droit dans les esprits », p.27 in « Controverses autour de l’ontologie du droit » de Paul AMSELEK et Christophe GRZEGORCZYK ; PUF – Question (1989).
10. Hans KELSEN, « Théorie générale des normes » ; Traduit de l’allemand par Olivier BEAUD et Fabrice MALKANI ; Léviathan – PUF.
11. Idem
12. Évoqué par André-Jean ARNAUD, « Les théories structuralistes du droit », p.85 in « Controverses autour de l’ontologie du droit » dirigé par Paul AMSELEK et Christophe GRZEGORCZYK ; PUF – Questions.
13. Henry MOTULSKY, « Principes d’une réalisation méthodique du droit privé » ; Dalloz (2002).
14. Henry MOTULSKY, « Principes d’une réalisation méthodique du droit privé » ; Dalloz (2002).
15. C'est-à-dire toute entité qui a vocation à produire une norme : le Constituant, le Législateur, l’État…
16. Dominique (D’) AMBRA, Florence BENOIT-ROHMER et Constance GREWE, « Procédure (s) et effectivité des droits » ; Bruylant – Droit et Justice (2003).
17. Paul AMSELEK, « Le droit dans les esprits », p.35 in « Controverses autour de l’ontologie du droit » de Paul AMSELEK et Christophe GRZEGORCZYK ; PUF – Question (1989).
18. Hans KELSEN, « Théorie générale des normes » ; Traduit de l’allemand par Olivier BEAUD et Fabrice MALKANI ; Léviathan – PUF.
19. Paul AMSELEK, « Le droit dans les esprits », p.28 in « Controverses autour de l’ontologie du droit » de Paul AMSELEK et Christophe GRZEGORCZYK ; PUF – Question (1989).