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Profil

  • Laurent T. MONTET
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane
Docteur en droit privé.
  • Chargé de Travaux Dirigés à l'Université de Guyane Docteur en droit privé.

Thèse : "Le dualisme des ordres juridictionnels"

Thèse soutenue le 27 novembre 2014 en salle du conseil  de la faculté de droit de l'Université de Toulon

Composition du jury:

Le président

Yves STRICKLER (Professeur d'université à Nice),

Les rapporteurs: 

Mme Dominique D'Ambra (Professeur d'université à Strasbourg) et M. Frédéric Rouvière (Professeur d'université à Aix-en-Provence),

Membre du jury:

Mme Maryse Baudrez (Professeur d'université à Toulon),

Directrice de thèse :

Mme Mélina Douchy (Professeur d 'Université à Toulon).

laurent.montet@yahoo.fr


18 février 2011 5 18 /02 /février /2011 23:28

L’indemnisation d’un individu du fait d’être né handicapé n’est pas en elle-même une donnée répréhensible, car il est admis, notamment sur la fondement de l’article 4 de la Déclaration des Droit de l’Homme et du Citoyen (DDHC), que tout individu est en droit d’obtenir réparation du dommage qu’autrui lui a causé par son action fautive. L’indemnisation d’un mal causé par autrui est une exigence constitutionnelle (décision n°99-419 DC du Conseil constitutionnel en date du 9 novembre 1999). Cependant, cette nécessaire obligation de réparation ne manque pas d’être la source de profondes interrogations d’ordre éthique lorsque le dommage est constitué par le fait d’être né alors que la mort était envisagée en cas de prévisibilité de la subsistance d’un handicap. L’arrêt « Perruche » (Assemblée plénière de la Cour de cassation en date du 17 novembre 2000 [Dalloz 2001, page 332]) est un symbole de cette hypothèse, mais pas l’unique décision de justice (Ass. Plén. du 13 juillet 2001 [Pourvois n°97-17.359 et  n°97-19.282 ; n°98-19.190] et Ass. Plén. du 28 novembre 2001 [Pourvois n°00-11.197 et n°00-14.248]) octroyant une indemnisation du fait d’être né handicapé à cause de la faute médicale qui a privé les parents de la victime de la « chance » d’interrompre la naissance d’un enfant malformé (psychiquement ou/et physiquement). Cela étant, lorsque la politique jurisprudentielle d’une autorité judiciaire est perçue (à tort ou à raison) comme dangereuse ; le Législateur intervient afin de poser l’ordonnancement juridique qui lui semble plus adapté à l’apurement d’un fait social d’une telle ampleur. C’est ainsi que la loi n°2002-303 du 4 mars 2002, relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dans son article 1er (inséré à l’article L114-5 du Code de l’action sociale et des familles [Casf] par la loi n°2005-102 du 11 février 2005 [article 2]) pose un dispositif qui peut être qualifié d’anti (jurisprudence) Perruche. Ce dispositif est initialement d’application immédiate « aux instances en cours, à l'exception de celles où il a été irrévocablement statué sur le principe de l'indemnisation ». C’est donc au regard de ce caractère rétroactif de l’article L114-5 Casf que la solution de l’arrêt de la 1ère chambre civile du 8 juillet 2008 ne manque pas d’intérêt.

 

Les faits de l’espèce peuvent être considérés comme « classique » dans la mesure où il s’agit d’une femme dont l’évolution de la grossesse était problématique, car les enfants à naître présentaient un développement anormal. Elle portait des jumeaux. La viabilité de l’un avait été écartée ; pour l’autre il y avait un doute. Alors le gynécologue (Monsieur Y) sollicita l’expertise d’un confrère radiologue (Monsieur Y). Ce dernier fort des résultats diagnostiques, a rassuré son collègue qui, à son tour, rassure sa patiente, qui apaisée, renonce à son intention de procéder à une interruption volontaire de grossesse (IVG). La grossesse arrive à terme. Comme prévu l’un des jumeaux est mort-né ; l’autre (malheureuse surprise) naît avec un lourd handicap. L’enfant est né handicapé, la naissance ne semble plus devoir être considérée comme un événement heureux.

Après plusieurs expertises, les consorts X assignent les médecins devant le Tribunal de grande instance. Le jugement de cette juridiction subit un appel. À son tour l’arrêt d’appel subit une contestation via un pourvoi en cassation. Il est fait deux principaux reproches à la position prise par la Cour d’appel. Premièrement, il est contesté le fait que l’indemnisation ait été octroyée sur le fondement de la perte de chance. Deuxièmement, il est excipé l’inapplicabilité de l’article L114-5 Casf.

Ainsi, très grossièrement, il s’agissait de savoir si la jurisprudence « Perruche » était encore applicable malgré l’existence de l’article L114-5 du Casf ?

C’est au regard de ceci que la Cour de cassation réaffirme sa jurisprudence du 17 novembre 2000 (I) et excipe une nouvelle fois (Cass. 1ère civ. du 24 janvier 2006 [Pourvois n°01-16.684 ; n°01-17.042 ; n°02-12.260 et n°02-13.775] et Cass. 1ère civ. du 30 octobre 2007 [Pourvoi n°06-17.325]) la non-conventionalité du caractère rétroactif de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 (II).

 

La réparation intégrale du préjudice d’être né handicapé

 

Le risque est grand, lorsqu’il est fait l’analyse d’une telle jurisprudence, de tomber dans un discours eugéniste. En effet, lorsqu’il est lu, dit ou écrit (avec ou sans nuances) qu’il existe une sanction jurisprudentielle qui édicte un droit à ne pas laisser naître un handicapé congénital ou un droit à être indemnisé d’être né handicapé congénital ou encore le droit à indemnisation de la perte de chance de ne pas naître handicapé congénital ; il faut comprendre qu’il y a là dénaturation de la véritable efficacité recherchée par les juges. Le droit de la responsabilité est de plus en plus un droit indemnitaire que la politique jurisprudentielle des autorités judiciaires (en l’occurrence la Cour de cassation, mais également la position du Conseil d’État qui est formulée plus subtilement [Arrêt « Quarez » du 14 février 1997, requête n°133238]) utilisent afin de pallier à l’incapacité de la solidarité nationale à pourvoir aux charges particulières qui découleront notamment pour les parents de l'infirmité de leur enfant. C’est ainsi que l’indemnisation par la perte de chance est rejetée (A) au profit du mécanisme financièrement plus satisfaisant posé par la politique jurisprudentielle antérieure à l’institution du dispositif de l’art. L114-5 Casf (B).

 

L’inadéquation de l’indemnisation pour perte d’une chance

 

Le mécanisme de la perte de chance est fortement porté par un souci d’équité, car il a pour objectif de permettre l’indemnisation de la non réalisation d’un événement favorable (Chambre des requêtes du 1er juin 1932 [Dalloz 1933 ; 1, 102] ; 1ère Civ. du 12 octobre 1984 [RTD civ. 1986, 117] et 2ème Civ. du 21 novembre 2006 [Pourvoi n°05-15.674]). Le préjudice est réparable parce que la perte est directe, personnelle, actuelle, certaine et légitime (n’est pas indemnisable la perte de chance de provoquer le divorce de son amant). Ainsi, ce n’est pas l’événement favorable virtuel qui est indemnisé mais la disparition de cette virtualité du fait de l’acte fautif d’autrui. Un événement virtuel est celui qui a de fortes possibilités de se réaliser contrairement à l’événement éventuel (non indemnisable) qui lui a une forte probabilité de ne pas se réaliser. Le dommage est donc matérialisé par la destruction de la probabilité fortement en faveur de la réalisation d’un événement heureux. L’acte fautif a détruit une chance ; l’indemnisation sanctionne la destruction de cette chance. Compte tenu du fait qui est l’objet de l’indemnisation, il est logique que cette dernière soit plafonnée à la seule perte et non par la valeur de l’événement favorable non réalisé.

 

Dans l’arrêt du 8 juillet 2008, s’agit-il de l’indemnisation de la perte de chance de ne pas naître handicapé congénital ou de la perte de chance de faire un choix éclairé ou encore la perte de chance de ne pas avoir un enfant handicapé congénital ?

Il faut rester vigilant, car les raccourcis sont plus accessibles que le chemin tortueux de l’objectivité juridique qui impose de s’attarder sur le véritable problème et non sur celui qui est le plus polémique. Il y a indiscutablement une perspective eugénique, mais également, il y a indiscutablement une atteinte à la dignité des personnes handicapées ; lorsqu’il est mis en avant l’idée que les juges ont statué sur la perte de chance de ne pas naître handicapé congénital ou encore sur la perte de chance de ne pas avoir un enfant handicapé congénital. Il n’est pas honnête de faire du système de justice le complice d’une sorte d’intérêt juridique légitimement protégé tenant d’une sorte d’exigence de pureté de l’espèce humaine par une promotion de la procréation de sujets sains notamment par l’indemnisation du fait d’avoir perdu la chance de ne pas mettre au monde un individu « conforme » (Voir observations de Jean HAUSER [RTD civ. 2001, 103] et Pierre JOURDAIN [RTD civ. 2001, 149]). L’ordonnancement juridique s’est clairement positionné contre toute sorte d’eugénisme (art. 16-4 [prohibition de l’eugénisme] et 16-3 [intervention thérapeutique] du Code civil ; art. L.2123-1 et L2123-2 [prohibition stérilisation des aliénés] Code de la santé publique). Par conséquent, il n’est pas question pour les juges de se prononcer sur une telle perte de chance. Ni la perte de chance de ne pas naître handicapé congénital, ni la perte de chance de ne pas avoir un enfant handicapé congénital ne sont de la compétence du juge. Cette question est, par exemple, l’affaire d’un comité d’éthique (avis n°68 -29 mai 2001).

 

La Cour d’appel se prononce sur la perte de chance de faire un choix éclairé. Cette chance, tributaire de diagnostics prénataux (Anc. art. L162-16 [« Le diagnostic prénatal s'entend des pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero chez l'embryon ou le foetus une affection d'une particulière gravité. Il doit être précédé d'une consultation médicale de conseil génétique »], nouv. Art. L2131-1 [« Le diagnostic prénatal s'entend des pratiques médicales ayant pour but de détecter in utero chez l'embryon ou le foetus une affection d'une particulière gravité. Il doit être précédé d'une consultation médicale adaptée à l'affection recherchée »]Code de la santé publique), consiste pour les parents, à savoir s’ils peuvent légitimement entamer la procédure juridico médicale de l’interruption de grossesse pour motif médical (Anc. Art. L162-12 ; nouv. Art. L2213-1 du Code de la santé publique). Ainsi, l’événement favorable manqué est la faculté de faire un choix éclairé et non le résultat éventuel, c'est-à-dire la « non naissance » d’un enfant handicapé congénital. Il ne s’agit pas de sauter les étapes, combien même les parents ont notoirement fait connaître leur désir de procéder à une Interruption Médicalisée de Grossesse (IMG). L’IMG n’est pas un acte de complaisance et tout handicap congénital n’autorise pas l’interruption (Art. L2213-1 du Code de la santé publique [Csp]).

Les médecins et les établissements de santé ont une relation contractuelle avec leurs patients (Arrêt « Mercier » [20 mai 1936 au GJAC, Tome II, n°161] ; art. L1142-1 Csp). Dès lors s’il y a mauvaise exécution d’une prestation due, il y aura droit à indemnisation du préjudice. Le diagnostic prénatal participe de l’obligation de conseil. Cette dernière est nécessaire à une prise de décision rationnelle (éclairée). L’expertise du médecin consiste tant à la mise en œuvre des examens (au regard de l’état des connaissances scientifiques) susceptibles de déceler les anomalies dans le développement de l’enfant à naître qu’à l’interprétation et l’explication des résultats diagnostiques. En l’espèce, c’est à ce niveau que le médecin radiologue et le médecin gynécologue, qui par une mauvaise lecture des résultats et des examens non pertinents, ont communiqué des informations fausses qui ont nui à l’intégrité du choix des consorts X. Il y a caractérisation d’une faute professionnelle dénotant une certaine négligence voire une incompétence caractérisée. En tout cas, il y a un manque de professionnalisme avéré. La Cour de cassation consolide ce constat en prononçant une cassation partielle.

Ce qui est rejeté ce n’est pas la qualification de la faute, mais le mécanisme utilisé pour la purger. En effet, la Cour d’appel considère que la faute du radiologue à fait perdre une chance aux consorts X. Rassuré sur l’état de santé de l’un des jumeaux (Yoann), les consorts X décident de laisser la grossesse arrivée à son terme. Yoann naît avec une malformation cérébrale complexe et majeure alors que les parents avaient été assurés d’une évolution sans anomalies de l’enfant à naître. Le préjudice moral est là. La perte de chance est dans le fait de ne pas avoir pu faire un choix éclairé pouvant consister soit à l’acceptation du risque de mettre au monde un enfant malade ; soit en la mise en œuvre de l’IMG autorisée par l’article L2213-1 du Csp, qui permet de traiter l'enfant à naître atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic.

 

Le montant de la perte de chance est plafonné par la valeur estimée de la disparition actuelle et certaine de la possibilité (légitime) de faire un choix éclairé. L’indemnité ne peut recouvrir la réparation des conséquences de la non-réalisation du choix, qui bien que notoirement connu, reste une hypothèse soumise à la validation du dispositif de l’article L2213-1 Csp (Ass. Plén. du 13 juillet 2001 [Pourvois n°97-17.359 et  n°97-19.282 ; n°98-19.190]). Ce choix de technique juridique (la perte de chance) ne satisfait pas le souci de la Cour de cassation de pourvoir aux charges particulières qui découleront pour les parents de l'infirmité de leur enfant. La perte de chance offre une indemnité nécessairement anecdotique au regard de la charge matérielle d’un enfant atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable. Les intentions du juge sont louables, mais contestables à deux titres. D’une part, il n’est pas juste que cette charge incombe, par la voie de la responsabilité civile, aux médecins ou/et aux établissements de santé. D’autre part, le juge fait un acte politique lorsqu’il utilise le droit de la responsabilité civile pour pallier la défaillance de la solidarité nationale.

 

La solution « Perruche » palliatif de la défaillance de la solidarité nationale

 

Le juge est animé par un souci économique et social lorsqu’il établit un lien de causalité entre une erreur de diagnostic et la naissance d’un enfant handicapé congénital. Aussi défectueux que puisse être, par moments, le système de justice. Il faut le répéter ; le système juridictionnel ne peut être taxé d’eugéniste. Le juge avec les moyens qui sont les siens pourvoit à la régulation d’une réalité sociale. L'enfant atteint d'une affection d'une particulière gravité et reconnue comme incurable, a besoin tout au long de sa vie (au moins) de moyens matériels nécessaires à la compensation de son handicap (art. L114 Csp [« Constitue un handicap, au sens de la présente loi, toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant »]).

 

Les mécanismes de responsabilité civile sont les seuls moyens que le juge civil a à sa disposition pour régler (au moins) l’impact économique des charges particulières qui découleront, tout au long de la vie, de l'infirmité de l’enfant. De là, il est impératif, afin d’octroyer une réparation intégrale d’établir une faute un préjudice et un lien de causalité entre les deux précédentes données. Dans cette triade la matérialisation du préjudice est le support de la polémique faite à la jurisprudence Perruche (contrairement à la solution plus subtilement formulée de l’arrêt « Quarez » du 14 février 1997). Au regard de l’ordonnancement juridique (art. 16-4 [prohibition de l’eugénisme] et 16-3 [intervention thérapeutique] du Code civil ; art. L.2123-1 et L2123-2 [prohibition stérilisation des aliénés] Code de la santé publique), le préjudice réparable (personnel, certain, direct et légitime), qu’il soit moral (atteinte à l’intégrité de la faculté de choisir) ou matériel (charges particulières mal compensées par la solidarité nationale ; Ass. Plén. du 28 novembre 2001 [Pourvois n°00-11.197 et n°00-14.248]), ne peut être la naissance d’un enfant qu’il soit ou non handicapé.

Ainsi, bien que maladroitement posée dans le dispositif de l’arrêt « Perruche » et tout aussi maladroitement continuée dans les décisions qui suivent la jurisprudence « Perruche » (Ass. Plén. du 13 juillet 2001 [Pourvois n°97-17.359 et  n°97-19.282 ; n°98-19.190] et Ass. Plén. du 28 novembre 2001 [Pourvois n°00-11.197 et n°00-14.248]), la politique jurisprudentielle de la Cour de cassation posait, d’une certaine manière, les prémices d’un droit à la compensation (art. L114-1-1 Casf) des conséquences de l'infirmité de l’enfant quels que soient l'origine et la nature de sa déficience.

C’est donc ce souci patent de compenser, tout au long de sa vie, l’intégralité des charges particulières et inhérentes au quotidien de l'enfant atteint d'une affection d'une particulière gravité et reconnue comme incurable ; qui justifie le pragmatisme avec lequel le juge force la causalité directe entre l’erreur de diagnostic (la faute) et un préjudice transcendant (la nécessaire compensation intégrale du handicap).

 

Au-delà des querelles suscitées par la rédaction hasardeuse de la jurisprudence « Perruche ». L’intervention du Législateur était nécessaire afin de formaliser et d’organiser l’indispensable compensation des conséquences d’un handicap quels que soient l'origine et la nature de sa déficience. Peu importe le mobile de l’introduction de l’exorde (al. 1 : « Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance ») de l’article L114-5 Casf, le Législateur est dans son rôle lorsqu’il réaffirme la prohibition de toutes sortes de relents eugéniste ou toutes sortes d’atteintes à la dignité de la personne. Il est bien inspiré lorsqu’il libère les professionnels de santé (et leurs assureurs) d’une garantie qui ne doit pas être à leur charge. La compensation d’un handicap congénital ne doit pas être supportée par le professionnel de santé, cela n’est pas en cohérence avec l’ordre juridique (les juges ont bricolé pour pallier une défaillance du Législateur, cela est pardonnable). Il est plus juste, au regard des fondamentaux de notre système (Décision n°2010-2 QPC du Conseil constitutionnel, considérants n°13 à 18), que les charges particulières découlant (tout au long de la vie de l'enfant) du handicap congénital ; soient à la seule charge de la solidarité nationale (en cours de construction, loi n°2005-102 du 11 février 2005 : art. L14-10-3 et suivants du Casf ; art. L114-3 Casf ; Voir également Décision n°2010-2 QPC du Conseil constitutionnel, considérants n°13 à 18). Cependant, il semble que le Législateur ait mal aménagé la rétroactivité du dispositif de l’article L114-5 Casf.

 

La créance « Perruche » illégitimement spoliée par la rétroactivité de l’article L114-5 Casf

 

En date du 6 octobre 2005, la Cour européenne des Droits de l’Homme rend deux décisions (Affaires « Draon c/ France » [n°1513/03] et « Maurice c/ France » [n°11810/03]) qui condamnent la France en ce qu’elle prive, illégitimement, par le caractère rétroactif de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002, des justiciables d’un droit de créance en réparation d’une action en responsabilité. Ainsi, fort de la non-conformité à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CESDHLF), la Cour de cassation saisit l’opportunité (Cass. 1ère civ. du 24 janvier 2006 [Pourvois n°01-16.684 ; n°01-17.042 ; n°02-12.260 et n°02-13.775], Cass. 1ère civ. du 30 octobre 2007 [Pourvoi n°06-17.325] et Cass. 1ère civ. du 8 juillet 2008 [Pourvoi n°07-12.159]) de pérenniser la créance « Perruche » au profit des demandeurs dont le dommage s’est révélé avant l’entrée en vigueur de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002 (A). Saisi par une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), il semble que le Conseil constitutionnel, même en ayant posé l’inconstitutionnalité du point n°2 du paragraphe II de l’article 2 de la loi n°2005-102 du 11 février 2005, n’ait pas pour autant voulu interdire l’application de l’article L114-5 Casf aux dommages révélés avant son entrée en vigueur (B). Par ailleurs, lui aussi, le Conseil d’État (Arrêt « Centre hospitalier universitaire de Brest », requête n°250704) n’a pas une vision aussi large des effets de la non-conventionalité de la rétroactivité de la loi n°2002-303 du 4 mars 2002.

 

 

 

 

 

L’avantage économique de la créance « Perruche »

 

La question de la non-conventionalité de la rétroactivité de l’article L114-5 Casf à le mérite de pointer la principale efficacité de la politique jurisprudentielle indemnitaire de la Cour de cassation notamment illustrée par l’arrêt « Perruche ». La créance « Perruche » doit être appréhendée comme une créance légitime (Cour EDH, « Lecarpentier c/ France », 14 février 2006 [Dalloz 2006, 717]).

 

Économiquement, la créance « Perruche » est actuellement plus intéressante que le nouveau dispositif compensatoire proposé par les lois n°2002-303 du 4 mars 2002 et n°2005-102 du 11 février 2005. C’est la principale raison de l’inapplicabilité rétroactive, aux instances en cours, du dispositif art. L114-5 Casf. En effet, avant l’entrée en vigueur rétroactive de ce texte, les justiciables pouvaient espérer obtenir une compensation intégrale des charges particulières inhérentes à la gestion quotidienne, tout au long de la vie, de l’infirmité de l’enfant. Or l’extension du nouveau droit à la compensation (art. L114-1-1 Casf), pour l’heure, offre un apurement des nécessités matérielles (la locution « préjudice matériel » ne semble pas appropriée à la finalité de ce [nouveau] droit à la compensation) beaucoup moins intéressant parce que forfaitaire et non intégral. Ansi, ce n’est pas la rétroactivité qui est, en elle-même, contestable, car le droit européen comme le droit interne français (par exemple : Cass. Chb réunies du 13 janvier 1932 [JCP1962, IV, 50] ; Ass. Plén. Du 23 janvier 2004 ; Dalloz 2004. 1108, note de P-Y GAUTIER / JCP 2004, II, 1030 note M. BILLIAU / RTD civ. 2004. 598 observations P. DUMIER) admet, dans certaines conditions, qu’une loi nouvelle s’applique aux instances en cours.

Dès lors, si le Législateur avait posé un dispositif de compensation équipollent à l’avantage « Perruche », la question de la rétroactivité serait anecdotique. Ou, s’il avait présenté un intérêt général suffisant, sans méconnaître les droits et libertés garantis, là aussi, la rétroactivité serait validée. La créance « Perruche » était le droit positif jurisprudentiel donc il participait à la prévisibilité à laquelle tous justiciables à droit (art. 6 §1 CESDHLF, protocole CESDHLF art.1). Un bémol tout de même, le nouveau droit à la compensation n’a pas vocation à se matérialiser uniquement en prestation financière. Il vise une exigence de compensation de tous besoins notamment, et pas uniquement, par une prestation financière forfaitaire (loi n°2005-102 du 11 février 2005).

 

Cela étant, la non-rétroactivité avérée, la créance « Perruche » est encore valable et elle est accessible uniquement par l’établissement d’une faute simple constituée, en l’espèce (Cass. 1ère civ. du 8 juillet 2008 [Pourvoi n°07-12.159]), par les manquements contractuels des deux médecins. Cependant, il semble que la Cour de cassation ait, également, saisi l’opportunité d’assurer à un large flux d’affaires le bénéfice de l’avantage « Perruche ».

 

La détermination des bénéficiaires de la survivance de la créance « Perruche »

 

En épilogue, il y a lieu de se demander s’il s’agissait là du dernier remous produit par le régime indemnitaire « Perruche ». Car la Cour de cassation semble vouloir étendre l’inapplicabilité du dispositif de l’article L114-5 Casf aux dommages survenus antérieurement à son entrée en vigueur alors que le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État semblent l’appliquer aux actions introduites postérieurement (Décision n°2010-2 QPC du Conseil constitutionnel, considérants n°19 à 23 ; Arrêt « Centre hospitalier universitaire de Brest », requête n°250704). N’y a-t-il pas une jurisprudence constante de la Cour de cassation considérant que les effets des contrats en cours demeurent déterminés par la loi en vigueur au moment où ils ont été formés ?

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