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Profil

  • Laurent T. MONTET
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane
Docteur en droit privé.
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane Docteur en droit privé.

Thèse : "Le dualisme des ordres juridictionnels"

Thèse soutenue le 27 novembre 2014 en salle du conseil  de la faculté de droit de l'Université de Toulon

Composition du jury:

Le président

Yves STRICKLER (Professeur d'université à Nice),

Les rapporteurs: 

Mme Dominique D'Ambra (Professeur d'université à Strasbourg) et M. Frédéric Rouvière (Professeur d'université à Aix-en-Provence),

Membre du jury:

Mme Maryse Baudrez (Professeur d'université à Toulon),

Directrice de thèse :

Mme Mélina Douchy (Professeur d 'Université à Toulon).

laurent.montet@yahoo.fr


18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 23:46

 

La société est une réalité plurale, causale, transversale et hétérogène. Elle est appréhendée et même rendue justiciable par l’homo juridicus-politicus (l’État ou autres organes politiques de gouvernance) afin de fondre ce pluralisme au sein de l’unité du droit et de l’unicité de l’ordre juridique. Ces dernières données sont les efficacités recherchées au sein de l’organisation d’un système juridictionnel. Cet effort d’institutionnalisation repose sur la justiciabilité, cause et effet autant de l’efficacité que de l’effectivité du droit. La fonctionnalité cognitive de l’homo juridicus-politicus (l’État ou autres organes politiques de gouvernance), impose une perception dichotomique à ses desseins de domination, c'est-à-dire qu’il doit soumettre les autres (sujétion ordinaire) mais afin que sa domination soit acceptable, il doit également se poser des limites (sujétion réflexive). Toutefois, la crédibilité et l’acceptabilité de son autolimitation ou autorégulation sont tributaires de l’intervention d’un tiers réflexif : l’homo judicatus (l’homme ayant office de juge).

La rationalité de ce dernier est soumise à une vulgate1 irrésistible qui s’est métamorphosée au fil du temps. Alors l’homo judicatus doit voir « double ou triple » mais la réalité reste ce qu’elle est, c'est-à-dire plurale, causale, transversale et hétérogène. Par conséquent, de fait, la pluralité de juges qui suppute une fragmentation de la justiciabilité pose une fiction qui veut dénier ou feint de ne pas reconnaître l’irrésistible transversalité du « désordre naturel » gobé par l’ordre juridique pour la soumettre à une logique répartitrice qui dès lors peut paraître factice. Il y aura donc nécessairement conflit ou pire trouble fonctionnel lors de l’opération de distribution des situations justiciables.

 

La justiciabilité2 est une aptitude qui caractérise à la fois l’accessibilité et la soumission à l’institution juridictionnelle. Cette habilitation à agir (perspective active) ou à être attrait (perspective passive) devant un juge est un matériel indispensable à l’efficacité et à la crédibilité du système. Elle matérialise le caractère causatif du système juridictionnel. C’est ainsi que la justiciabilité des individus, des biens et des événements sont des données fondamentales car elles sont le produit mais également l’objet de l’ordre juridique. Elle est la cause du contrôle juridictionnel et ce sur quoi porte le travail du juge.

 

Le « principe de vision et de division3 » qui entame la fragmentation de la justiciabilité est posé dès 1641, c’est à cette époque que commence à se cristalliser le « schème classificatoire4 » notamment via un modèle despotique de division, c'est-à-dire la dualité justice retenue/justice déléguée. Le schème est consolidé en 1790 jusqu’en 1872 où il prend une autre configuration mais reste construit sur le même fondement : Un principe de séparation dominé par plusieurs interdits mais sans ligne précise et claire de démarcation. Cette incertitude est un élément de l’efficacité voulu pour le principe dès l’origine, c'est-à-dire ménager un arbitraire susceptible de permettre assez largement au roi d’évoquer auprès de lui de manière permanente les affaires qui l’intéressent. Il ne faut pas oublier que le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire de l’origine est conçu pour être une « machine de guerre » de l’absolutisme royal contre les parlements et leur activisme politico-judiciaire. La plasticité de la ligne de démarcation réalise donc l’aménagement d’une marge de manœuvre que ne permettrait pas une énumération exhaustive ; s’il en existait une elle n’avait qu’une valeur indicative5. Aussi, historiquement, le conflit d’attribution ou trouble fonctionnel est l’opportunité « d’évoquer » certaines affaires auprès de l’administrateur. Dès lors, la facticité gouvernant la logique répartitrice qui soumet la justiciabilité à une fragmentation constituait un moyen de distraction du justiciable de son juge naturel. Si l’administrateur est le « justiciable naturel » des réclamations relatives à la matière administrative cela ne fait pas pour autant de lui un juge légitime de cette question. Il n’est pas juge, il est une partie avec pouvoir d’administrer et de clore la contestation. Dans cette configuration, la fragmentation de la justiciabilité est un effet de la mise en œuvre de la sujétion réflexive d’attribution, c'est-à-dire la chance pour le destinateur-sujet de soumettre son action à une discipline établie par ses propres soins6 afin, éventuellement, de modérer ou d’exercer avec équité7 sa supériorité statutaire. La rationalisation8 du conflit d’attribution s’amorce avec l’ordonnance du 1er juin 1828. Elle est poursuivie avec l’ordonnance du 12 mars 1831. L’avancée est consolidée par la Constitution du 4 novembre 1848 (institue notamment le Tribunal des conflits) puis complétée avec le décret du 26 octobre 1849 et la loi du 4 février 1850. La consécration juridique définitive de la fragmentation de la justiciabilité est effectuée par loi du 24 mai 1872. L’arbitraire qui était inhérent à la question de l’attribution est dissous au sein d’un contentieux de l’attribution dévolue à une juridiction paritaire : le Tribunal des conflits. La fragmentation devient dès lors un élément objectif du principe de séparation des autorités judiciaires9. Cependant, certaines tares (anciennes efficacités despotiques) subsistent en la plasticité de la ligne de démarcation qui est susceptible de troubler l’intelligibilité et l’accessibilité du mécanisme d’apurement des incidents juridiques. Le risque de distraction subsiste notamment par la répugnance invincible que peut susciter cette fragmentation de la justiciabilité de masse.

 

L’autre tranche de justiciabilité fragmentée est celle du dernier né, le juge constitutionnel. L’attribution du contentieux normatif n’entre pas dans la logique de conflit car les deux autres juges ont toujours décliné leur compétence confinant cette réclamation en zone chronique de déni de justice. Mais, peut-il y avoir déni de justice sans qu’existe une justiciabilité ? Jusqu’à une certaine époque, la question de la conformité de la loi à la Constitution est déjudiciariseé.

 

Cela étant, lors de sa naissance, le Conseil constitutionnel peut être saisi unique par quatre autorités politiques : Le président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée Nationale et le président du Sénat. L’excessive restriction de la justiciabilité et la qualité de cette dernière ne laisse pas présager une grande activité du juge du contentieux normatif. D’ailleurs à l’origine, c'est-à-dire entre 1958 et 1971, il avait été conçu comme un arbitre ayant principalement pour fonction de contrôler le respect du domaine de la loi par le législateur. Cependant, par souci d’efficacité de l’institution, une loi organique n°74-904 du 29 octobre 1974 « portant révision de l'article 61 de la Constitution », organise l’extension du droit de saisine du Conseil constitutionnel à soixante députés ou sénateurs, c'est-à-dire une minorité d’opposition. Cette modification additionnée à l’apport juridique de l’arrêt « Liberté d’association » de 1971 contribue à la pérennisation de l’efficacité et l’effectivité du contrôle a priori de la constitutionnalité de la loi. Cette justiciabilité est une justiciabilité « émanation » car les autorités politiques qui peuvent saisir le juge sont ou directement ou indirectement une émanation du suffrage universel populaire. Compte tenu de l’objet du contrôle, cette configuration est acceptable car il serait surprenant que tous ceux qui participent à l’activité législative ne puissent pas être justiciables du juge du produit de cette activité. La justiciabilité directe du peuple élargirait d’autant le risque de subversion et corrélativement hypothéquerait la pertinence de la justiciabilité de la loi. Toutefois, la « justiciabilité-émanation » comporte une imperfection inhérente à sa nature. En effet, malheureusement en l’absence de tout lien psychique entre représenté et représentant, surtout (et plus sérieusement) en l’absence de mandat impératif, il subsiste une dysphonie entre le réalisme des représentés et celui des représentants. Cette dernière ne peut être corrigée par la fiction liée au mécanisme de représentation qui est lui-même limité par l’interdit constitutionnel posé par l’article 25 al.1er de la Constitution. Aussi, cette configuration prive les représentés d’un recours effectif contre la loi. Du coup, cette justiciabilité restait à parfaire10. C’est dorénavant chose faite avec la loi constitutionnelle n°2008-724 du 23 juillet 2008 et la décision du Conseil constitutionnelle n°2009-595 en date du 3 décembre 2009 qui par ailleurs pose le caractère constitutionnel du dualisme des ordres juridictionnels11.

 

1.  Le principe de séparation des autorités administrative et judiciaire.

2. Christian ATIAS, « Justiciabilité » p.798-801 ; Dictionnaire de la justice (Sous la direction de Loïc CADIET), PUF.

3. Marie-Laure MATHIEU-IZORCHE, « Le raisonnement juridique » p.23 ; PUF – Thémis (droit privé).

4. Marie-Laure MATHIEU-IZORCHE, « Le raisonnement juridique » p.23 ; PUF – Thémis (droit privé).

5. Bernard EVEN, « Des conseils de préfecture aux tribunaux administratif » p.475 ; RFDA 2004.

6. François BURDEAU, « Histoire du droit administratif » p.30 ; PUF – Thémis, droit public (1995). François BURDEAU, « Histoire de l’administration française du 18e au 20e siècle » p.42 ; Montchrestien (2ème édition).

7. François BURDEAU, « Histoire du droit administratif » p.31 ; PUF – Thémis, droit public (1995).

8. Code de justice administrative, « annexe 2 » p.725-747 ; Litec (2009).

9. Décision du Conseil constitutionnel en date du 23 janvier 1987 (n°86-224 DC).

10. La loi constitutionnelle no 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République a modifié de nombreux articles de la Constitution française et a notamment institué un la question prioritaire de constitutionnalité (art. 61-1 C) qui rend accessible le contentieux de la loi à une justiciabilité plus large.

11. Conseil constitutionnel décision n°2009-595 en date du 3 décembre 2009, considérant n°3 : « […] le constituant a ainsi reconnu à tout justiciable le droit de soutenir, à l'appui de sa demande, qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit ; qu'il a confié au Conseil d'État et à la Cour de cassation, juridictions placées au sommet de chacun des deux ordres de juridiction reconnus par la Constitution, la compétence pour juger si le Conseil constitutionnel doit être saisi de cette question de constitutionnalité […] »

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