La responsabilité civile est faite de deux grandes catégories de responsabilité juridique : la responsabilité contractuelle et la responsabilité extracontractuelle. Au sein de la responsabilité civile extracontractuelle, qui a vocation à apurer le contentieux des faits juridiques illicites nuisibles à autrui (délit ou quasi-délit), il subsiste une pluralité de mécanismes subséquents destinés à avoir une appréhension spécialisée de la diversité de ces faits juridiques illicites nuisibles à autrui. Dès lors, la responsabilité civile extracontractuelle compte un mécanisme de responsabilité du fait personnel (art.1382 et 1383 du Code civil), responsabilité du fait d’autrui (art. 1384 du Code civil), du fait des animaux (art.1385 du Code civil), du fait des bâtiments menaçant ruines (art.1386 du Code civil) et du fait des produits défectueux (art. 1386-1 et suivants du Code civil). En plus des régimes juridiques expressément envisagés par le législateur, trois autres régimes d’apurement de faits juridiques illicites nuisibles ont été créés par une politique jurisprudentielle de la Cour de cassation qui a pour efficacité de pourvoir à l’indemnisation de toute situation dommageable au regard du principe de ne pas nuire à autrui (art.4 DDHC). Ainsi, Trois régimes prétoriens sont nés d’une interprétation extensive de l’alinéa 1er de l’article 1984 du Code civil. Il s’agit de la responsabilité des associations sportives du fait de leurs membres (arrêts « UAP c/ Rendeygues » et « USPEG c/ Fédération Française de rugby » du 22 mai 1995 ; arrêt « Comités Régionaux de rugby c/ CPAM du Lot et Garonne » de l’Assemblée plénière du 29 juin 2007), de la responsabilité des organismes en charge d’individus handicapés ou socialement inadaptés (l’arrêt « Blieck » de l’Assemblée plénière du 29 mars 1991 [GAJC, tome II n°218] ; l’arrêt « foyer NOTRE DAME DES FLOTS » de la chambre criminelle du 26 mars 1997 [GAJC, tome II n°219]) et de la responsabilité du fait des choses (arrêt « Teffaine » en date du 16 juin 1896). Ce dernier mécanisme pose une théorie générale de responsabilité appliquée aux choses dont la notion structurale est la garde de la chose. En effet, parce qu’un individu est appréhendé comme le gardien de la chose qu’il doit répondre du fait dommageable de cette dernière. Ainsi, initialement (arrêts « Teffaine » [1896] et « Jand’Heur » [1930 ; GAJC, tome II, n°193]), la notion de garde de la chose était assimilée au lien juridique qui liait une chose (entendu assez largement) à un individu. Dès lors, le propriétaire d’un bien corporel était nécessairement présenté comme le responsable du fait dommageable causé par sa chose. Solution très pratique, car au sien des sociétés modernes (en l’occurrence le système français), sauf exceptions telles que res nullius ou res derelictae, toutes les choses ont un propriétaire. À défaut, elles sont susceptibles d’appropriation (res nullius ou res derelictae [Cass. 2ène civ. 10 février 1982 {N°81-40.495} ; Cass. 2ème civ. 23 novembre 1988 {N°01-00.450} ; Cass. 2ème civ. 24 avril 2003 {N°00-16.732}]). Ainsi, le choix porté pour un mécanisme de responsabilité du fait des choses reposant essentiellement sur la garde de la chose satisfait le souci d’octroyer à la victime un responsable susceptible de verser les indemnités réparatrices. En outre, l’amoralité qui gouverne la validité de la responsabilité du fait des choses permet à la victime d’obtenir réparation sans que le gardien-propriétaire puisse se libérer de cette charge en démontrant qu’il a été diligent et prudent, c'est-à-dire qu’il n’a commis aucune faute. De surcroît, dans la mesure où le mécanisme de responsabilité du fait des choses est indifférent de l’état de la chose ; le gardien-propriétaire ne peut pas davantage exciper le vice de son bien comme cause exonératoire. Seul le cas fortuit, la cause étrangère ou la force majeure peuvent poser l’échappatoire du gardien de la responsabilité du fait des choses selon les arrêts « Jand’Heur » et « Teffaine ». La garde de la chose impose une sorte d’obligation de sécurité de résultat de source extracontractuelle. Autrement dit, l’obligation générale de prudence et de diligence qui postule une interdiction de nuire à autrui sous peine d’être astreint à réparation, semble être renforcée par l’existence d’un dommage causé une chose. Ainsi, la subsistance de la garde d’une chose mute l’obligation générale de prudence et de diligence en obligation générale de garantir que sa chose ne nuise pas à autrui. Dès lors le propriétaire de la chose est présumé en avoir la garde. Cet état suppute une présomption de responsabilité indifférente du comportement du gardien. Alors, le préjudice subi par autrui du fait de la chose du gardien oblige ce dernier à une garantie de réparation des dommages. La présomption de garde qui pèse sur le propriétaire a donc des effets graves. Parfois, ces effets peuvent être pervers, car même n’ayant plus le contrôle matériel de sa chose au moment de la réalisation du dommage, parce que le bien était entre les mains d’un autre, la jurisprudence « Jand’Heur » imposait la responsabilité de celui qui en a la garde juridique sauf exception de force majeure, cas fortuit ou causes étrangères (par ailleurs seules causes exonératoires d’une obligation de résultat). Compte tenu de la sévérité des conséquences de cette perception de la garde de la chose, la Cour de cassation a procédé à une possibilité d’autonomisation de la garde vis-à-vis du droit de propriété qu’un individu peut avoir sur une chose (arrêt « Franck » [1941 ; GAJC, tome II n°194]). En effet, par l’arrêt « Franck », la Cour de cassation permet au propriétaire de la chose de détruire la présomption de garde qui pèse sur lui. En effet, alors qu’il subsiste le droit de propriété d’un individu sur un bien, le propriétaire peut combattre la présomption de garde s’il démontre que, concrètement, il en avait plus l’usage, le contrôle et la direction. Par cette évolution, la garde passe d’une conception juridique à une conception matérielle. Celui qui est obligé de garantir le fait de la chose n’est plus nécessairement celui qui en est le propriétaire, mais surtout celui qui a une emprise avérée sur la chose. Cette emprise avérée ne se réalise pas toujours spontanément. Il est admis, tant par la jurisprudence que par la doctrine, que l’emprise se réalise spontanément lorsque le propriétaire ne s’est pas défait de sa chose volontairement (arrêt « Franck » [1941 ; GAJC, tome II n°194]). En revanche, lorsque le propriétaire transmet volontairement sa chose à un autre ; le transfert de garde se réalise uniquement si le propriétaire donne au détenteur les moyens d’avoir une emprise de la chose équivalente à celle qu’il avait sur le bien (arrêt « société Cardem c/ commune de Montigny-lès-metz » du 9 juin 1993 ; arrêt « Leroy Merlin » du 14 janvier 1999). Ainsi, la garde de la chose n’est pas irréfragablement liée au propriétaire de celle-ci. Ce pas ayant été fait, corrélativement il mettait en exergue la question de savoir si la garde de la chose, dans son appréhension matérielle, exige un état de conscience dans la mesure où l’emprise est caractérisée par un usage, une direction et un contrôle. En effet, lorsque la garde était simplement la conséquence d’un lien juridique entre une chose et un individu, l’état de conscience ou de maturité de ce dernier ne pèse pas, car dans cette configuration, il y a une responsabilité parce qu’il y a garde de la chose, or il y a garde parce qu’il y a lien juridique et non lien matériel. La matérialité de la garde de la chose postulait donc une intellectualisation de celle-ci (arrêt « Escoffier c/ Girel » du 28 avril 1947 [GAJC tome II]). L’obligation générale de garantir autrui contre le fait de sa chose supputait, dans une perspective moraliste, la nécessaire conscience du danger virtuel constitué tant par la chose elle-même que par l’usage qu’il est possible d’en avoir. Dès lors, l’immaturité et l’aliénation constituaient pour la garde de la chose une zone de précarité et potentiellement une zone d’inefficacité, car si le juge ne constatait pas de discernement cher le détenteur de la chose, il ne satisfaisait pas à la qualification de gardien. C’est ainsi que dans un mouvement tant de désintellectualisation que d’amoralisation de la responsabilité civile extracontractuelle (à l’exception de la responsabilité des maîtres du fait de leurs élèves), l’Assemblée plénière du 9 mai 1984 de la Cour de cassation (arrêt « Gabillet » [GAJC, tome II n°199]) pose un principe de désintellectualisation de la garde (ou objectivation). C’est ainsi que la garde de la chose est indifférente de l’état de discernement du détenteur. La matérialisation et la désintellectualisation de la garde de la chose achève la construction du caractère structural de la notion. En effet, la notion de garde de la chose est structurale, car elle permet de déclencher la réalisation de l’efficacité recherchée par le mécanisme de responsabilité du fait des choses. Ainsi, la victime du fait dommageable d’une chose à la possibilité d’obtenir une indemnisation de celui qui sera considéré comme ayant la garde de la chose. Le gardien peut être le propriétaire ou, dans certaines conditions de transfert, il peut s’agir d’un détenteur de la chose. Par conséquent, la victime n’a pas le choix du gardien, mais elle est assurée de toujours en avoir un, c'est-à-dire l’individu qui a une emprise avérée sur la chose. Toutefois, pour certaines choses, un régime dérogatoire est affirmé par la jurisprudence (arrêt « Oxygène liquide » du 5 janvier 1956). En effet, lorsque la chose a un dynamisme propre ou qu’elle est d’un usage susceptible de se manifester dangereusement, il est admis une atténuation de la destruction de la présomption de garde qui pèse sur le propriétaire ou au moins sur celui qui peut effectivement prévenir tous les dangers inhérents à la chose. Dès lors, dans cette hypothèse de dangerosité naturelle d’une chose, le transfert de garde est parcellaire. Autrement dit, tous les éléments de la chose, dont le détenteur peut effectivement prévenir lui-même le préjudice qu’ils peuvent causer, sont sous la garantie du gardien du comportement (garde matérielle). En revanche, les éléments (substances qui portent la dangerosité de la chose) de la chose sur lesquels le détenteur (gardien matériel) ne peut avoir effectivement aucune emprise, restent sous la garantie du gardien de la structure qui n’est pas nécessairement le propriétaire (Cass. 1ère civ. 12 novembre 1975, « Société minérale Vittel » [N°74-10.386] ; Cass. 2ème civ. 14 novembre 1979, « « Société Océanic » [N°77-15.823] ; Cass. 2ème civ. 10 juin 1960, « Oxygène liquide » [bull. civ. I, n°368]). Ce positionnement est doublement dérogatoire, car, d’une part, il prend à contre-pied l’efficacité recherchée dans le mécanisme de transfert de garde de la chose (destruction de la présomption de garde). D’autre part, il introduit dans le champ de la responsabilité du fait des choses, un gardien de la défectuosité de la chose (Cass. 1ère civ. 12 novembre 1975, « Société minérale Vittel » [N°74-10.386] ; Cass. 2ème civ. 14 novembre 1979, « « Société Océanic » [N°77-15.823] ; Cass. 2ème civ. 10 juin 1960, « Oxygène liquide » [bull. civ. I, n°368]). Cette dérogation qui introduit une division de la garde de la chose fragilise du même coup sa pertinence. En effet, en fonction de l’élément de la chose (substance ou utilisation) qui est à l’origine du préjudice ; la victime devra rechercher soit la responsabilité du gardien de la structure soit celle du gardien du comportement sans aucune possibilité de condamnation in solidum (Cass 1ère civ. 16 octobre 1990, « Martin c/ Société univrac » [N°88-18.357]) ou de responsabilité partagée (Cass. 2ème civ. 13 décembre 1989, « Consorts Allais c/ British Leyland France » [N°88-14.990]). Mais, encore faut-il pouvoir saisir le contenu de la notion de chose ayant un dynamisme propre ou dont le fonctionnement se manifeste dangereusement (arrêt « Leroy Merlin » du 14 janvier 1999 ; Cass. 2ème civ. 20 novembre 2003, « Seita » [bull. civ. I, n°355] ; Cass. 2ème civ. 14 février 2010, « société Whirlpool » [N°08-70.373]). Il est donc perceptible que la division de la garde pose une zone de précarité de la « structuralité » de la garde de la chose tant il peut être mal aisé de déterminer l’origine du mal (Cass. 2ème civ. 14 février 2010, « société Whirlpool » [N°08-70.373]). En outre, la faute, qui est une notion qui est normalement indifférente aux effets de la garde de la chose, apparaît dans la division de la garde afin que le détenteur ne puisse rechercher la garantie du gardien de la structure ; alors que le fait du détenteur n’a pas nécessairement pour le gardien de la structure le caractère de la force majeure (Cass 1ère civ. 16 octobre 1990, « Martin c/ Société univrac » [N°88-18.357] ; Cass. 2ème civ. 13 décembre 1989, « Consorts Allais c/ British Leyland France » [N°88-14.990]). Malheureusement, il semble que la division de la garde survive encore dans les interstices de la responsabilité du fait des produits défectueux (Cass. 2ème civ. 14 février 2010, « société Whirlpool » [N°08-70.373] ; Cass. 1ère civ. 30 septembre 2009, « société Graham et Brown » [N°08-12.625] ; Cass 2ème civ. 5 octobre 2006 [N°04-18.775] ; Cass. 2ème civ. 23 septembre 2004, « société Cape Contract Socap » [N°03-10.672]), c'est-à-dire lorsque la défectuosité n’est pas avérée (art.1386-1 du Code civil) ou/et lorsque le dommage est inférieur à la franchise exigée par l’article 1386-2 du Code civil et qu’il s’agit d’une chose dangereuse. Indiscutablement, la complexité de la division de la garde de la chose contraste tant avec la simplicité de la conception « classique » de la garde de la chose (arrêts « Teffaine » [1896] ; « Jand’Heur » [1930 ; GAJC, tome II, n°193] ; arrêt « Franck » [1941 ; GAJC, tome II n°194] ; arrêt « société Cardem c/ commune de Montigny-lès-metz » du 9 juin 1993 ; arrêt « Leroy Merlin » du 14 janvier 1999 ; arrêt « Gabillet » [GAJC, tome II n°199]) qu’avec la limpidité de l’exceptionnelle garde commune de la chose (arrêt « Consorts Bizouard c/ AGF » du 8 mars 1995). Cette dernière subsiste uniquement si tous les protagonismes ont exactement le même pouvoir d’usage de direction et de contrôle sur la chose (Cass. 2ème civ. 7 novembre 1988 [N°87-11.008]).