Commentaire de l’arrêt de la chambre commerciale du 10 janvier 2012
(pourvoi n°10-26.630)
L’article 2292 du Code civil pose le principe selon lequel le cautionnement ne se présume pas et qu’il ne peut être étendu au-delà des limites souscrites dans l’acte qui le formalise. Cette disposition est un prolongement des dispositions de l’ancien article 1326 (nouvel art. 1376) du Code civil qui exige que l’acte de cautionnement comporte la signature de celui qui s’engage ainsi que la mention manuscrite (en lettre et en chiffre) des sommes qui sont l’objet de l’obligation. Les articles 1326 (nouvel art. 1376) et 2292 du Code civil sont les principales sources d’un long débat jurisprudentiel entre la chambre commerciale et la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. 1ère civ. 15 novembre 1989 [D. 1990 p.1454] ; Cass 1ère civ. 15 octobre 1991 [JCP 1992, II, 21923] et Cass. Com. 26 juin 1990 [Defrénois 1990 p. 1345]). Le fond de la question portait sur le caractère ad validitatem ou ad probationem de la mention manuscrite. À l’issue de ladite divergence jurisprudentielle, les deux chambres se sont accordées sur la fonction probatoire de la mention manuscrite. Cependant, le droit de la consommation institué par la loi n°98-657 du 29 juillet 1998, la loi n°2003-721 du 1 août 2003 et l’ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006 impose un nouvel ordonnancement juridique qui, vraisemblablement, ne se limite pas aux questions de consommation.
C’est à ce titre que l’arrêt de la chambre commerciale en date du 10 janvier 2012 (pourvoi n°10-26.630) apporte une solution très éclairante sur le régime juridique de la « mention manuscrite » au sein du contrat de cautionnement.
En l’espèce, le gérant de la société « établissement Jouaux » se porte caution pour cette dernière au profit de la société « Union matériaux ». La société « établissement Jouaux » est en liquidation judiciaire. La société « Union matériaux » déclare la créance afin d’assigner la caution en vue de l’exécution de son engagement. Le gérant de la société « établissement Jouaux » excipe la nullité de l’acte de cautionnement. Déboutée par la Cour d’appel, Le gérant de la société « établissement Jouaux » forme un pourvoi en cassation. Il considère que les anciens articles L341-2 et L341-3 (nouveaux art. L331-1 et L331-2, depuis l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016) du Code de la consommation sont applicables à l’acte formé au profit de la société « Union matériaux ». Dès lors, se pose la question de savoir si les dispositions des anciens articles L341-2 et L341-3 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation sont applicables ; autrement dit quels sont les éléments qui déterminent le caractère professionnel d’un créancier au sens des articles précités ? La notion de créancier professionnel est l’élément qualifiant l’applicabilité des anciens articles L341-2 et L341-3 du Code de la consommation.
La conception extensive qu’en a la juridiction de cassation (I) impose la « mention manuscrite » des anciens articles L341-2 et L341-3 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation dans de très nombreux cas comme formalisme ad validitatem et non ad probationem (II).
- Le caractère professionnel d’un créancier au sens des articles L341-2 et L341-3 du Code de la consommation
Bien que très générique, la notion de personne physique, utilisée notamment aux articles L341-2 et L341-3 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation, laisse aisément comprendre que le législateur ouvre cette protection au plus grand nombre à l’exclusion des personnes morales. Malgré une décision de la 1ère chambre de la Cour de cassation en date du 10 mai 2005 (Bull. civ. I, n°200) qui utilise la locution de « caution profane », il n’y a pas de nuance à faire entre caution avertie ou non. En outre, il importe peu que le cautionnement soit civil ou commercial. Ces éléments sont réaffirmés par l’arrêt de la chambre commerciale du 10 janvier 2012 dans la continuité de la décision de la 1ère chambre civile du 9 juillet 2009 (pourvoi n°08-15.910) ainsi que les décisions de la chambre commerciale du 5 avril 2011 (pourvoi n°09-14.358) et du 22 juin 2010 (pourvoi n°09-67.814). En revanche, la notion de créancier professionnel laisse plus perplexe sur son contenu.
Les juges de cassation listent deux situations révélant le caractère professionnel du créancier. Le créancier professionnel est celui dont la créance est née à l’occasion de l’exercice de sa profession (B) ou celui dont la créance est en lien direct avec l’une de ces activités (A).
- Le créancier professionnel à titre principal
Il semble évident que par la notion de créancier professionnel, le législateur ait d’abord eu en vue les établissements de crédit. Conformément à l’article L511-1 du Code monétaire et financier (Cmf), la notion d’établissement de crédit identifie les personnes morales dont l'activité consiste, pour leur propre compte et à titre de profession habituelle, à recevoir des fonds remboursables du public (il s’agit des fonds qu'une personne recueille d'un tiers, notamment sous la forme de dépôts, avec le droit d'en disposer pour son propre compte mais à charge pour elle de les restituer [article L312-2 du Cmf]) et à octroyer des crédits. C’est l’opération d’octroi de crédit qui, exercée à titre principal et habituel, pose un créancier comme un professionnel (Cass. 1ère civ. 11 septembre 2013 [pourvoi n°12-19.094] ; Cass. 1ère civ. 16 mai 2012 [pourvoi n°11.17.411] ; Cass. Com. 8 juin 2010 [pourvoi n°09-13.077]).
Constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d'une autre personne ou prend, dans l'intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu'un aval, un cautionnement, ou une garantie (article L313-1 du Cmf).
En l’espèce, la société « Union matériaux », créancier de la société « établissement Jouaux », n’est manifestement pas une personne morale dont l'activité consiste à octroyer des crédits. Dès lors, si la conception de la notion de créancier professionnel était appréhendée de manière restrictive alors, indiscutablement, les articles L341-2 et L341-3 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation ne pourraient être appliqués qu’aux situations impliquant des établissements de crédit. C’est cette position qui est adoptée par la Cour d’appel de MONTPELLIER (7 septembre 2010) et c’est la raison pour laquelle le gérant de la société « établissement Jouaux » a été condamné à l’exécution du cautionnement.
Cependant, la Cour de cassation par des décisions constantes, et antérieures à l’arrêt de la Cour d’appel, avait déjà annoncée qu’il faut avoir une approche plus large de la conception de créancier professionnel. Ce dernier ne doit pas uniquement être entendu comme une personne physique ou morale ayant pour activité principale l’octroi de crédits.
- Le créancier professionnel par opportunité
Le créancier professionnel peut également être celui qui, à l’occasion de son activité principale, est amené à octroyer des modalités de paiement à un client. Un vendeur professionnel qui est amené à accorder un cautionnement ou une garantie (art. L313-1 du Cmf) afin de faciliter la réalisation d’une opération d’achat peut être considéré comme un créancier professionnel (Cass. 1ère civ. du 10 mai 2005 [Bull. civ. I, n°200]). C’est le cas de la société « Union matériaux » qui afin de permettre à la société « établissement Jouaux » de réaliser une opération d’acquisition exige la caution solidaire du gérant. Dès lors, toute personne morale ou physique qui à l’occasion de son activité principale est amené à octroyer un crédit doit être considéré comme un créancier professionnel.
Le caractère professionnel du créancier des articles L341-2 et L341-3 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation, n’est pas nécessairement un utilisateur habituel de crédits. Visiblement, il suffit qu’il ait une connexion patrimoniale particulière entre l’opération principale exercée à titre professionnel et l’opération de crédits (Art. L313-1 Cmf) qui permet d’aménager la réalisation de l’opération principale (Cass. 1ère civ. 9 juillet 2009 [pourvoi n°08-15.910]). La logique de protection des consommateurs qui gouverne le droit de la consommation inonde le droit des sûretés et tout particulièrement le régime juridique du cautionnement.
II. L’applicabilité généralisée du formalisme ad validitatem et non ad probationem de la mention manuscrite
La conception extensive tant de la notion de caution via la locution de « toute personne physique » et de celle de créancier professionnel impose finalement à de très nombreuses situations le caractère ad validitatem de la « mention manuscrite ». Cette réalité fait que le caractère ad probationem de la mention manuscrite est désormais résiduel. Cependant, cette tendance subsistera-elle à l’insertion au sein du Code de la consommation, par la loi n°2014-344 du 17 mars 2014, d’un article préliminaire qui délimite la notion de consommateur (« Au sens du présent code, est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. » ; modifié par la loi n°2017-203 en un article liminaire qui prescrit qu’est une consommateur « […] toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ; »).
- La généralisation du caractère ad validitatem de la mention manuscrite
L’interprétation extensive qui est faite des articles L341-1 à L341-6 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation donne une autre ampleur au contenu des articles 1326 (nouvel art. 1376) et 2292 du Code civil ainsi qu’à la jurisprudence sur laquelle la chambre commerciale et la 1ère chambre civile de la Cour de cassation.
La mention manuscrite des articles L341-2 et L341-3 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation est exigée sous peine de nullité en cas d’absence ou de défaut de conformité. Il n’y a là pas de doute possible sur le caractère ad validitatem de ladite mention. En outre, à la lecture des décisions tant de la 1ère chambre civile que de la chambre commerciale sur l’application des articles L341-1 à L341-6 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation, la généralisation de cette exigence est d’une limpidité outrageante. En effet, la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 10 janvier 2012 s’exprime de la manière suivante : « toute personne physique, qu'elle soit ou non avertie, doit, dès lors qu'elle s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel, faire précéder sa signature, à peine de nullité de son engagement, qu'il soit commercial ou civil, des mentions manuscrites exigées par les textes susvisés ».
Aucune distinction est faite entre caution civile ou commerciale, ni entre caution profane ou avertie. Les articles L341-1 à L341-6 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation trouvent à s’appliquer dès lors qu’il y a en présence une caution (personne physique) et un créancier professionnel qui peut ne pas avoir pour activité principale la réalisation d’opérations de crédits. Cette appréhension extensive pose le caractère ad probationem de la mention manuscrite comme résiduel.
- L’aspect résiduel du caractère ad probationem de la mention manuscrite
La jurisprudence actuelle exclue l’application des dispositions des articles L341-1 à L341-6 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation lorsque les protagonistes du litige sont des cautions personnes morales, ou/et lorsque n’est pas impliqué un créancier professionnel c’est-à-dire une personne physique ou morale qui n’est pas un établissement de crédit ou qui ne réalise pas d’opération de crédit à l’occasion de son activité principale.
Enfin, la réalisation d’un cautionnement par acte authentique exonère les contractants de l’exigence de la mention manuscrite (Cass. com. 6 juillet 2010 [pourvoi n°08-21760]) ce qui reste dans la continuité de la jurisprudence relative à la mise en œuvre des articles 1326 (nouvel art. 1376) et 2292 du Code civil (Cass. 1ère civ. 13 février 1996 [D 1996, sommaire p.265]).
Ce caractère résiduel, ne risque-t-il pas de se dissiper et de faire que le caractère ad probationem de la mention manuscrite revienne au premier plan du fait de la définition faite par l’article liminaire du Code de la consommation inséré par la loi n°2017-203 : « consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole […] ».
En effet, sous l’empire de l’article liminaire du code de la consommation, la solution de la décision de la chambre commerciale en date du 10 janvier 2012 (pourvoi n°10-26.630) aurait été différente notamment du fait lorsque le gérant de la société « établissement Jouaux » se porte caution, il agit dans le cadre de son activité commerciale dans la mesure où il a un intérêt patrimoniale particulier dans l’opération cautionnée.