Analyse de la solution de l'arrêt de la Chambre commerciale, 30 mai 2006 (non publié au bulletin, n°04-15.356)
L’erreur est une donnée qui peut provoquer la nullité d’un contrat si elle porte sur la qualité substantielle de l’objet de l’obligation ou de la chose objet du contrat (art. 1110 du Code civil). Ainsi, conformément à une jurisprudence bien établie, l’erreur sur les motifs déterminants n’est pas en principe susceptible de provoquer la nullité d’un contrat.
L’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation en du 30 mai 2006 pose un cas intéressant. En effet, en l’espèce deux dames forment un contrat de vente dont la chose est un camion-friterie. Cependant, l’un des contractants, n’obtenant pas l’économie voulue, sollicite la nullité du contrat de vente reconventionnellement à une action en paiement (mise en œuvre de la clause de dédit). Consolidé en appel, l’acquéreur doit défendre à nouveau sa cause en cassation. Le pourvoi sollicite les juges de cassation sur la question de savoir si une erreur sur les motifs déterminants est susceptible de provoquer la nullité du contrat ?
La réponse de la Cour de cassation n’innove pas. Dès lors qu’un motif, même ayant déterminé la formation du contrat, n’est pas intégré dans le champ contractuel. L’erreur qui affecterait cette donnée ne peut provoquer la nullité du contrat (Cass. Civ. 1942 [DA1943,18]).
En vérité, l’intérêt de cet arrêt est ailleurs. En effet, il est dans la contrariété de position entre la Cour d’appel et la Cour de cassation.
La Cour d’appel tranche en faveur de la nullité, car elle évalue l’existence de la contrepartie, c'est-à-dire qu’elle cherche à voir si l’une des parties, au regard de l’économie escomptée dans l’opération juridique, trouve son obligation de donner (obligation de payer) causée. L’acquéreur visait un commerce sédentaire dans un emplacement donné, or cette qualité vraisemblablement substantielle ne s’y trouve pas. Cette cause n’existait pas dès la formation du contrat.
L’erreur sur l’existence de la cause (art. 1131 du Code civil) même inexcusable est susceptible de provoquer la nullité du contrat (Cass. 1ère civ. du 25 janvier 2005 [RTD civ. 1995, 880] : Sominos c/ Scet ; Cass. 3ème civ. 24 mai 2000 [JCP 2001, II, 10494] ; Cass. Civ. 1ère du 10 mai 1995 [Bull. civ. , I, n°194]). L’acquéreur avait la conviction erronée qu’elle aurait pu effectuer son commerce sédentaire avec le camion en question dans l’emplacement pressenti, or dès l’origine cette donnée est manquante. Il y a-t-il eu dol ? L’histoire ne le dit pas.
En tout état de cause, il y a erreur sur l’existence de la cause ; Voire erreur sur la qualité substantielle de la chose objet du contrat s’il est admis que les autorisations administratives étaient des accessoires du camion-friterie. Pour reprendre les mots des juges d’appel, il est plausible d’admettre l’indissociabilité entre le véhicule (le principal) et les autorisations (l’accessoire). Ainsi, il est objectivement cohérent d’adhérer au fait que l’acquéreur ait pu croire qu’il faisait également l’acquisition de l’autorisation de commerce sédentaire au lieu pressenti. Toutefois, sur le pur plan de l’erreur sur la qualité substantielle il peut légalement être objecté qu’elle résulte d’une négligence de l’acheteur qui n’a été diligent dans la recherche d’information. Aussi, compte tenu de cette limite à la validité de l’erreur sur la qualité substantielle ; il ne restait que l’option de l’erreur sur l’existence de la cause ou l’erreur sur les motifs déterminants.
Au regard de l’homophonie entre erreur sur les motifs déterminants et l’erreur sur l’existence de la cause, au regard très certainement de l’argumentaire des plaideurs (dont l’arrêt ne laisse que supposer le contenu) et enfin au regard de sa jurisprudence ; la Cour de cassation tranche logiquement au profit de l’annulation de la décision de la Cour d’appel qui a d’ailleurs pas suffisamment motivé en droit sa position notamment en étant plus explicite sur l’utilisation de la notion d’erreur sur l’existence de la cause.
Peut-être que cette espèce était une autre opportunité d’un arrêt « DPM » (Cass. 1ère civ. 3 juillet 1996 [D1997, 500]) ou « Hocquet c/ MDM multimédia » (Cass. Com. 27 mars 2007 [D.2007, p.2966]) si les juges de la Cour de cassation eussent été portés par une approche pragmatique ou par l’équité (art. 1135 du Code civil) afin de préserver l’économie voulue. Mais pour l’heure c’est la bonne veille jurisprudence (Cass. Civ. 3 août 1942 ; Cass. 1e civ. 13 février 2001 [RTD civ. 2001,352]] relative à l’erreur sur les motifs déterminants qui a eu davantage de pesanteur et peut-être aussi le manque d’inspiration des plaideurs.
Par ailleurs, il est important de soulever un questionnement sur l’actualité voire la pertinence de cette jurisprudence au regard de l’efficacité portée par l’article 1135 du Code civile. En effet, ce dernier pose le principe que les contractants ne sont pas tenus uniquement vis-à-vis des obligations expressément exprimées, mais également par toutes les économies virtuelles qui tiennent tant de l’équité que de l’impératif d’exécution du contrat de bonne foi. En outre, une clause de dédit insérée dans un contrat de vente ne peut avoir aucun effet juridique si elle est exercée de mauvaise foi (Cass. 3ème civ. 15 février 2000 [RTD civ. 2000, 564]). Bémol, les engagements clairs et précis interdisent au juge de faire usage de la faculté prescrite à l’article 1135 du Code civil (Cass. Com. 2 décembre 1947 [Gaz. Pal. 1948, I, 36]).