Il a des formules qui sont souvent entendues sans que leurs sens ne viennent spontanément à l’esprit. Il faut croire que la locution « développement durable » est de celles-ci. En effet, l’expression devient d’un usage quasi-systématique dans le discours politico-économique, mais l’utilité concrète que ce terme est censé porté ne s’en ressent pas davantage. Cela étant, pour les non initiés, le concept de « développement durable » sonne comme un objet marketing à usage électoraliste ou comme un anesthésiant afin de fédérer sur un projet écologiquement contestable prétendument altruiste. Il est vrai que cette association d’un substantif (développement) et d’un adjectif (durable) ne manque pas d’interpeller ceux qui ont un minimum de vigilance ou qui s’intéressent encore un peu à la chose politique, car il laisse (a contrario) entendre que le développement pourrait ne pas être durable. C’est le comble, n’est-ce pas ? il est déjà relativement difficile pour certaines zones du monde d’accéder au développement ; alors si en plus, il n’est pas durable à quoi bon. En revanche, la pauvreté, elle, depuis plus de quatre décennies, fait encore aujourd’hui la preuve de sa durabilité ; et cela sans qu’il y ait besoin de fournir un effort particulier. Certaines zones du monde semblent être prises dans un sable mouvant et plus elle semble faire un effort pour s’y extirper plus elles s’enlisent. C’est ainsi que l’actualité et l’histoire posent le « sous-développement durable » et la « durabilité de la pauvreté » comme des phénomènes visibles et tangibles pour beaucoup d’individus qui en sont les victimes par héritage. Alors, de ce point de vue, le concept de « développement durable » peut sembler être une nième lamentation d’enfants gâtés, les pays riches, ayant exploité et exploitant encore à outrance les richesses environnementales d’autres peuples, craignent que la surexploitation des produits de la nature n’aboutisse à long terme à un ralentissement voire un périssement de leurs développements. Alors, de ce point de vue, le « développement durable » serait un projet d’apurement du vieillissement économique des pays riches. Le « développement durable », en écho avec le « commerce équitable », serait le nouvel étendard du nombrilisme occidental ?
Que nenni, loin de la suspicion légitime qu’il est possible d’avoir en toute chose, le concept de « développement durable » semble tout de même être d’un rare altruisme au sein de cette globalisation principalement mercantiliste. En effet, combien même il est difficile de percevoir dans cette association de mots (substantif + adjectif) une universalité équipollente à celle de la Déclaration des Droit de l’Homme et du Citoyen. Il semble que le concept de « développement durable » ait cette vocation. Il n’y a pas lieu d’être surpris de cette vocation universaliste, elle est inhérente à ses origines onusiennes. En effet, le concept est en gestation depuis au moins le Sommet, à Stockholm (1972), des Nations unies sur l’Homme et l’environnement. Il est consolidé par le « Rapport Brundtland (1987). Dès lors, plus qu’une simple survivance du jusnaturalisme au sein de ce monde marqué par un positivisme pragmatique, le « développement durable » est « contrat social » à la J.J. ROUSSEAU. L’objet de l’obligation de ce contrat est la préservation de l’Homme et des équilibres naturels qui ont conditionné son émergence. Ce « contrat social d’intérêt écologique et économique » ne produit pas de simples obligations naturelles. En France, la Charte de l’environnement, intégrée au bloc de constitutionnalité (Décision n°2008-564 DC du 19 juin 2008 du Conseil constitutionnel), pose donc des obligations juridiques à valeur constitutionnelle. Cela signifie que l’objectif de « développement durable » détient une force normative de niveau supérieur dans la hiérarchie des normes en droit français. L’ensemble des lois produites par le Législateur ou l’ensemble des décrets posés par l’exécutif doivent être conformes à cet objectif. Or, grosso modo, la finalité de l’objectif de « développement durable » est le bien-être.
Le contenu du concept n’est pas totalement accessible par la seule lecture de la Charte de l’environnement. Bien que la Charte laisse percevoir l’existence de principes directeurs (Principe de précaution, principe d’action préventive et de correction, principe de responsabilité [pollueur-payeur], principe de participation]), c’est l’art. L110-1 du Code de l’environnement qui précise les contours de la juridicité du bien-être. L’exigence constitutionnelle de bien être se compose de droits, mais également de devoirs. Ainsi, la biosphère (désigne à la fois un espace vivant, un processus dynamique et auto-entretenu sur la planète Terre) et ses écosystèmes (désigne l’ensemble formé par une association ou communauté d’êtres vivants et son environnement biologique, géologique, édaphique, hydraulique, climatique, etc…) sont à notre charge. Dès lors, chaque individu a le devoir de pourvoir à leurs préservations (art. L110-1.I du Code de l’environnement ; art. 2 de la Charte de l’environnement). De cet impératif juridique, il est perceptible une obligation à la conscience intergénérationnelle dans la mesure où le « développement durable » exige de faire les choix qui permettent de répondre aux besoins présents sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. Cet objectif constitutionnel, suppute donc un certain nombre de finalités (art. L110-1.III du Code de l’environnement) tel l’épanouissement de tous les êtres humains, la cohésion sociale, la solidarité, la préservation de la biodiversité, des milieux et des ressources et la lutte contre le changement climatique. Ces données sont essentielles à la qualité de vie (art. 1er de la Charte de l’environnement) et ce souci est le socle du concept de bien-être. En outre, conformément au principes directeurs posés par la Charte, une véritable démocratie locale et nationale devrait s’imposer pour les questions touchant aux efficacités recherchées par l’objectif de « développement durable », à défaut l’exigence constitutionnelle de bien-être peut être le fondement de recours judiciaire (art. L110-1 du Code de l’environnement et Charte de l’environnement). C’est ainsi que le « développement durable » est une source juridique de la durabilité du bien-être.