Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Profil

  • Laurent T. MONTET
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane
Docteur en droit privé.
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane Docteur en droit privé.

Thèse : "Le dualisme des ordres juridictionnels"

Thèse soutenue le 27 novembre 2014 en salle du conseil  de la faculté de droit de l'Université de Toulon

Composition du jury:

Le président

Yves STRICKLER (Professeur d'université à Nice),

Les rapporteurs: 

Mme Dominique D'Ambra (Professeur d'université à Strasbourg) et M. Frédéric Rouvière (Professeur d'université à Aix-en-Provence),

Membre du jury:

Mme Maryse Baudrez (Professeur d'université à Toulon),

Directrice de thèse :

Mme Mélina Douchy (Professeur d 'Université à Toulon).

laurent.montet@yahoo.fr


3 décembre 2014 3 03 /12 /décembre /2014 11:00

Commentaire de l’arrêt de la chambre commerciale du 10 janvier 2012

(pourvoi n°10-26.630)

L’article 2292 du Code civil pose le principe selon lequel le cautionnement ne se présume pas et qu’il ne peut être étendu au-delà des limites souscrites dans l’acte qui le formalise. Cette disposition est un prolongement des dispositions de l’ancien article 1326 (nouvel art. 1376) du Code civil qui exige que l’acte de cautionnement comporte la signature de celui qui s’engage ainsi que la mention manuscrite (en lettre et en chiffre) des sommes qui sont l’objet de l’obligation. Les articles 1326 (nouvel art. 1376) et 2292 du Code civil sont les principales sources d’un long débat jurisprudentiel entre la chambre commerciale et la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. 1ère civ. 15 novembre 1989 [D. 1990 p.1454] ; Cass 1ère civ. 15 octobre 1991 [JCP 1992, II, 21923] et Cass. Com. 26 juin 1990 [Defrénois 1990 p. 1345]). Le fond de la question portait sur le caractère ad validitatem ou ad probationem de la mention manuscrite. À l’issue de ladite divergence jurisprudentielle, les deux chambres se sont accordées sur la fonction probatoire de la mention manuscrite. Cependant, le droit de la consommation institué par la loi n°98-657 du 29 juillet 1998, la loi n°2003-721 du 1 août 2003 et l’ordonnance n°2006-346 du 23 mars 2006 impose un nouvel ordonnancement juridique qui, vraisemblablement, ne se limite pas aux questions de consommation.

C’est à ce titre que l’arrêt de la chambre commerciale en date du 10 janvier 2012 (pourvoi n°10-26.630) apporte une solution très éclairante sur le régime juridique de la « mention manuscrite » au sein du contrat de cautionnement.

 

En l’espèce, le gérant de la société « établissement Jouaux » se porte caution pour cette dernière au profit de la société « Union matériaux ». La société « établissement Jouaux » est en liquidation judiciaire. La société « Union matériaux » déclare la créance afin d’assigner la caution en vue de l’exécution de son engagement. Le gérant de la société « établissement Jouaux » excipe la nullité de l’acte de cautionnement. Déboutée par la Cour d’appel, Le gérant de la société « établissement Jouaux » forme un pourvoi en cassation. Il considère que les anciens articles L341-2 et L341-3 (nouveaux art. L331-1 et L331-2, depuis l’ordonnance n°2016-301 du 14 mars 2016) du Code de la consommation sont applicables à l’acte formé au profit de la société « Union matériaux ». Dès lors, se pose la question de savoir si les dispositions des anciens articles L341-2 et L341-3 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation sont applicables ; autrement dit quels sont les éléments qui déterminent le caractère professionnel d’un créancier au sens des articles précités ? La notion de créancier professionnel est l’élément qualifiant l’applicabilité des anciens articles L341-2 et L341-3 du Code de la consommation.

 

La conception extensive qu’en a la juridiction de cassation (I) impose la « mention manuscrite » des anciens articles L341-2 et L341-3 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation dans de très nombreux cas comme formalisme ad validitatem et non ad probationem (II).

 

  1. Le caractère professionnel d’un créancier au sens des articles L341-2 et L341-3 du Code de la consommation

 

Bien que très générique, la notion de personne physique, utilisée notamment aux articles L341-2 et L341-3 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation, laisse aisément comprendre que le législateur ouvre cette protection au plus grand nombre à l’exclusion des personnes morales. Malgré une décision de la 1ère chambre de la Cour de cassation en date du 10 mai 2005 (Bull. civ. I, n°200) qui utilise la locution de « caution profane », il n’y a pas de nuance à faire entre caution avertie ou non. En outre, il importe peu que le cautionnement soit civil ou commercial. Ces éléments sont réaffirmés par l’arrêt de la chambre commerciale du 10 janvier 2012 dans la continuité de la décision de la 1ère chambre civile du 9 juillet 2009 (pourvoi n°08-15.910) ainsi que les décisions de la chambre commerciale du 5 avril 2011 (pourvoi n°09-14.358) et du 22 juin 2010 (pourvoi n°09-67.814). En revanche, la notion de créancier professionnel laisse plus perplexe sur son contenu.

 

Les juges de cassation listent deux situations révélant le caractère professionnel du créancier. Le créancier professionnel est celui dont la créance est née à l’occasion de l’exercice de sa profession (B) ou celui dont la créance est en lien direct avec l’une de ces activités (A).

 

  1. Le créancier professionnel à titre principal

 

Il semble évident que par la notion de créancier professionnel, le législateur ait d’abord eu en vue les établissements de crédit. Conformément à l’article L511-1 du Code monétaire et financier (Cmf), la notion d’établissement de crédit identifie les personnes morales dont l'activité consiste, pour leur propre compte et à titre de profession habituelle, à recevoir des fonds remboursables du public (il s’agit des fonds qu'une personne recueille d'un tiers, notamment sous la forme de dépôts, avec le droit d'en disposer pour son propre compte mais à charge pour elle de les restituer [article L312-2 du Cmf]) et à octroyer des crédits. C’est l’opération d’octroi de crédit qui, exercée à titre principal et habituel, pose un créancier comme un professionnel (Cass. 1ère civ. 11 septembre 2013 [pourvoi n°12-19.094] ; Cass. 1ère civ. 16 mai 2012 [pourvoi n°11.17.411] ; Cass. Com. 8 juin 2010 [pourvoi n°09-13.077]).

Constitue une opération de crédit tout acte par lequel une personne agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d'une autre personne ou prend, dans l'intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu'un aval, un cautionnement, ou une garantie (article L313-1 du Cmf).

 

En l’espèce, la société « Union matériaux », créancier de la société « établissement Jouaux », n’est manifestement pas une personne morale dont l'activité consiste à octroyer des crédits. Dès lors, si la conception de la notion de créancier professionnel était appréhendée de manière restrictive alors, indiscutablement, les articles L341-2 et L341-3 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation ne pourraient être appliqués qu’aux situations impliquant des établissements de crédit. C’est cette position qui est adoptée par la Cour d’appel de MONTPELLIER (7 septembre 2010) et c’est la raison pour laquelle le gérant de la société « établissement Jouaux » a été condamné à l’exécution du cautionnement.

 

Cependant, la Cour de cassation par des décisions constantes, et antérieures à l’arrêt de la Cour d’appel, avait déjà annoncée qu’il faut avoir une approche plus large de la conception de créancier professionnel. Ce dernier ne doit pas uniquement être entendu comme une personne physique ou morale ayant pour activité principale l’octroi de crédits.

 

  1. Le créancier professionnel par opportunité

 

Le créancier professionnel peut également être celui qui, à l’occasion de son activité principale, est amené à octroyer des modalités de paiement à un client. Un vendeur professionnel qui est amené à accorder un cautionnement ou une garantie (art. L313-1 du Cmf) afin de faciliter la réalisation d’une opération d’achat peut être considéré comme un créancier professionnel (Cass. 1ère civ. du 10 mai 2005 [Bull. civ. I, n°200]). C’est le cas de la société « Union matériaux » qui afin de permettre à la société « établissement Jouaux » de réaliser une opération d’acquisition exige la caution solidaire du gérant. Dès lors, toute personne morale ou physique qui à l’occasion de son activité principale est amené à octroyer un crédit doit être considéré comme un créancier professionnel.

 

Le caractère professionnel du créancier des articles L341-2 et L341-3 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation, n’est pas nécessairement un utilisateur habituel de crédits. Visiblement, il suffit qu’il ait une connexion patrimoniale particulière entre l’opération principale exercée à titre professionnel et l’opération de crédits (Art. L313-1 Cmf) qui permet d’aménager la réalisation de l’opération principale (Cass. 1ère civ. 9 juillet 2009 [pourvoi n°08-15.910]). La logique de protection des consommateurs qui gouverne le droit de la consommation inonde le droit des sûretés et tout particulièrement le régime juridique du cautionnement.

 

II. L’applicabilité généralisée du formalisme ad validitatem et non ad probationem de la mention manuscrite

 

La conception extensive tant de la notion de caution via la locution de « toute personne physique » et de celle de créancier professionnel impose finalement à de très nombreuses situations le caractère ad validitatem de la « mention manuscrite ». Cette réalité fait que le caractère ad probationem de la mention manuscrite est désormais résiduel. Cependant, cette tendance subsistera-elle à l’insertion au sein du Code de la consommation, par la loi n°2014-344 du 17 mars 2014, d’un article préliminaire qui délimite la notion de consommateur (« Au sens du présent code, est considérée comme un consommateur toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale. » ; modifié par la loi n°2017-203 en un article liminaire qui prescrit qu’est une consommateur « […] toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ; »).

 

  1. La généralisation du caractère ad validitatem de la mention manuscrite

 

L’interprétation extensive qui est faite des articles L341-1 à L341-6 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation donne une autre ampleur au contenu des articles 1326 (nouvel art. 1376) et 2292 du Code civil ainsi qu’à la jurisprudence sur laquelle la chambre commerciale et la 1ère chambre civile de la Cour de cassation.

 

La mention manuscrite des articles L341-2 et L341-3 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation est exigée sous peine de nullité en cas d’absence ou de défaut de conformité. Il n’y a là pas de doute possible sur le caractère ad validitatem de ladite mention. En outre, à la lecture des décisions tant de la 1ère chambre civile que de la chambre commerciale sur l’application des articles L341-1 à L341-6 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation, la généralisation de cette exigence est d’une limpidité outrageante. En effet, la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 10 janvier 2012 s’exprime de la manière suivante : « toute personne physique, qu'elle soit ou non avertie, doit, dès lors qu'elle s'engage par acte sous seing privé en qualité de caution envers un créancier professionnel, faire précéder sa signature, à peine de nullité de son engagement, qu'il soit commercial ou civil, des mentions manuscrites exigées par les textes susvisés ».

 

Aucune distinction est faite entre caution civile ou commerciale, ni entre caution profane ou avertie. Les articles L341-1 à L341-6 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation trouvent à s’appliquer dès lors qu’il y a en présence une caution (personne physique) et un créancier professionnel qui peut ne pas avoir pour activité principale la réalisation d’opérations de crédits. Cette appréhension extensive pose le caractère ad probationem de la mention manuscrite comme résiduel.

 

  1. L’aspect résiduel du caractère ad probationem de la mention manuscrite

 

La jurisprudence actuelle exclue l’application des dispositions des articles L341-1 à L341-6 (nouveaux art. L331-1 et L331-2) du Code de la consommation lorsque les protagonistes du litige sont des cautions personnes morales, ou/et lorsque n’est pas impliqué un créancier professionnel c’est-à-dire une personne physique ou morale qui n’est pas un établissement de crédit ou qui ne réalise pas d’opération de crédit à l’occasion de son activité principale.

 

Enfin, la réalisation d’un cautionnement par acte authentique exonère les contractants de l’exigence de la mention manuscrite (Cass. com. 6 juillet 2010 [pourvoi n°08-21760]) ce qui reste dans la continuité de la jurisprudence relative à la mise en œuvre des articles 1326 (nouvel art. 1376) et 2292 du Code civil (Cass. 1ère civ. 13 février 1996 [D 1996, sommaire p.265]).

 

Ce caractère résiduel, ne risque-t-il pas de se dissiper et de faire que le caractère ad probationem de la mention manuscrite revienne au premier plan du fait de la définition faite par l’article liminaire du Code de la consommation inséré par la loi n°2017-203 : « consommateur : toute personne physique qui agit à des fins qui n'entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole […] ».

 

En effet, sous l’empire de l’article liminaire du code de la consommation, la solution de la décision de la chambre commerciale en date du 10 janvier 2012 (pourvoi n°10-26.630) aurait été différente notamment du fait lorsque le gérant de la société « établissement Jouaux » se porte caution, il agit dans le cadre de son activité commerciale dans la mesure où il a un intérêt patrimoniale particulier dans l’opération cautionnée.

Partager cet article
Repost0
1 mars 2011 2 01 /03 /mars /2011 20:13

Commentaire de l’arrêt de la 1ère chambre civile de la cour de cassation, « Allianz »,

en date du 17 février 2010 (Pourvoi n°08-19.789)

 

La faute du solvens n’est pas de nature à priver ce dernier de son droit à restitution. Toutefois, le caractère fautif de son comportement est susceptible de diminuer le montant de la restitution.


 

Les quasi-contrats qualifient les situations de faits licites et volontaires de l’Homme qui, nonobstant l’absence de consentement d’autrui, sont des sources d’obligations. Le législateur institue deux grandes catégories de quasi-contrat, la gestion d’affaire et le paiement de l’indu. Au sein du paiement de l’indu, il y a une dualité matérialisée par les articles 1376 et 1377 du Code civil. Ainsi, l’article 1376 du Code institue l’indu objectif qui consiste en l’absence absolue de dette entre celui qui paie (solvens) et celui qui reçoit (accipiens) par erreur ou sciemment ; alors que l’article 1377 du Code pose la situation au sein de laquelle il n’existe aucune relation de débiteur à créancier entre le solvens et l’accipiens. Dans la première hypothèse l’erreur est indifférente, mais dans la seconde le solvens doit faire la preuve de l’existence d’une erreur (Cass. com. du 4 octobre 1988 [bull. civ. IV, n°264] ; Cass. com. du 5 mai 2004 [bull. civ. IV, n°85]) pour espérer obtenir la restitution de la somme indûment versée. Au regard de cette donnée, il est alors perceptible la pesanteur de la notion d’erreur dans la caractérisation de l’indu subjectif et dans la réalisation de la répétition de la somme indue. C’est ainsi que compte tenu des décisions antérieures (Com. du 26 novembre 1985 [bull. civ. IV, n°281] ; Com. du 22 novembre 1977 [bull. civ. IV, n°275] ; Com. du 23 avril 1976 [bull. civ. IV, n°134] ; et 1ère civ. du 18 juillet 1979 [bull. civ. I, n°219]), la solution de l’arrêt de la 1ère chambre civile,« Allianz » (Pourvoi n°08-19.789), apporte un éclaircissement important sur l’appréhension de la notion d’erreur au sein du régime du paiement de l’indu subjectif.

 

En l’espèce, une dame, malgré le divorce prononcé, continuait à verser à l’assureur les primes relatives à un contrat d’assurance-vie auquel avait souscrit son ex-mari. Ce dernier, avant son décès, avait modifié le nom du bénéficiaire de l’assurance-vie afin que cet acte produise ces effets au profit de sa nouvelle compagne Mme Y. Ainsi, lorsque dame X sollicita le versement du capital de l’assurance-vie à son profit. Elle eut la désagréable surprise de se voir opposer un refus de l’assureur. Cet événement motive l’assignation fait par dame X contre Allianz. Les juges du fond déboutent Mme x de ces demandes notamment en excipant une manifeste négligence de sa part interdisant tout droit à restitution. Dame X forme donc un pourvoi en cassation au sien duquel elle pose la question de savoir si le caractère inexcusable de l’erreur du solvens est susceptible de le priver de son droit à restitution de la somme indûment payée ?

 

La Cour de cassation, sous le visa de l’article 1377 du Code civil, considère que le caractère excusable ou non de l’erreur commise par le solvens n’est pas de nature à priver ce dernier de son droit à restitution (I). Cependant, la faute commise par le solvens est susceptible de diminuer le montant de la restitution à hauteur des éventuels dommages et intérêts qui seraient dus au titre de la réparation du préjudice subi par l’accipiens du fait de la restitution (II).

 

I. La dissociation entre le régime de l’erreur et celui de la faute du solvens

 

L’originalité de la solution de l’arrêt du 17 février 2010 n’est pas accessible au regard du droit du paiement de l’indu objectif, car depuis bien longtemps, au sein de cette hypothèse, il est admis que l’erreur même fautive ne fait pas obstacle à la restitution (A) ; alors que dans l’hypothèse de l’indu subjectif, l’erreur fautive provoquait la perte du droit à restitution (B).

 
 

A. Bref aperçu du régime jurisprudentiel de l’erreur dans l’indu objectif

 

Dès l’origine, il est admis qu’il n’y a aucune similitude entre le régime de l’erreur au sein de l’indu objectif et celui qui gouverne l’indu subjectif (articles 1376 et 1377 du Code civil). En effet, il est de jurisprudence constante que l’action en restitution au sein de l’indu objectif n’est pas soumise à l’établissement d’une erreur (Cass. Ass. Plén. du 2 avril 1993 [Bull. A. P. n°9]) ; alors qu’au sein de l’indu subjectif une erreur doit être caractérisée afin que le mouvement d’un patrimoine à un autre ne soit pas appréhendé comme une intention libérale (Cass. com. du 4 octobre 1988 [bull. civ. IV, n°264] ; Cass. com. du 5 mai 2004 [bull. civ. IV, n°85]). Cela étant, dans la mesure où l’existence de l’erreur est indifférente (Cass. 1ère civ. du 16 mai 2006 [Bull. civ. I, n°248]) pour la réalisation de la restitution dans l’indu objectif ; a fortiori la négligence (ou erreur fautive, ou encore erreur inexcusable…) du solvens ne peut davantage interdire la restitution de l’indu.

 

Toutefois, si au sein de l’indu objectif l’erreur est indifférente. Cette dernière peut engager la responsabilité du solvens si l’accipiens a subi un préjudice du fait de la négligence de ce dernier, qu’elle soit grossière ou non, dès lors qu’elle impose la réalisation de l’obligation de restitution (Soc. Du 30 mai 2000 [bull. civ. V, n°209] ; Soc. 17 octobre 1996 [Pourvoi n°94-13.097] ; 1ère civ. du 18 mai 1994 [bull. civ. I, n°179]). Ainsi, la démonstration d’une faute (la négligence) en lien avec le préjudice (effets de l’obligation de restitution) autorise que l’attribution des dommages et intérêts diminue en partie ou qu’elle compense en totalité l’obligation à restitution (1ère civ. du 5 juillet 1989 [bull. civ. I, n°278] ; 1ère civ. du 18 mai 1994 [bull. civ. I, n°179]).

 

C’est au regard de ce contexte jurisprudentiel qu’il n’est pas pertinent de chercher une originalité de la décision du 17 février 2010. Toutefois, il ne s’agit pas pour autant d’amoindrir le rapprochement qui semble s’esquissé entre le régime de la faute au sein de l’indu objectif et le régime de la faute au sein de l’indu subjectif.

 

B. La consécration d’une appréhension objective de l’erreur au sein de l’indu subjectif

 

Contrairement à ce qui était, de manière stable, admis au sein de l’indu objectif ; l’erreur est une notion fondamentale pour la réalisation de la restitution au sein de l’indu subjectif (Cass. com. du 4 octobre 1988 [bull. civ. IV, n°264] ; Cass. com. du 5 mai 2004 [bull. civ. IV, n°85]). Par conséquent, l’appauvri au sein de l’indu subjectif devait prouver l’existence d’une erreur pour espérer obtenir la répétition (ou « restitution » depuis la loi n°2009-527 de simplification en date du 12 mai 2009). Cependant, il ne s’agissait pas pour le solvens (ou appauvri au sein de l’indu subjectif) de prouver une simple erreur. À l’instar du régime de la faute de l’appauvri au sein de l’enrichissement sans cause (Com. du 16 juillet 1985 [bull. civ. IV, n°215] ; Rêq. du 15 juin 1892 ;Arrêt « Boudier » [GAJC, Vol. 2, 227] ; Cass. 2ème civ. du 2 mars 1915 [GAJC, Vol. 2, 228] Arrêt « Ville Bagnères-de-Bigorre contre Briauhant ».), la faute de l’appauvri au sein de l’indu subjectif interdisait le bénéfice de la restitution (Com. du 26 novembre 1985 [bull. civ. IV, n°281] ; Com. du 22 novembre 1977 [bull. civ. IV, n°275] ; Com. du 23 avril 1976 [bull. civ. IV, n°134]). C’est au regard de ces décisions antérieures que la solution de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en date du 17 février 2010 propose un son de cloche différent : « […] l’absence de faute de celui qui a payé ne constitue pas une condition de mise en œuvre de l’action en répétition de l’indu […] » (arrêt de la 1ère chambre civile,« Allianz » [Pourvoi n°08-19.789]). En effet, contrairement à la position classique dans ce contentieux : « […] le solvens a à se reprocher d’avoir payé sans prendre les précautions commandées par la prudence […] » (Com. du 26 novembre 1985 [bull. civ. IV, n°281] ; Com. du 22 novembre 1977 [bull. civ. IV, n°275] ; Com. du 23 avril 1976 [bull. civ. IV, n°134]) ; l’arrêt du 17 février 2010 laisse bien entrevoir une volonté de donner une autre interprétation du terme « erreur » contenu dans l’article 1377 du Code civil. L’appauvri au sein de l’indu subjectif doit prouver une erreur et cela importe peu qu’elle ait un caractère fautif, car l’efficacité recherchée dans le dispositif de l’article 1377 du Code est de permettre la reconstitution du patrimoine de celui qui, par une appréciation erronée de la réalité, a cru être débiteur alors qu’il ne l’était pas (1ère civ. du 15 janvier 1985 [bull. civ. I, n°20]). L’origine de la croyance erronée est indifférente. Le législateur a prescrit la volonté d’octroyer un droit à restitution à celui qui par erreur s’est appauvri au profit d’autrui. Dès lors, cette décision du 17 février 2010 n’est pas uniquement une esquisse de rapprochement entre la purge de la faute au sein des deux indus, mais il s’agit également d’un éloignement avec le régime de la faute de l’appauvri au sein de l’enrichissement sans cause.

 

L’origine de l’erreur ne comptant pas parmi les conditions de mise en œuvre de l’article 1377, il est perceptible un désir d’objectivation de la compréhension du terme « erreur » au sein de ce dispositif. Ce positionnement permet du même coup d’éclaircir la réalisation du mécanisme de la responsabilité civile au sein d’un autre quasi-contrat, l’indu subjectif, au regard de ce qui ait actuellement pour l’indu objectif (Soc. Du 30 mai 2000 [bull. civ. V, n°209] ; Soc. 17 octobre 1996 [Pourvoi n°94-13.097] ; 1ère civ. du 18 mai 1994 [bull. civ. I, n°179]) et la gestion d’affaire (1ère civ. du 22 décembre 1981 [bull. civ. I, n°395] ; 1ère civ. du 3 mai 1955 [bull. civ. I, n°179]).

 

II. La faute du solvens

 

La faute au sein des quasi-contrats est un thème qui semblait être abandonné à une certaine dysharmonie selon qu’il s’agissait de la gestion d’affaire, du paiement de l’indu objectif ou de l’indu subjectif ou encore de l’enrichissement sans cause et autres « nouveaux » quasi-contrats (notamment loterie publicitaire : Chambre mixte du 6 septembre 2002 [bull. mixte, n°4] ; 1ère civ. I, n°308]). En effet, au sein des décisions antérieures à celle du 17 février 2010, la faute n’était pas génératrice de responsabilité, mais d’exclusion du droit à restitution (A). Cela étant, la réaffirmation de ce positionnement ne peut qu’être saluée et encouragée (B).

 

A. La faute du solvens source de diminution ou de compensation de la restitution

 

La décision de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en date du 17 février 2010 à une double efficacité. D’une part, elle donne un souffle nouveau à l’interprétation de la notion « d’erreur » au sein du dispositif de l’article 1377 du Code civil. D’autre part, elle consolide un mouvement d’introduction du mécanisme de la responsabilité extracontractuelle afin de pourvoir à l’apurement de la faute au sein de l’indu subjectif.

 

En effet, avant cette décision la position classique, principalement celle de la chambre commerciale, tendait à l’utilisation de la faute du solvens comme une cause d’exclusion de la restitution parce qu’elle matérialisait un défaut de prudence (Com. du 26 novembre 1985 [bull. civ. IV, n°281] ; Com. du 22 novembre 1977 [bull. civ. IV, n°275] ; Com. du 23 avril 1976 [bull. civ. IV, n°134]) qui rendait inexcusable l’erreur. Alors que la 1ère chambre civile, sous le visa de l’article 1382, tendait à l’utilisation de la faute (négligence du solvens) comme la source d’un droit à réparation au profit de l’accipiens susceptible de diminution ou de compensation de la restitution (1ère civ. du 18 juillet 1979 [bull. civ. I, n°219] : « […] attendu qu’en condamnant Gilles x... A rembourser la totalité de la somme reçue par lui sans rechercher si la négligence de la banque n’avait pas eu pour effet de lui causer un préjudice ouvrant droit à réparation […]). Ainsi, au dernier état de la jurisprudence, il peut être observé une divergence entre la dernière position en date de la chambre commerciale (Com. du 26 novembre 1985 [bull. civ. IV, n°281]) et la dernière position en date de la 1ère chambre civile, c'est-à-dire l’arrêt du 17 février 2010 (arrêt de la 1ère chambre civile,« Allianz » [Pourvoi n°08-19.789]). En effet, dans cette dernière décision, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation est dans la continuité de son positionnement antérieur, car elle réaffirme, de manière plus précise, qu’il est possible que la faute du solvens puisse affecter le quantum de la restitution s’il est démontré l’existence d’un préjudice en lien avec la négligence (arrêt de la 1ère chambre civile,« Allianz » [Pourvoi n°08-19.789] : « […] sauf à déduire, le cas échéant, de la somme répété, les dommages-intérêts destinés à réparer le préjudice résultant pour l’accipiens de la faute commise par le solvens […] »). Dès lors, la Cour d’appel qui met en application le positionnement de la chambre commerciale est sanctionnée dans la mesure où, contrairement au sens de l’article 1377, elle a utilisé la faute du solvens comme cause d’exclusion de la restitution alors que cet élément a pour seule efficacité de participer à la caractérisation de la responsabilité civile (en l’occurrence, la responsabilité extracontractuelle).

 

Il semble donc que la décision de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en date du 17 février 2010 ne doivent pas être considéré comme un revirement, mais plutôt comme étant, pour l’heure, une solution divergente de celle classiquement prise par la chambre commerciale. Ce ne serait pas la première fois qu’il y aurait une divergence entre deux chambres de la Cour de cassation voire trois.

 

B. La décision de la chambre sociale en date du 30 septembre 2010

 

Au regard de l’apparente divergence qu’il semble y avoir entre la dernière position de la 1ère chambre civile (arrêt de la 1ère chambre civile,« Allianz » [Pourvoi n°08-19.789]) et la dernière position de la chambre commerciale (Com. du 26 novembre 1985 [bull. civ. IV, n°281]). Il est prudent d’attendre une décision concordante de la chambre commerciale de la Cour de cassation avant de qualifier de jurisprudence l’arrêt « Allianz ». Il est vrai que la solution que porte cette décision a tous les éléments susceptibles d’en faire une jurisprudence : il s’agit d’un arrêt de principe très éclairant sur le dispositif de l’article 1377 du Code civil et sur le régime de la faute au sein de l’indu subjectif. D’ailleurs, une décision de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 30 septembre 2010 (Pourvoi n°09-40.114) reprend une partie de la sémantique normative (Soc. du 30 septembre 2010 [Pourvoi n°09-40.114] : « […] Mais attendu que l’absence de faute de celui qui a payé ne constitue pas une condition de mise en œuvre de l’action en répétition de l’indu […] ») de l’arrêt « Allianz ».

 

Si elle est encourageante. Cette concordance ne semble pas devoir être considérée comme significative, car, historiquement, sur cette question la chambre sociale avait une position relativement proche de celle de la 1ère chambre civile (Soc. du 23 janvier 1969 [bull. civ. I, n°45] ; 1ère civ. du 5 octobre 1964 [bull. civ. I, n°420]). Ainsi, cette concordance même si elle est appréciable, elle surprend à peine.

 

Il s’agit donc de rester en alerte afin de pouvoir lire une décision concordante de la chambre commerciale ou mieux de la chambre mixte voire de l’assemblée plénière. Combien de temps faudra-t-il attendre ?

Partager cet article
Repost0
18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 23:28

L’indemnisation d’un individu du fait d’être né handicapé n’est pas en elle-même une donnée répréhensible, car il est admis, notamment sur la fondement de l’article 4 de la Déclaration des Droit de l’Homme et du Citoyen (DDHC), que tout individu est en droit d’obtenir réparation du dommage qu’autrui lui a causé par son action fautive. L’indemnisation d’un mal causé par autrui est une exigence constitutionnelle (décision n°99-419 DC du Conseil constitutionnel en date du 9 novembre 1999). Cependant, cette nécessaire obligation de réparation ne manque pas d’être la source de profondes interrogations d’ordre éthique lorsque le dommage est constitué par le fait d’être né alors que la mort était envisagée en cas de prévisibilité de la subsistance d’un handicap. L’arrêt « Perruche » (Assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 17 novembre 2000 [Dalloz 2001, page 332]) est un symbole de cette hypothèse, mais pas l’unique décision de justice (Ass. Plén. du 13 juillet 2001 [Pourvois n°97-17.359 et  n°97-19.282 ; n°98-19.190] et Ass. Plén. du 28 novembre 2001 [Pourvois n°00-11.197 et n°00-14.248]) octroyant une indemnisation du fait d’être né handicapé à cause de la faute médicale qui a privé les parents de la victime de la « chance » d’interrompre la naissance d’un enfant malformé (psychiquement ou/et physiquement). Cela étant, lorsque la politique jurisprudentielle d’une autorité judiciaire est perçue (à tort ou à raison) comme dangereuse ; le Législateur intervient afin de poser l’ordonnancement juridique qui lui semble plus adapté à l’apurement d’un fait social d’une telle ampleur. C’est ainsi que la loi n°2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dans son article 1er (inséré à l’article L114-5 du Code de l’action sociale et des familles [Casf] par la loi n°2005-102 du 11 février 2005 [article 2]) pose un dispositif qui peut être qualifié d’anti (jurisprudence) Perruche. Ce dispositif est initialement d’application immédiate « aux instances en cours, à l'exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation ». C’est donc au regard de ce caractère rétroactif de l’article L114-5 Casf que la solution de l’arrêt de la 1ère chambre civile du 8 juillet 2008 ne manque pas d’intérêt.

 

Les faits de l’espèce peuvent être considérés comme « classique » dans la mesure où il s’agit d’une femme dont l’évolution de la grossesse était problématique, car les enfants à naître présentaient un développement anormal. Elle portait des jumeaux. La viabilité de l’un avait été écartée ; pour l’autre il y avait un doute. Alors le gynécologue (Monsieur Y) sollicita l’expertise d’un confrère radiologue (Monsieur Y). Ce dernier fort des résultats diagnostiques, a rassuré son collègue qui, à son tour, rassure sa patiente, qui apaisée, renonce à son intention de procéder à une interruption volontaire de grossesse (IVG). La grossesse arrive à terme. Comme prévu l’un des jumeaux est mort-né ; l’autre (malheureuse surprise) naît avec un lourd handicap. L’enfant est né handicapé, la naissance ne semble plus devoir être considérée comme un événement heureux.

Après plusieurs expertises, les consorts X assignent les médecins devant le Tribunal de grande instance. Le jugement de cette juridiction subit un appel. À son tour l’arrêt d’appel subit une contestation via un pourvoi en cassation. Il est fait deux principaux reproches à la position prise par la Cour d’appel. Premièrement, il est contesté le fait que l’indemnisation ait été octroyée sur le fondement de la perte de chance. Deuxièmement, il est excipé l’inapplicabilité de l’article L114-5 Casf.

Ainsi, très grossièrement, il s’agissait de savoir si la jurisprudence « Perruche » était encore applicable malgré l’existence de l’article L114-5 du Casf ?

C’est au regard de ceci que la Cour de cassation réaffirme sa jurisprudence du 17 novembre 2000 (I) et excipe une nouvelle fois (Cass. 1ère civ. du 24 janvier 2006 [Pourvois n°01-16.684 ; n°01-17.042 ; n°02-12.260 et n°02-13.775] et Cass. 1ère civ. du 30 octobre 2007 [Pourvoi n°06-17.325]) la non-conventionalité du caractère rétroactif de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 (II).

 

La réparation intégrale du préjudice d’être né handicapé

 

Le risque est grand, lorsqu’il est fait l’analyse d’une telle jurisprudence, de tomber dans un discours eugéniste. En effet, lorsqu’il est lu, dit ou écrit (avec ou sans nuances) qu’il existe une sanction jurisprudentielle qui édicte un droit à ne pas laisser naître un handicapé congénital ou un droit à être indemnisé d’être né handicapé congénital ou encore le droit à indemnisation de la perte de chance de ne pas naître handicapé congénital ; il faut comprendre qu’il y a là dénaturation de la véritable efficacité recherchée par les juges. Le droit de la responsabilité est de plus en plus un droit indemnitaire que la politique jurisprudentielle des autorités judiciaires (en l’occurrence la Cour de cassation, mais également la position du Conseil d’État qui est formulée plus subtilement [Arrêt « Quarez » du 14 février 1997, requête n°133238]) utilisent afin de pallier à l’incapacité de la solidarité nationale à pourvoir aux charges particulières qui découleront notamment pour les parents de l'infirmité de leur enfant. C’est ainsi que l’indemnisation par la perte de chance est rejetée (A) au profit du mécanisme financièrement plus satisfaisant posé par la politique jurisprudentielle antérieure à l’institution du dispositif de l’art. L114-5 Casf (B).

 

L’inadéquation de l’indemnisation pour perte d’une chance

 

Le mécanisme de la perte de chance est fortement porté par un souci d’équité, car il a pour objectif de permettre l’indemnisation de la non réalisation d’un événement favorable (Chambre des requêtes du 1er juin 1932 [Dalloz 1933 ; 1, 102] ; 1ère Civ. du 12 octobre 1984 [RTD civ. 1986, 117] et 2ème Civ. du 21 novembre 2006 [Pourvoi n°05-15.674]). Le préjudice est réparable parce que la perte est directe, personnelle, actuelle, certaine et légitime (n’est pas indemnisable la perte de chance de provoquer le divorce de son amant). Ainsi, ce n’est pas l’événement favorable virtuel qui est indemnisé mais la disparition de cette virtualité du fait de l’acte fautif d’autrui. Un événement virtuel est celui qui a de fortes possibilités de se réaliser contrairement à l’événement éventuel (non indemnisable) qui lui a une forte probabilité de ne pas se réaliser. Le dommage est donc matérialisé par la destruction de la probabilité fortement en faveur de la réalisation d’un événement heureux. L’acte fautif a détruit une chance ; l’indemnisation sanctionne la destruction de cette chance. Compte tenu du fait qui est l’objet de l’indemnisation, il est logique que cette dernière soit plafonnée à la seule perte et non par la valeur de l’événement favorable non réalisé.

 

Dans l’arrêt du 8 juillet 2008, s’agit-il de l’indemnisation de la perte de chance de ne pas naître handicapé congénital ou de la perte de chance de faire un choix éclairé ou encore la perte de chance de ne pas avoir un enfant handicapé congénital ?

Il faut rester vigilant, car les raccourcis sont plus accessibles que le chemin tortueux de l’objectivité juridique qui impose de s’attarder sur le véritable problème et non sur celui qui est le plus polémique. Il y a indiscutablement une perspective eugénique, mais également, il y a indiscutablement une atteinte à la dignité des personnes handicapées ; lorsqu’il est mis en avant l’idée que les juges ont statué sur la perte de chance de ne pas naître handicapé congénital ou encore sur la perte de chance de ne pas avoir un enfant handicapé congénital. Il n’est pas honnête de faire du système de justice le complice d’une sorte d’intérêt juridique légitimement protégé tenant d’une sorte d’exigence de pureté de l’espèce humaine par une promotion de la procréation de sujets sains notamment par l’indemnisation du fait d’avoir perdu la chance de ne pas mettre au monde un individu « conforme » (Voir observations de Jean HAUSER [RTD civ. 2001, 103] et Pierre JOURDAIN [RTD civ. 2001, 149]). L’ordonnancement juridique s’est clairement positionné contre toute sorte d’eugénisme (art. 16-4 [prohibition de l’eugénisme] et 16-3 [intervention thérapeutique] du Code civil ; art. L.2123-1 et L2123-2 [prohibition stérilisation des aliénés] Code de la santé publique). Par conséquent, il n’est pas question pour les juges de se prononcer sur une telle perte de chance. Ni la perte de chance de ne pas naître handicapé congénital, ni la perte de chance de ne pas avoir un enfant handicapé congénital ne sont de la compétence du juge. Cette question est, par exemple, l’affaire d’un comité d’éthique (avis n°68 -29 mai 2001).

 

La Cour d’appel se prononce sur la perte de chance de faire un choix éclairé. Cette chance, tributaire de diagnostics prénataux (Anc. art. L162-16 [« Le diagnostic prénatal s'entend des pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero chez l'embryon ou le foetus une affection d'une particulière gravité. Il doit être précédé d'une consultation médicale de conseil génétique »], nouv. Art. L2131-1 [« Le diagnostic prénatal s'entend des pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero chez l'embryon ou le foetus une affection d'une particulière gravité. Il doit être précédé d'une consultation médicale adaptée à l'affection recherchée »]Code de la santé publique), consiste pour les parents, à savoir s’ils peuvent légitimement entamer la procédure juridico médicale de l’interruption de grossesse pour motif médical (Anc. Art. L162-12 ; nouv. Art. L2213-1 du Code de la santé publique). Ainsi, l’événement favorable manqué est la faculté de faire un choix éclairé et non le résultat éventuel, c'est-à-dire la « non naissance » d’un enfant handicapé congénital. Il ne s’agit pas de sauter les étapes, combien même les parents ont notoirement fait connaître leur désir de procéder à une Interruption Médicalisée de Grossesse (IMG). L’IMG n’est pas un acte de complaisance et tout handicap congénital n’autorise pas l’interruption (Art. L2213-1 du Code de la santé publique [Csp]).

Les médecins et les établissements de santé ont une relation contractuelle avec leurs patients (Arrêt « Mercier » [20 mai 1936 au GJAC, Tome II, n°161] ; art. L1142-1 Csp). Dès lors s’il y a mauvaise exécution d’une prestation due, il y aura droit à indemnisation du préjudice. Le diagnostic prénatal participe de l’obligation de conseil. Cette dernière est nécessaire à une prise de décision rationnelle (éclairée). L’expertise du médecin consiste tant à la mise en œuvre des examens (au regard de l’état des connaissances scientifiques) susceptibles de déceler les anomalies dans le développement de l’enfant à naître qu’à l’interprétation et l’explication des résultats diagnostiques. En l’espèce, c’est à ce niveau que le médecin radiologue et le médecin gynécologue, qui par une mauvaise lecture des résultats et des examens non pertinents, ont communiqué des informations fausses qui ont nui à l’intégrité du choix des consorts X. Il y a caractérisation d’une faute professionnelle dénotant une certaine négligence voire une incompétence caractérisée. En tout cas, il y a un manque de professionnalisme avéré. La Cour de cassation consolide ce constat en prononçant une cassation partielle.

Ce qui est rejeté ce n’est pas la qualification de la faute, mais le mécanisme utilisé pour la purger. En effet, la Cour d’appel considère que la faute du radiologue à fait perdre une chance aux consorts X. Rassuré sur l’état de santé de l’un des jumeaux (Yoann), les consorts X décident de laisser la grossesse arrivée à son terme. Yoann naît avec une malformation cérébrale complexe et majeure alors que les parents avaient été assurés d’une évolution sans anomalies de l’enfant à naître. Le préjudice moral est là. La perte de chance est dans le fait de ne pas avoir pu faire un choix éclairé pouvant consister soit à l’acceptation du risque de mettre au monde un enfant malade ; soit en la mise en œuvre de l’IMG autorisée par l’article L2213-1 du Csp, qui permet de traiter l'enfant à naître atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic.

 

Le montant de la perte de chance est plafonné par la valeur estimée de la disparition actuelle et certaine de la possibilité (légitime) de faire un choix éclairé. L’indemnité ne peut recouvrir la réparation des conséquences de la non-réalisation du choix, qui bien que notoirement connu, reste une hypothèse soumise à la validation du dispositif de l’article L2213-1 Csp (Ass. Plén. du 13 juillet 2001 [Pourvois n°97-17.359 et  n°97-19.282 ; n°98-19.190]). Ce choix de technique juridique (la perte de chance) ne satisfait pas le souci de la Cour de cassation de pourvoir aux charges particulières qui découleront pour les parents de l'infirmité de leur enfant. La perte de chance offre une indemnité nécessairement anecdotique au regard de la charge matérielle d’un enfant atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable. Les intentions du juge sont louables, mais contestables à deux titres. D’une part, il n’est pas juste que cette charge incombe, par la voie de la responsabilité civile, aux médecins ou/et aux établissements de santé. D’autre part, le juge fait un acte politique lorsqu’il utilise le droit de la responsabilité civile pour pallier la défaillance de la solidarité nationale.

 

La solution « Perruche » palliatif de la défaillance de la solidarité nationale

 

Le juge est animé par un souci économique et social lorsqu’il établit un lien de causalité entre une erreur de diagnostic et la naissance d’un enfant handicapé congénital. Aussi défectueux que puisse être, par moments, le système de justice. Il faut le répéter ; le système juridictionnel ne peut être taxé d’eugéniste. Le juge avec les moyens qui sont les siens pourvoit à la régulation d’une réalité sociale. L'enfant atteint d'une affection d'une particulière gravité et reconnue comme incurable, a besoin tout au long de sa vie (au moins) de moyens matériels nécessaires à la compensation de son handicap (art. L114 Csp [« Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant »]).

 

Les mécanismes de responsabilité civile sont les seuls moyens que le juge civil a à sa disposition pour régler (au moins) l’impact économique des charges particulières qui découleront, tout au long de la vie, de l'infirmité de l’enfant. De là, il est impératif, afin d’octroyer une réparation intégrale d’établir une faute un préjudice et un lien de causalité entre les deux précédentes données. Dans cette triade la matérialisation du préjudice est le support de la polémique faite à la jurisprudence Perruche (contrairement à la solution plus subtilement formulée de l’arrêt « Quarez » du 14 février 1997). Au regard de l’ordonnancement juridique (art. 16-4 [prohibition de l’eugénisme] et 16-3 [intervention thérapeutique] du Code civil ; art. L.2123-1 et L2123-2 [prohibition stérilisation des aliénés] Code de la santé publique), le préjudice réparable (personnel, certain, direct et légitime), qu’il soit moral (atteinte à l’intégrité de la faculté de choisir) ou matériel (charges particulières mal compensées par la solidarité nationale ; Ass. Plén. du 28 novembre 2001 [Pourvois n°00-11.197 et n°00-14.248]), ne peut être la naissance d’un enfant qu’il soit ou non handicapé.

Ainsi, bien que maladroitement posée dans le dispositif de l’arrêt « Perruche » et tout aussi maladroitement continuée dans les décisions qui suivent la jurisprudence « Perruche » (Ass. Plén. du 13 juillet 2001 [Pourvois n°97-17.359 et  n°97-19.282 ; n°98-19.190] et Ass. Plén. du 28 novembre 2001 [Pourvois n°00-11.197 et n°00-14.248]), la politique jurisprudentielle de la Cour de cassation posait, d’une certaine manière, les prémices d’un droit à la compensation (art. L114-1-1 Casf) des conséquences de l'infirmité de l’enfant quels que soient l'origine et la nature de sa déficience.

C’est donc ce souci patent de compenser, tout au long de sa vie, l’intégralité des charges particulières et inhérentes au quotidien de l'enfant atteint d'une affection d'une particulière gravité et reconnue comme incurable ; qui justifie le pragmatisme avec lequel le juge force la causalité directe entre l’erreur de diagnostic (la faute) et un préjudice transcendant (la nécessaire compensation intégrale du handicap).

 

Au-delà des querelles suscitées par la rédaction hasardeuse de la jurisprudence « Perruche ». L’intervention du Législateur était nécessaire afin de formaliser et d’organiser l’indispensable compensation des conséquences d’un handicap quels que soient l'origine et la nature de sa déficience. Peu importe le mobile de l’introduction de l’exorde (al. 1 : « Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance ») de l’article L114-5 Casf, le Législateur est dans son rôle lorsqu’il réaffirme la prohibition de toutes sortes de relents eugéniste ou toutes sortes d’atteintes à la dignité de la personne. Il est bien inspiré lorsqu’il libère les professionnels de santé (et leurs assureurs) d’une garantie qui ne doit pas être à leur charge. La compensation d’un handicap congénital ne doit pas être supportée par le professionnel de santé, cela n’est pas en cohérence avec l’ordre juridique (les juges ont bricolé pour pallier une défaillance du Législateur, cela est pardonnable). Il est plus juste, au regard des fondamentaux de notre système (Décision n°2010-2 QPC du Conseil constitutionnel, considérants n°13 à 18), que les charges particulières découlant (tout au long de la vie de l'enfant) du handicap congénital ; soient à la seule charge de la solidarité nationale (en cours de construction, loi n°2005-102 du 11 février 2005 : art. L14-10-3 et suivants du Casf ; art. L114-3 Casf ; Voir également Décision n°2010-2 QPC du Conseil constitutionnel, considérants n°13 à 18). Cependant, il semble que le Législateur ait mal aménagé la rétroactivité du dispositif de l’article L114-5 Casf.

 

La créance « Perruche » illégitimement spoliée par la rétroactivité de l’article L114-5 Casf

 

En date du 6 octobre 2005, la Cour européenne des Droits de l’Homme rend deux décisions (Affaires « Draon c/ France » [n°1513/03] et « Maurice c/ France » [n°11810/03]) qui condamnent la France en ce qu’elle prive, illégitimement, par le caractère rétroactif de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002, des justiciables d’un droit de créance en réparation d’une action en responsabilité. Ainsi, fort de la non-conformité à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CESDHLF), la Cour de cassation saisit l’opportunité (Cass. 1ère civ. du 24 janvier 2006 [Pourvois n°01-16.684 ; n°01-17.042 ; n°02-12.260 et n°02-13.775], Cass. 1ère civ. du 30 octobre 2007 [Pourvoi n°06-17.325] et Cass. 1ère civ. du 8 juillet 2008 [Pourvoi n°07-12.159]) de pérenniser la créance « Perruche » au profit des demandeurs dont le dommage s’est révélé avant l’entrée en vigueur de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 (A). Saisi par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), il semble que le Conseil constitutionnel, même en ayant posé l’inconstitutionnalité du point n°2 du paragraphe II de l’article 2 de la loi n°2005-102 du 11 février 2005, n’ait pas pour autant voulu interdire l’application de l’article L114-5 Casf aux dommages révélés avant son entrée en vigueur (B). Par ailleurs, lui aussi, le Conseil d’État (Arrêt « Centre hospitalier universitaire de Brest », requête n°250704) n’a pas une vision aussi large des effets de la non-conventionalité de la rétroactivité de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002.

 

 

 

 

 

L’avantage économique de la créance « Perruche »

 

La question de la non-conventionalité de la rétroactivité de l’article L114-5 Casf à le mérite de pointer la principale efficacité de la politique jurisprudentielle indemnitaire de la Cour de cassation notamment illustrée par l’arrêt « Perruche ». La créance « Perruche » doit être appréhendée comme une créance légitime (Cour EDH, « Lecarpentier c/ France », 14 février 2006 [Dalloz 2006, 717]).

 

Économiquement, la créance « Perruche » est actuellement plus intéressante que le nouveau dispositif compensatoire proposé par les lois n°2002-303 du 4 mars 2002 et n°2005-102 du 11 février 2005. C’est la principale raison de l’inapplicabilité rétroactive, aux instances en cours, du dispositif art. L114-5 Casf. En effet, avant l’entrée en vigueur rétroactive de ce texte, les justiciables pouvaient espérer obtenir une compensation intégrale des charges particulières inhérentes à la gestion quotidienne, tout au long de la vie, de l’infirmité de l’enfant. Or l’extension du nouveau droit à la compensation (art. L114-1-1 Casf), pour l’heure, offre un apurement des nécessités matérielles (la locution « préjudice matériel » ne semble pas appropriée à la finalité de ce [nouveau] droit à la compensation) beaucoup moins intéressant parce que forfaitaire et non intégral. Ansi, ce n’est pas la rétroactivité qui est, en elle-même, contestable, car le droit européen comme le droit interne français (par exemple : Cass. Chb réunies du 13 janvier 1932 [JCP1962, IV, 50] ; Ass. Plén. Du 23 janvier 2004 ; Dalloz 2004. 1108, note de P-Y GAUTIER / JCP 2004, II, 1030 note M. BILLIAU / RTD civ. 2004. 598 observations P. DUMIER) admet, dans certaines conditions, qu’une loi nouvelle s’applique aux instances en cours.

Dès lors, si le Législateur avait posé un dispositif de compensation équipollent à l’avantage « Perruche », la question de la rétroactivité serait anecdotique. Ou, s’il avait présenté un intérêt général suffisant, sans méconnaître les droits et libertés garantis, là aussi, la rétroactivité serait validée. La créance « Perruche » était le droit positif jurisprudentiel donc il participait à la prévisibilité à laquelle tous justiciables à droit (art. 6 §1 CESDHLF, protocole CESDHLF art.1). Un bémol tout de même, le nouveau droit à la compensation n’a pas vocation à se matérialiser uniquement en prestation financière. Il vise une exigence de compensation de tous besoins notamment, et pas uniquement, par une prestation financière forfaitaire (loi n°2005-102 du 11 février 2005).

 

Cela étant, la non-rétroactivité avérée, la créance « Perruche » est encore valable et elle est accessible uniquement par l’établissement d’une faute simple constituée, en l’espèce (Cass. 1ère civ. du 8 juillet 2008 [Pourvoi n°07-12.159]), par les manquements contractuels des deux médecins. Cependant, il semble que la Cour de cassation ait, également, saisi l’opportunité d’assurer à un large flux d’affaires le bénéfice de l’avantage « Perruche ».

 

La détermination des bénéficiaires de la survivance de la créance « Perruche »

 

En épilogue, il y a lieu de se demander s’il s’agissait là du dernier remous produit par le régime indemnitaire « Perruche ». Car la Cour de cassation semble vouloir étendre l’inapplicabilité du dispositif de l’article L114-5 Casf aux dommages survenus antérieurement à son entrée en vigueur alors que le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État semblent l’appliquer aux actions introduites postérieurement (Décision n°2010-2 QPC du Conseil constitutionnel, considérants n°19 à 23 ; Arrêt « Centre hospitalier universitaire de Brest », requête n°250704). N’y a-t-il pas une jurisprudence constante de la Cour de cassation considérant que les effets des contrats en cours demeurent déterminés par la loi en vigueur au moment où ils ont été formés ?

Partager cet article
Repost0